Un regard sur le président des États-Unis

Le 03 décembre 2020

Tous les quatre ans, novembre se pare de bleu et de rouge et la planète entière est obligée de se passionner pour une élection qui n’est pas la sienne, celle du président des Etats-Unis. Quatre ans, c’est juste le temps qu’il faut pour oublier le système des primaires et de leurs caucus, des grands électeurs, ou encore le concept des «swing states»… des processus qui n’intéressent guère le cinéphile. En effet, pour l’amateur de septième art, ce président américain est une figure familière, peu importe son élection. Je ne parle pas de ces personnages historiques auxquels de nombreux biopics ont été consacrés (Lincoln, Kennedy, Nixon, Bush Jr.) mais plutôt de la multitude de récits fictionnels se permettant toutes les audaces narratives autour du dirigeant en chef des USA. Cependant, j’admets volontiers qu’aucun scénario n’aura été aussi audacieux que celui qui aurait raconté le mandat trumpien, ponctué par son apogée de vulgarité, de mensonge, de violence et de mauvaise foi.


Et pourtant, dieu sait si le président a stimulé l’imagination de cinéastes fantasmant sur la figure qu’incarne ce drôle de personnage cantonné à son bureau ovale. La deuxième partie des années 90 est particulièrement riche et hétéroclite dans ses manières de mettre en scène ce dernier. Je ne sais pas si c’est parce que cette période correspond à mon initiation cinématographique ou parce qu’il y avait un véritable mouvement de démythification de cette figure présidentielle, mais je retiens toute une série de personnages marquants, très différents les uns des autres.


Avant l’offre pléthorique de films mettant en scène des super-héros, il arrivait parfois que les présidents américains endossent eux-mêmes l’étiquette super héroïque, comme par exemple le président Whitmore dans Independence Day (1996). Après un discours plaidoyer de la Pax americana, il n’hésite pas à monter dans un F-16 pour aller botter les fesses d’aliens qui ont eu la mauvaise idée d’envahir la planète (mais surtout les États-Unis) le jour de la fête nationale. Malgré ce dénouement haut en couleur, Thomas Whitmore ferait presque pâle figure à côté de James Marshall, président fictif incarné par Harrison Ford dans Air Force One (1997). Son célèbre avion a été détourné par des méchants terroristes soviétiques et le président ne peut compter que sur lui-même pour mettre la râclée à Gary Oldman et son accent russe poussif. Quelque part entre Chuck Norris et Rambo, ce président cow-boy fleure bon l’Amérique reaganienne avec dix ans de retard. Réalisés par deux Allemands (Roland Emmerich et Wolfgang Petersen), Independence Day et Air Force One ont remporté un énorme succès grâce à ce patriotisme exacerbé, décomplexé et ô combien écœurant, dégoulinant autour de la figure présidentielle. A titre de comparaison, Mars Attacks! (1997) de Tim Burton a été un grand flop. A croire que le public était moins réceptif à l’humour subversif de cette farce burlesque qui dézinguait à tout va la niaiserie «made in America». Le président bonimenteur James Dale (incarné par Jack Nicholson) y finit misérablement empalé sur un drapeau martien après un ultime plaidoyer pour la paix entre les peuples, plus lâche que sincère.


Plus fin et modeste que la comédie burlesque et délirante de Tim Burton, Des hommes d’influence (1998) se moque avec panache de toute la communication médiatique autour du résident de la Maison-Blanche. Dans cette comédie cynique, Barry Levinson met en scène un président éclaboussé par un scandale sexuel à onze jours des élections. Ses conseillers vont inventer et narrer une guerre fictive afin de détourner l’attention de l’électorat. Les excellents Dustin Hoffman et Robert De Niro sont en tête d’affiche de cette satire maligne tournée juste avant que n’éclate l’affaire Lewinsky. C’est d’ailleurs d’un certain Bill Clinton que s’inspire le personnage de Jack Stanton, ambitieux gouverneur candidat aux primaires mais qui voit sa campagne contrariée par ses frasques extraconjugales dans Primary Colors (1998). Le talentueux et expérimenté Mike Nichols parvient à rendre John Travolta présidentiable et totalement crédible dans cette fiction inspirée par la campagne démocrate de 1992. On est loin de la figure du prince charmant qu’endossait Michael Douglas dans Le Président et Miss Wade (1996), qui malgré ses mœurs irréprochables était victime du regard de la société conservatrice. Mais tout ça n’est rien à côté de la perversité du président Allen Richmond, couard, faible et responsable de l’assassinat d’une de ses maîtresses dans Les Pleins Pouvoirs (1997). Avec ce thriller, Clint Eastwood poursuit sa déconstruction des mythes américains après avoir explosé le western dans Impitoyable et la figure du shérif dans Un monde parfait. Il y campe un cambrioleur bien plus vertueux que le président de 300 millions de citoyens incarné par Gene Hackman.


Depuis la fin du vingtième siècle, cette foison de présidents pittoresques s’est quelque peu délitée. Après avoir interprété l’un des premiers présidents noirs dans Deep Impact (1997), Morgan Freeman en est réduit à cachetonner en 2019 en incarnant un autre président américain dans la saga idiote et réactionnaire La Chute… (respectivement de la Maison-Blanche, de Londres et du président). C’est également un président noir qui se rapproche le plus de Trump: dans le visionnaire Idiocracy (2007), le président Camacho, ancienne star du X et grand amateur d’armes automatiques ne comprend pas pourquoi sa population meurt de faim alors qu’il ordonne l’arrosage des champs de maïs aux sodas et autres boissons réputées pourtant pour leurs vertus énergisantes. Depuis Trump, la réalité a dépassé la fiction et les présidents américains ont moins la cote sur le grand écran. Difficile de raconter quoi que ce soit de plus fou que ce qui s’est passé ces quatre dernières années. Alors que je voyais Kevin McCallister croiser un grand blond à la coiffure erratique dans Maman, j’ai encore raté l’avion (1992), j’étais loin de me douter que ce dernier allait finir dans le siège de l’homme le plus puissant du monde. A croire que l’adage de Président d’un jour (1993), qui dit que n’importe qui peut devenir président, s’est finalement vérifié.


Blaise Petitpierre