L'édito de Adèle Morerod - Vers où regarder?

Le 06 mai 2020

La situation actuelle a le don d’exacerber les angoisses concernant l’avenir. L’espoir de nouveaux lendemains se voit peu à peu remplacé par la crainte d’un retour contraint à l’«avant» ou d’un après dépourvu de repères. Au gré des choix de ses rédactrices et rédacteurs, ce numéro de Ciné-Feuilles offre son lot de postures possibles face à cet inévitable, reflétées par les films et séries qui y sont abordés.

Des documentaires qui nous arrivent, certains portent en eux le trouble d’un miroir grossissant: l’écho d’une réalité proche, sombre autant qu’elle est porteuse d’espoir. Midnight Traveler et sa famille en fuite ravive - s’il en était besoin - la vision des camps de migrants en Grèce, celle d’une Afrique à son tour menacée. Des exodes qu’on ne pourra pas simplement écarter de la main, à coup d’une dizaine de vies placées ici ou là. La Démocratie en danger, de la réalisatrice brésilienne Petra Costa, mise à l’honneur par Visions du Réel, tente également d’interroger l’avenir d’un pays où la politique a coupé les ponts avec sa population. Même le cinéma d’horreur récent s’inquiète de notre monde sur-technologisé, tout en regardant avec nostalgie vers ses modèles des années 1980-1990.

Cette nostalgie peut se présenter aussi comme une réponse. Se réfugier dans une époque passée c’est s’offrir une bulle hors du monde, qui nous enrobe de couleurs douces dans Tous nos jours parfaits ou de figures connues et admirées, si l’on se prend à (re)découvrir l’œuvre d’Henri Verneuil par exemple. Mais cela ne va pas sans mises en garde. Que ce soit l’idée d’un futur qui ne fait que nous renvoyer à nous-mêmes dans Tales From The Loop ou l’œuvre injustement ignorée de Richard Kelly, parce qu’il a su, justement, regarder le présent, le message est clair: la nostalgie est aussi un piège lorsqu’on en fait le seul devenir du monde. Pour Kelly - comme pour Francis Reusser, autre oublié du cinéma - réagir à la société qui se construit sous nos yeux a eu un prix. Rester dans l’ombre de l’histoire est peut-être la conséquence inévitable de savoir trop bien l’anticiper.