Top 2023 des meilleurs films

Le 11 janvier 2023

Après moult calculs très savants, la rédaction de Ciné-Feuilles a tranché et vous présente son Top 10 2022! Cette année, en marge des statistiques, chaque journaliste est aussi revenu sur une œuvre souvent moins connue du grand public, qu’il conseille de (re)découvrir en plus des nouvelles pépites en salle. Bonne année!


1. Pacifiction

d’Albert Serra

(Espagne/France /Allemagne/Portugal).

© Sister Distribution


2. Licorice Pizza

de Paul Thomas Anderson (USA).


3. Decision To Leave

de Park Chan-wook (Corée du Sud).


4. Contes du hasard et autres fantaisies

de Ryusuke Hamaguchi (Japon).


5. Les Cinq diables

de Léa Mysius (France).


6. La Nuit du 12

de Dominik Moll (France).


7. Fumer fait tousser

de Quentin Dupieux (France).


8. Men

d’Alex Garland (USA).


9. ex aequo:

Saint Omer

d’Alice Diop (France)

Introduction

de Hong Sang-soo (Corée du Sud).



Marvin Ancian:

Leila et ses frères

de Saeed Roustaee, Iran, 2022

Saeed Roustaee s’est fait remarquer en 2021 avec le passionnant La Loi de Téhéran, un thriller policier haletant qui abordait brutalement la consommation de crack en Iran. Dans son troisième long métrage, le réalisateur dépeint une fresque familiale tout aussi bouleversante. Leila (Taraneh Alidousti, aujourd’hui emprisonnée pour ses prises de position féministes!), pour sauver sa famille de la crise économique, décide de lancer une affaire avec ses frères. De son côté, Esmail, le patriarche à la santé vacillante, promet une importante somme d’argent à sa communauté afin d’en devenir le parrain et d’obtenir la reconnaissance dont il rêve tant. Derrière ce récit de prime abord intimiste, Roustaee décrit avec finesse et maestria la société iranienne et signe sans conteste l’une des plus belles œuvres de 2022.


Noémie Baume:

Cuidando al Sol

de Catalina Razzini, Bolivie/Allemagne/Espagne, 2021

Lucia, 10 ans, habite avec sa mère, sa petite sœur et son alpaga sur l’Isla del Sol, au milieu du lac Titicaca. Elle monte des combines pour réclamer facilement de l’argent aux touristes de passage. Lorsque son père part pour La Paz, le quotidien de Lucia est bouleversé par l’attente constante de son retour. Petit à petit, son esprit dilue les souvenirs de son père, les mélangeant aux légendes racontées aux touristes. Une fiction qui prend son temps pour nous raconter tout en finesse, en justesse pour dépeindre un réel proche des réalités quotidiennes des populations locales des îles du lac Titicaca. Mais aussi, ce qui tranche avec le cyan du ciel si caractéristique des hauts plateaux andins, questionner l’impact du tourisme grandissant sur les communautés insulaires, et un environnement tout à la fois grandiose et fragile. Une première œuvre sublime et prometteuse!


Anthony Bekirov:

Skazka (Fairytale)

d’Alexander Sokurov, Russie, 2022

Ce film d’animation est tout fait de deepfakes de Hitler, Mussolini, Staline et Churchill - chacun à 4 ou 5 exemplaires - qui bavardent dans le purgatoire devant les Portes du Paradis en attendant de pouvoir y entrer. Une fois passé le comique du procédé, l’on se rend compte que Sokurov aborde la question de la résurgence du fascisme à travers la manipulation des images. Le despote s’est démultiplié toute comme l’information qui circule s’est décuplée et se décline sous des formes toujours plus problématiques: le deepfake met en évidence la difficulté croissante à séparer le vrai du faux. Les images des dictatures passées se sont éparpillées au travers des myriades d’écrans et plus que jamais le spectateur participe à la propagation de l’autoritarisme. Parce que Skazka mélange génialement technique nouvelle et critique des médias, il apparaît comme le film le plus nécessaire de l’année et de plusieurs à venir.


Noémie Desarzens:

Serre moi fort

de Mathieu Amalric, France, 2022

Difficile de résumer le film de Mathieu Amalric, sinon qu’il s’agit de l’adaptation d’une pièce de Claudine Galea (Je reviens de loin) et qu’il semble être l’histoire d’une femme qui s’en va, magnifiquement nterprétée par l’actrice luxembourgeoise Vicky Krieps. À l’aube, Clarisse jette un dernier œil sur son mari et ses deux enfants endormis, hésite à laisser un message sur la table de la cuisine, puis se ravise et met plutôt en évidence un paquet de céréales avant de sortir prendre sa voiture et la route. Serre moi fort est un bouleversant patchwork temporel, où les niveaux de récits s’entremêlent entre fantasme et réalité, le souvenir et le désir d’une autre vie.


Amandine Gachnang:

Close

de Lukas Dhont, Belgique/France/Pays-Bas, 2022

Close raconte l’amitié fusionnelle de deux adolescents, Léo et Rémi, que des préjugés viennent peu à peu détruire, jusqu’à un point de non-retour dramatique. Tout à la fois portrait des insécurités ressenties par de nombreux garçons et hommes quant à l’image de virilité qu’ils s’imaginent forcés d’afficher dès leur jeune âge, critique de l’hétéronormativité encouragée par la société et exploration du syndrome de culpabilité du survivant, ce film se révèle très chargé en émotions mais sans lourdeur. Le casting est par ailleurs impeccable et livre des interprétations pleines de finesse, qui soulignent sans en faire trop la gravité du sujet. Aucune surprise donc à ce que Close ait remporté le Grand Prix du Festival de Cannes 2022.


Adrien Kuenzy:

Den siste våren

de Franciska Eliassen, Norvège, 2022

On ne sort pas indemne du premier long métrage de la Norvégienne Franciska Eliassen. Présenté dans la section Cineasti del presente du dernier Locarno Film Festival, Den siste våren (Le Dernier printemps) apparaît comme un cri d’amour dans une petite ville au nord de la Norvège. Alors qu’Eira admire en secret sa grande sœur Vera, elle remarque aussi chez elle un comportement bizarre. Souhaitant percer ce qui semble être un secret, Eira plonge dans le journal intime de Vera, un monde à la fois ensoleillé et angoissant. Le film oscille alors entre l’intimité très concrète des deux sœurs et cet univers rêvé. Mais aussi toujours entre l’ombre et la lumière.


Pierig Leray:

Hit The Road

de Panah Panahi, Iran, 2022

Il ne faut pas bouder son plaisir de voir naître un cinéaste devant soi (Panah Panahi, fils de l’immense Jafar Panahi) car rares sont les premiers films avec tant de justesse de mise en scène, ici entre détresse et joie communicative, déchirement et amour inconditionnel. Hit The Road nous rappelle avec allégresse que le cinéma peut traverser le corps par une poésie immaculée de toute considération budgétaire, et qu’un rien peut donner tant. Panahi aborde la répression, la migration forcée et l’éclatement d’une famille par les non-dits de cette interdiction de parler face à la furie naïve et resplendissante de leur jeune fils. Métaphorique donc, mais aussi littéral lorsqu’il filme le voyage cosmique de l’enfant et son père grisé en cosmonaute dans les étoiles, somptueuse parenthèse enchanteresse avant le réveil des réalités, et le cri d’une mère qui comprend enfin, qu’elle ne reverra plus jamais son fils.


Noé Maggetti:

De noche los gatos son pardos

de Valentin Merz, Suisse, 2022

De noche los gatos son pardos, premier long métrage du cinéaste suisse Valentin Merz, raconte la disparition du réalisateur d’un film libertin en costumes en pleine campagne française, puis l’enquête menée par la police auprès de son équipe dans l’espoir de retrouver sa trace. Procédant par tableaux successifs, brisant volontiers le quatrième mur et multipliant les références cinéphiles, le film s’appuie sur un récit désopilant et volontairement décousu aux accents surréalistes. Se dessine ainsi une proposition artistique particulièrement rafraîchissante et audacieuse, malgré ses quelques longueurs.


Kevin Pereira:

Enquête sur un scandale d’Etat

de Thierry de Peretti, France, 2022

Enquête sur un scandale d’Etat est un film dont le titre fonctionne comme un leurre. Il y a une enquête, oui, la longue investigation d’Emmanuel Fansten, journaliste à Libération, qui interroge les méthodes douteuses employées par François Thierry, grand patron des Stups, dans la lutte antidrogue. Mais la mise en scène de Thierry de Peretti préfère la complexité du réel à l’évidence du mythe: avec une caméra

peu mobile qui se contente de suivre les personnages par le biais de quelques panoramiques, le cinéaste aménage un dispositif exigeant où il met en abyme les mécanismes d’une enquête. Ainsi, le film s’abstient toujours d’affirmer quelconque vérité, préférant l’épaississement du mystère à son éclaircissement. Et pour cette opération de restitution - filmer le réel dans son ambiguïté essentielle -, Enquête sur scandale d’Etat s’impose comme l’un des plus grands films de 2022.


Blaise Petitpierre:

Ouistreham

d’Emmanuel Carrère, France, 2021

En 2009, la journaliste d’investigation Florence Aubenas expérimente en immersion la galère de la précarité des jobs dans les services de propreté. De l’inefficacité de Pôle emploi à la cadence infernale des nettoyeuses des ferries, elle vit et documente toutes les étapes en infiltrant le milieu de ces personnes démunies face à la crise et en fera le sujet d’un livre, Le Quai de Ouistreham. Emmanuel Carrère transpose intelligemment au cinéma le travail de la journaliste. Là où beaucoup de cinéastes se seraient contentés de raconter ces drames sociaux fort poignants, il va plus loin en questionnant le sens même de sa démarche, à savoir si on peut en tant qu’auteur, se nourrir de la misère sociale d’autrui pour alimenter son travail. Il en résulte une mise en abyme passionnante.


Sabrina Schwob:

Don Juan

de Serge Bozon, France, 2022

Le cinéaste Serge Bozon et sa coscénariste Axelle Ropert adaptent le classique de Molière à l’ère post-MeToo: Don Juan (Tahar Rahim) n’est alors qu’un misérable comédien qui ne cherche plus à séduire mais seulement à posséder, le temps d’une jouissance, des femmes, dans l’espoir d’oublier - ou de les substituer à - celle qui l’a abandonné (Virginie Efira) et par le biais de laquelle il se sentait vivre. Une composition musicale grinçante de franchise, des acteurs incarnant avec finesse leur personnage, des jeux de miroirs et de regards brouillant la frontière entre la fiction et le réel confèrent à cette œuvre toute son originalité, son étrangeté ainsi que sa froide beauté.


Philippe Thonney:

Ariaferma

de Leonardo Di Costanzo, Italie/Suisse/France, 2022

Ariaferma est incontestablement l’un de nos immenses coups de cœur de 2022. Nous sommes heureux d’être parvenus à attirer plusieurs de nos lecteurs, qui en sont revenus enchantés, à une projection de ce film italien. Cette histoire sensible et délicate narrant les derniers jours de la vie d’une prison, supérieurement écrite, mise en scène et interprétée, remet un coup de projecteur bienvenu sur un cinéma de qualité, fait par des gens qui ont des choses à dire et à raconter. Espérons que l’humanisme, l’intelligence, la profondeur de ce film lui apporteront dans l’avenir de nombreux (télé)spectateurs, et que cette nouvelle année nous permettra souvent de revivre des moments de bonheur cinématographique tels que celui-là.