Un avant-goût du Black Movie 2023: The Novelist’s Film de Hong Sang-soo

Le 11 janvier 2023

Avec The Novelist’s Film, avant-dernier opus de Hong Sang-soo, le cinéaste sud-coréen signe un petit manifeste du cinéma. Un acte rhétorique qui serait l’expression d’une forme de prescription. Au hasard des rencontres, la plupart inattendues, émerge une œuvre minimaliste et intimiste sur l’art du film et de la vie.

Au cours d’une journée particulière Junhee (Lee Hye-young), une romancière célèbre, décide de rendre visite à Sewon (Seo Young-hwa), une amie perdue de vue, libraire dans une banlieue éloignée de Séoul. Éprouvant un syndrome persistant de la page blanche, elle songe à explorer le médium cinéma. Après avoir renoué avec Sewon, elle rencontre d’une manière très fortuite Hyojin (Kwon Hae-hyo), un réalisateur et ancienne connaissance professionnelle, ainsi que Kilsoo (Kim Min-hee), une actrice relativement connue, qui deviendra l’héroïne de son premier court métrage. Au gré des conversations partagées avec les diverses personnes qu’elle croise, Junhee dévoilera peu à peu les principes fondateurs qui régiront son film.

The Novelist’s Film est un film sur un film, une mise en abyme qui met en perspective non seulement les relations humaines mais également le rapport de l’œuvre à son public. En tant que médium de masse, le film est le support privilégié qui, par la bouche de la romancière Junhee, permet à Hong Sang-soo de diffuser ses pensées sur l’art du film. Dès lors, son 28e long métrage peut être considéré comme un manifeste et un acte rhétorique qui détient une dimension autobiographique et spéculaire. Junhee est le porte-voix de Hong Sang-soo et l’objet filmique, la preuve de l’application méthodologique prescrite. En effet, au fil des rencontres, certains propos de Junhee, que ce soit avec Hyojin dans la tour d’observation, Kilsoo dans le parc ou le poète (Ki Joo-bong) dans la scène de beuverie, dévoilent une prescription sur les méthodes techniques du réalisateur. À l’image de la langue des signes que l’assistante de Sewon (Park Mi-so) initie à Junhee, sa pratique et son vocabulaire cinématographiques sont minimaux et expressifs: équipe et budget réduits, plan-séquence, découpage et mouvements de caméra a minima, décor naturel, dialogue parfois improvisé. Il en résulte une œuvre rohmerienne à l’esthétique minimaliste et intimiste, que le noir-blanc renforce. À l’instar des cinéastes de la Nouvelle Vague, Hong Sang-soo revendique un cinéma d’auteur et une authenticité artistique que François Truffaut décrivait dans son article Une certaine tendance du cinéma en 1954.

Le film est ainsi constitué de deux parties: une thèse et une antithèse. La première, la thèse, présente les principes filmiques de Junhee, décrit avec simplicité les rencontres et brosse le portrait intime d’une artiste qui nourrit l’espoir que la caméra, plume mécanique, lui offrira une possible résurrection artistique. La seconde, l’antithèse, est le film de la romancière et le pendant opposé de la première partie du Novelist’s Film. Bien que les dialogues paraissent vivants, parfois abrupts (par le ton franc de Junhee) et cocasses (dus aux protocoles de bienséance), l’ensemble du film ne parvient pas à exprimer une réalité authentique et profonde. La désinvolture requise par Junhee (et par Hong Sang-soo, par conséquent) nous contraint à rester dans une lecture superficielle et insipide des personnages. En définitive, ce qui devait être une plongée dans le destin de chacun se révèle être une œuvre conceptuelle sans réelle profondeur. Un effleurement de la surface de l’eau qui ne suscite que peu de remous. Toutefois, à la faveur d’un basculement chromatique, d’une musique et d’un dialogue poétiques, les dernières minutes du film offrent un état de grâce émotionnel: l’antithèse salvatrice et bienvenue tant pour la protagoniste que pour nous.


Kim Figuerola