Too Old To Die Young de Nicolas Winding Refn
Le 08 avril 2020
En cette période, deux bonnes raisons pour se plonger dans le monde de Nicolas Winding Refn. D’abord, le réalisateur partage gratuitement, sur sa plateforme byNWR.com, une collection de films rares restaurés par ses soins. Deuxièmement, sa dernière œuvre Too Old To Die Young est un long film de 13 heures, diffusée sous la forme d’une série de dix épisodes.
Nicolas Winding Refn (NWR) est un auteur qui divise. Là où certains admirent un esthète perfectionniste façonnant un univers radical, original et cohérent, d’autres s’agacent face à un clippeur narcissique excessivement poseur, se complaisant dans un style qu’il recycle depuis plus de dix ans, combinant explosions de violence gratuite et… tapisseries. En effet, qu’on l’aime ou pas, le bonhomme met tout le monde d’accord sur ses choix détonants de papiers peints qui composent les décors de ses films. Un rapide détour sur le site byNWR.com vous permettra de savoir à quelle catégorie vous appartenez. Sur cette plateforme, le réalisateur danois propose une cinémathèque de l’étrange, composée de films oubliés des années 60-80 qui lui sont tellement chers, qu’il les a restaurés et les y diffuse gratuitement. On y trouve aussi des articles, de la musique… Bref, largement de quoi remplir vos soirées taries de sorties cinéma. Rien de tel pour se familiariser avec les références qui parsèment l’univers tortueux de ce metteur en scène qu’on pourrait situer quelque part entre David Lynch et Quentin Tarantino.
Après dix longs métrages, NWR délaisse le cinéma pour proposer Too Old To Die Young (TOTDY), une série produite pour la plateforme de vidéo à la demande du géant Amazon et remarqué au Festival de Cannes en 2019. Si l’on pouvait craindre que l’auteur compromette son identité artistique en rejoignant ce géant du streaming en quête d’audience et de crédibilité, cette crainte se révèle totalement infondée. TOTDY cristallise tout le cinéma de NWR: lenteur et esthétisation excessives, personnages mutiques, violence fulgurante, noirceur et… tapisseries. TOTDY ne s’adresse pas au grand public en quête de séries génériques mais bien aux adeptes de cinéma d’auteur. Ce western contemporain, que le cinéaste considère comme un seul et unique film divisé en dix chapitres, prend place entre Los Angeles et le Mexique. On y assiste à la reconquête d’un «territoire» par un puissant cartel mexicain de narcotrafic. Ce terrain de jeu est exploré à travers les points de vue d’un jeune flic pourri (Miles Teller), un néoparrain parvenu (Augusto Aguilera) manipulé par une ex-prostituée (Cristina Rodlo) et un guerrier vengeur (John Hawkes) agissant pour le compte d’une avocate sensible aux forces métaphysiques supérieures (Jena Malone).
Alternant des enjeux hyper réalistes et de soudaines irruptions totalement fantasmagoriques, TOTDY dépeint une Californie crépusculaire, sombre, chaotique, irrationnelle et violente. Des adjectifs qui siéent parfaitement à l’Amérique trumpienne. Toutefois, grâce à la bienveillance cynique avec laquelle NWR scrute cet univers, il s’en dégage une beauté quasi onirique particulièrement étrange qui nous fait oublier que le monde qui s’autodétruit sous nos yeux, c’est bien le nôtre. Ceci grâce à un effort remarquable sur la forme de cette œuvre, tant au niveau de l’image léchée dans ses moindres détails que de la bande-son électronique du compositeur attitré de NWR, Cliff Martinez. Cette beauté formelle permet à son auteur de distendre le temps pendant d’interminables plans fixes ou de lents panoramiques, afin de distiller torpeur, sidération et contemplation. Ces longs cadrages de personnages mutiques, transcendés par une musique en totale osmose avec les images ne sont pas sans évoquer l’alchimie entre Sergio Leone et Ennio Morricone lors d’Il était une fois dans l’Ouest.
Vous l’aurez compris, TOTDY est une série qui s’adresse à un public averti. C’est long, c’est noir, c’est violent… mais c’est également virtuose, beau et ça parle avec intelligence et ironie d’un monde en plein effondrement. Il s’agit probablement d’une des séries les plus radicales jamais produites pour un média de masse. Lors de son visionnage, le cinéphile, même réceptif, aura de la peine à digérer tous les passages de TOTDY. C’est peut-être pour cela que longtemps encore après avoir vu le dernier épisode, les scènes iconiques parsemant cette fresque nourrissent encore son imaginaire.
USA 2019 - Production et diffusion Amazon Prime - Saison 1 : 10 épisodes de 30'-100'. Acteurs : Miles Teller, Cristina Rodlo, Jena Malone, Augusto Aguilera, John Hawkes. Musique : Cliff Martinez. Genre : Policier. Âge : 18. Note : 18.
Blaise Petitpierre