Tourne-films festival Lausanne - 8-11 septembre Une 3e édition réjouissante

Le 22 septembre 2021

Le Tourne-Films Festival, petit dernier des festivals vaudois, a tenu sa dernière édition, mêlant comme à son habitude films, concerts, conférences et surtout, de la musique, partout, sous toutes ses formes. Quatre jours portés par un temps miraculeux et une équipe réjouissante. Parcours à travers l’événement.


Depuis sa deuxième édition en 2019, le TFFL a trouvé son identité. Certes, le ton était déjà largement donné dès les débuts: une rétrospective consacrée à des films de répertoire, une sélection de courts métrages et de clips musicaux, des concerts et des interventions. Avec comme ligne directrice les rapports entre musique et cinéma, essentiels mais peu explorés tels quels. Maintenant installé (principalement) au milieu de Mon-Repos, le festival se fait véritable invitation au détour et au plaisir des découvertes artistiques en tout genre. Dès 18 h, flâneurs et habitués pouvaient profiter des mélodies de trois groupes suisses, Melting Reeds, Delia Meshlir, Swear I Love You, aux accents doucement nostalgiques qui emplissaient le parc. Puis, à la nuit tombante, commençaient les projections - auxquelles s’ajoutaient cette année deux très belles découvertes «hors-compétition»: le documentaire Pays natals de Simon Gabioud et une sélection de courts d’animation de l’école Ceruleum de Lausanne.


Place donc au cinéma! A l’honneur de la rétrospective, en forme d’hommage, le compositeur Ennio Morricone, disparu l’année passée. Après la comédie musicale et les films consacrés à des groupes de musique, choisir une figure iconique de la partition cinématographique s’est avéré très judicieux. Prolifique mais finalement surtout retenu pour son travail sur les westerns-spaghettis, Morricone a touché à tout, comme le prouvaient les films retenus. Du film d’horreur The Thing (John Carpenter, 1982) à Cinema Paradiso (Giuseppe Tornatore, 1988), en passant par l’affrontement des Incorruptibles (Brian De Palma, 1987) et, quand même, Et pour quelques dollars de plus (Sergio Leone, 1965), le TFFL a fait la part belle au cinéma de genre, tout en s’adressant à un public très varié. Contrepoint supplémentaire à l’œuvre du maître, la traditionnelle conférence, donnée cette année par Laurent Guido, professeur de cinéma à Lille, explorait la riche relation entre le compositeur et le «giallo», film policier italien populaire.


Les distorsions, tant musicales que spatiales, qui traversent le genre, se retrouvaient dans les œuvres des élèves de l’école d’arts visuels Ceruleum. En effet, dans une composition d’ensemble déconcertante, les créations proposées rivalisaient d’espaces changeants, qui transforment le personnage en nain ou en géant, avant de s’effondrer sur eux-mêmes (Red Eye, Hasan Hulaj, Stéphan Nappez et Nicolas Moreau) ou se confondent avec la matière du dessin (Dot Dot Dot, Sunitha Sangaré). A ces expériences sensorielles répondaient des récits plus classiques, mais non moins guidés par les lieux parcourus. Que ce soient, dans une ville aux allures japonaises, ceux qui ont accueilli l’être aimé (Em o’i, Sunshine Burri) ou simplement un arbre, comme image d’un foyer qu’il s’agit de savoir quitter (La Jeune Fille et l’oiseau, Yvan Nussbaum). L’inspiration des mangas se retrouvait également dans Syre (Estelle Perchaud) et Golem (Yarol Chabin), tous deux fables écologiques et pacifistes à leur manière. La Cassette (Jordi Murillo) concluait la sélection dans une série de plans de ville fantôme, arpentée par un jeune garçon au rythme d’une chanson tragiquement interrompue.


La mise en avant de talents locaux, qui semble tenir à cœur à l’équipe du festival, se poursuivait avec la présentation de Pays natals, un bref documentaire réalisé par Simon Gabioud dans le cadre d’un projet plus large au sein de la RTS. D’un point de départ donné - une plongée dans les archives de l’institution - il a su tirer un portrait en deux facettes de la communauté cambodgienne, arrivée en Suisse dans les années 1970, à la suite des horreurs commises par le régime de Pol Pot. Remontant le fil des images du passé, il a cherché à savoir ce qu’il était advenu de ces êtres arrachés à leurs vies, à leurs proches. A travers la rencontre avec un musicien - qui a composé aussi la musique du film - et de sa mère, il fait dialoguer les extraits troublants des actualités de l’époque avec la calme acceptation des deux protagonistes, qui laisse deviner d’autant plus fort la douleur des traumas. On regrette simplement que pour des questions de format imposé, Pays natals ait été si court (13 min 20), alors qu’il aurait eu encore beaucoup à dire et à montrer.


Que dire enfin de la sélection officielle? Par rapport à l’objet inclassable et troublant qu’était Baloje du groupe Solo Ansamblis, récompensé l’année précédente, les clips de cette édition 2021 offraient des visions artistiques moins radicales. Seul Geneva Jacuzzi’s Casket (USA), porté par le réalisateur Chris Friend et la chanteuse, ose le psychédélique et la science-fiction, pour un univers électro où le numérique devient réellement matière. Acoustic Resistance (Jethro Massey, France), du groupe Hey Men, a le mérite de faire des instruments des protagonistes à part entière, dans une ambiance évoquant l’asile psychiatrique ou le laboratoire fou. Côté courts métrages, les différences étaient plus marquées. Si l’on se demande encore ce que XX Virus (Kimyan Flückiger, Suisse) faisait dans la course, Flohplage (Christoph Hans et Markus Ott, Allemagne) et Big Fish (Céline Ufenast et Sam Turner, Royaume-Uni) avaient de quoi redonner foi en l’avenir du cinéma. Le premier, comédie décalée jouant sur les codes du film policier et de la romance, construit son humour sur un malentendu entre un jeune homme à la recherche de l’amour et un espion au style très KGB. La musique - c’est le principe du festival – vient souligner l’impossibilité des deux personnages à se comprendre, transformant la réalité de chacun selon ce qu’il veut croire de l’autre. Quant à Big Fish, film d’animation minimaliste, il a été pensé, comme l’expliquait sa réalisatrice, à partir des sons qui accompagnent le rituel d’un pêcheur. Composition musicale bruitiste, il rappelait que l’art c’est avant tout le travail des matières, qu’elles soient sonores ou visuelles.


De toute évidence, Jury et public se sont retrouvés dans leurs appréciations respectives, puisque Flohplage et Acoustic Resistance ont été tous deux récompensés, tandis que Big Fish a obtenu la Mention spéciale du Jury. Indépendamment des prix, nous saluons ici l’ambiance subtile et généreuse que le TFFL a créée en peu de temps. Dans le champ déjà bien occupé des festivals de cinéma, il a su se rendre non seulement original mais aussi nécessaire. Bonne route et surtout, à l’année prochaine!