L'édito de Sabrina Schwob - Une farce grimaçante

Le 30 octobre 2019

Véritable phénomène social, le Joker est partout actuellement. Sur les toiles d’abord, où 91 salles le projettent et l’ont, jusqu’à maintenant, offert aux regards de 229’639 spectateurs - le propulsant après trois semaines seulement dans le top 7 des films ayant fait le plus d’entrées en Suisse cette année. Dans les discussions ensuite, où chacun émet volontiers un jugement à son propos, donnant son avis sur la responsabilité de la folie ou de la société dans les actes meurtriers du protagoniste. Il s’invite encore dans les émissions radiophoniques et les journaux, et pas seulement dans la rubrique cinéma. Déjà avant sa sortie aux Etats-Unis, de peur qu’il soit compris comme une invitation à la violence. Actuellement, de manière éparse, le clown aux sourires dérangeants devient un symbole de révolte chez des manifestants à Santiago, au Liban ou à Hong Kong en portant un masque à son effigie. Si l’effet rassembleur de ce dernier et sa fonction dissimulatrice jouent probablement un rôle, la question du discours véritablement véhiculé par le film n’en demeure que plus légitime.

Il peut sembler curieux, d’un point de vue narratif, d’y voir un appel à la violence alors même que les troubles psychiques du futur joker ne font aucun doute. S’il devient la mascotte de nombreux marginaux qui sortent du silence dans lequel les ont enfermés les puissants, c’est au mieux la conséquence d’un fantasme narcissique, au pire celle d’un malentendu.

Mais cette interprétation ne tient pas compte du pouvoir charismatique de Joaquin Phoenix - pour qui on souffre toute la première partie du film -, des travellings avant de la caméra qui l’oppressent d’abord pour se transformer en travellings arrière libérateurs ensuite, lorsqu’il dénonce haut et fort la mascarade des personnages publics, ni de l’esthétisation de ses danses ou de son allure clownesque. Le narratif ne pouvant être appréhendé en dehors des aspects formels qui lui donnent son véritable sens, on ne peut qu’être ambivalent face au Joker, qui malgré une esthétique maîtrisée véhicule un sens quelque peu douteux.