Un presque sans f(ffh)aute à Bienne!

Le 08 octobre 2020

Plus de dix mille spectateurs et spectatrices se sont retrouvés sur cinq jours au Festival du film français d'Helvétie (FFFH) dans les salles de cinéma de Biel/Bienne. Franc succès pour cette 16e édition spéciale, qui comme dans tous les autres festivals, a dû s’adapter aux circonstances actuelles. Un retour - subjectif - sur cinq films parmi trente-cinq. Ce septième d’œuvres cinématographiques découvertes s’avère être de grande qualité et a su contenter les attentes de votre dévouée rédactrice. Quatre des cinq films vus ont en effet trouvé grâce à mes yeux, ce qui est rare en festival, où c’est souvent plutôt un film sur cinq qui atteint sa cible! Ma sélection tout subjective s’est donc portée sur Voir le jour de Marion Laine, Lola vers la mer de Laurent Micheli, Le Discours de Laurent Tirard, Plus chauds que le climat d’Adrien Bordone et Bastien Bösiger, et Miss de Ruben Alves.


Par ordre de visionnement donc, c’est d’abord un film sur la maternité, à la fois en tant que moment de vie mais aussi en tant qu’institution, qui a su éblouir surtout par ses propositions esthétiques. Un ventre de femme enceinte, les battements du cœur du bébé et de sa mère, des respirations profondes, l’ouverture donne le ton général: beaucoup de douceur à la caméra, et un travail fort sur le son et le montage. Adapté du roman Chambre 2 de Julie Bonnie (2013), ce long métrage montre les conditions de travail dans un hôpital de Marseille, où Jeanne (Sandrine Bonnaire) et ses collègues survivent tant bien que mal. Le portrait de ce personnage approfondit avec brio les enjeux des métiers du corps hospitalier: est-ce une vocation avant tout? Comment gérer sa vie personnelle, qu’il s’agisse du quotidien ou de ses souvenirs? À quel point faut-il donner de soi? Comment justifier son travail face aux manifestants anti-avortement qui trônent devant la clinique? Quelles responsabilités incombent au médecin par rapport aux infirmières? En bref, un film qui rend hommage à ces femmes qui enchaînent les heures de travail pour faire Voir le jour à nos générations futures.


Et de générations, on en parle aussi dans Lola vers la mer, surtout du point de vue du conflit entre Lola et son père, qui illustre certains obstacles intergénérationnels. Elle a 18 ans, est transgenre, et va enfin pouvoir se faire opérer, grâce au soutien financier de sa mère. Mais lorsque celle-ci décède, Lola se retrouve face à l’inévitable: revoir Philippe (Benoît Magimel), son père auquel elle ne parle plus depuis deux ans. Débute alors un road movie pour se rendre sur la côte belge, et disperser les cendres de la défunte et alliée maman. Contrairement à Miss, dont nous parlerons plus tard, les interrogations autour des transidentités sont très bien formulées. Philippe ne comprend pas le besoin de son fils de s’épanouir en tant que femme, il lui fait porter la responsabilité de la scission familiale. Lola, quant à elle, n’en peut plus de devoir se justifier et d’être dans le conflit permanent. Le film montre par ailleurs très bien la transphobie quotidienne, l’incompréhension voire la peur que ressentent certaines personnes à son égard. Le format carré de l’image, les ralentis, la bande-son hypnotique portent avec panache Lola, ses mèches roses, sa veste jaune et sa persévérance.


Dans un tout autre registre, l’excellente comédie Le Discours, basée sur l’ouvrage éponyme de Fabrice Caro, met les petits plats dans les grands. Le réalisateur Laurent Tirard encourage comme Fabcaro à lâcher prise, à savourer l’absurdité et l’humour du quotidien. La copine d’Adrien (Benjamin Lavernhe) lui a annoncé il y a trente-huit jours qu’elle voulait faire une «pause». Lors d’un énième repas de famille, il attend désespérément une réponse à un SMS envoyé à son ex quelques heures plus tôt; mais, rebondissement imprévu, son beau-frère (Kyan Khojandi) lui demande de préparer un discours pour le mariage de sa sœur. Nominé à Cannes et à Angoulême, cette mise en scène très théâtrale fait mouche. Le montage dynamique ainsi que la voix over prennent régulièrement à part le public dans un comique très efficace. Le discours étant l’enjeu principal du film, plusieurs versions en sont proposées; dans une de celles-ci, les rires à l’écran se font entendre puis s’arrêtent car la situation devient tragique pour les personnages, et ils sont soudainement repris d’un seul chœur dans la salle! F(ffh)abuleux!


Le public a également été très réactif au film biennois Plus chauds que le climat, réalisation des jeunes Adrien Bordone et Bastien Bösiger. Ces derniers enregistrent Nina, Jeanne, Mark, Fabio et Léa, à presque 18 ans, qui sont actifs pour lutter pour le climat. Conscients de leurs privilèges, ils mettent à profit le temps dont ils disposent, non pas pour sécher les cours par flemme, mais bien pour se mobiliser ensemble, dans une volonté de faire changer la politique biennoise. Tous différents, il est rappelé que le look ne fait pas le militant. Mark souligne que ce n’est pas parce qu’il a le style vestimentaire d’un PLR qu’il ne peut pas lutter pour le climat! Rires dans la salle, avant de glisser vers le sujet d’Extinction Rebellion, mouvement mondial social et écologiste souvent plus concret et malheureusement mal perçu, notamment avec son concept de désobéissance civile. La voix over féminine - imposée par la production RTS - fait aussi état du triste climato-scepticisme d’autres jeunes du même âge. La fin ne termine heureusement pas en happy end, ce qui aurait été contradictoire par rapport au propos du film. Sans adopter une vision totalement pessimiste, il est temps de se bouger et de prouver qu’en effet, on est Plus chauds que le climat.


Enfin, et pour terminer avec un f(ffh)ilm bien moins satisfaisant que les précédents, il faut aborder les problèmes que pose le long métrage Miss, de Ruben Alves. «Quand je serai grand, je serai Miss France», voici le rêve qu’énonce Alex à 9 ans à l’école. Ses camarades se moquent de lui, puis on retrouve le jeune garçon bien plus tard à l’âge adulte. Le récit suggère qu’il a perdu ses parents et est passé par de nombreuses familles d’accueil. Celle dans laquelle il se trouve actuellement est davantage un choix de production qu’une réalité: s’y trouvent un Noir, un Arabe, deux Asiatiques, deux Blanches, dont un homme prostitué. Warner Bros a bien fait ses devoirs et a représenté tout le monde, un grand bravo. Mais le studio ne s’arrête pas là: il brouille complètement les pistes sur un sujet qui nécessite d’être plus précis que jamais. Alexandre aime vivre en tant qu’Alexandra, il se genre parfois au masculin parfois au féminin, ce qui n’est pas en soit un problème. Cependant, on ne comprend pas si Alex est transgenre, ou s’il/elle veut simplement vivre sa féminité dans son corps d’homme, car on oscille constamment entre les deux. Un des nombreux problèmes du film réside dans cette confusion, ainsi que dans des propos transphobes qui sont notamment véhiculés par les dialogues, comme lorsque la coach signale à un de ses collègues masculins à propos d’Alexandra qu’«à force de davantage se concentrer sur la forme, on perd le fond», ou lorsque cette même coach prononce le mot «courage» en posant une couronne sur la tête d’Alexandra. La fin du film laisse complètement abasourdi, on ne comprend plus rien, et on n’a même plus envie de comprendre.


Heureusement les quatre autres films ont très largement compensé cette f(ffh)ausse note. Le temps a fait défaut pour découvrir le restant de la programmation, mais certains des films lauréats ont été critiqués dans votre revue cinématographique préférée. Le Prix Célestine a été remis à Petit Pays d’Eric Barbier, le Jury des Jeunes a récompensé Profession du père de Jean-Pierre Améris, le Prix découverte Bonhôte a consacré le court métrage Lavande d’Alexandra Naoum, et le Prix du Forum du bilinguisme est revenu à Shakira de Noémie Merlant. Fait également réjouissant en cette année délicate, le festival se lance à la conquête de sept villes du canton de Berne, dans une version itinérante du 15 octobre au 6 novembre. Pour se réjouir toujours plus de son bilinguisme, le FFFH se donne les moyens de ses ambitions. Merci Bienne, et bis nächstes Jahr!