Theatre of Thought de Werner Herzog

Le 17 mai 2023

Réalisé par

Werner Herzog

Titre original

Theatre of Thought

Pays de production

États-Unis

Année

2022

Durée

1h47

Musique

Ernst Reijseger

Genre

Documentaire

Distributeur

N/A

Acteurs

N/A

Âge

N/A

Note

10


Vu à Visions du Réel 2023


La vérité n’intéresse pas Werner Herzog. Dans la Déclaration de Minnesota qu’il rédige en 1999, il explique cependant que le cinéma aurait le pouvoir de révéler une « poetic, exstatic truth », impliquant que seulement cette « vérité extatique et poétique » n’a de sens pour un film.

Le film se construit autour d’une série d’interviews de scientifiques, couvrant des champs aussi divers et variés que les neurosciences, l’intelligence artificielle, que la chirurgie, mais aussi des artistes et des spécialistes du droit. Au cours de ces entretiens, les réflexions du réalisateur nous seront médiées par sa voix si caractéristique, allant de voix-in à voix-over, nous servirons de fil rouge. Au cours du récit, ses interrogations et son émerveillement sur le fonctionnement du cerveau trahiront peu à peu ses insécurités face à un futur dystopique où des gouvernements pourraient accéder à nos souvenirs et réflexions ou même les contrôler. Une angoisse, disons, légitime, mais non sans rappeler celle de la peur rouge (red scare), avec notamment la période sombre du maccarthysme pendant la Guerre froide. En menant l’écrasante majorité de ses entretiens dans des campus étasuniens ou du moins en interviewant presque exclusivement des personnes affiliées à des universités étasuniennes ou alors à des entreprises étasuniennes, Werner Herzog échoue à remarquer que le libéralisme américain est aussi une idéologie qui mérite d’être remise en question, loin du fantasme démocratique prôné par le réalisateur.

Cela dit, Theatre of Thought nous arrachera tout de même quelques sourires. Par exemple en choisissant de laisser quelques secondes à la fin de chacun des entretiens, ou en interrompant certains entretiens, par exemple quand le réalisateur décide de mettre en sourdine les explications d’un scientifique à l’écran, et de nous dire, en voix-over, qu’il n’y comprend de toute façon rien ; ou en détournant un entretien pour filmer un écran affichant des bancs de poissons colorés, échappatoire rêvée à une discussion jugée inintéressante par Herzog, qui a toujours préféré la nature aux hommes (voir son film Grizzly Man par exemple). Toutefois, si nous admettons volontiers que les moments de gêne captés par la caméra font partie des sucreries les plus délicieuses que peut nous offrir le septième art, ces errances de par leur nombre et leur répétition systématique nous laissent un goût de trop-plein et nous plongent dans un état de lassitude profond. Associées au discours sous-jacent inconsistant, nous ne pouvons nous empêcher d’être déçus. Le projet même était voué à un échec. Il est évident que le travail du cinéaste fonctionne le mieux avec un personnage central fort. Si ses films emploient toujours la même recette : choisir un sujet prétexte pour critiquer la démesure de l’Homme, c’est là aussi sa force. Dans Grizzly Man, les entretiens avaient comme rôle de complémenter le point de vue du personnage principal, Timothy Treadwell, l’amateur de grizzlys qui finit dans le ventre d’un d’eux. Ici, sans personnage central fort, hormis les quelques séquences avec le funambule, il n’est d’ailleurs pas anodin qu’elles soient les plus marquantes, les entretiens ne servent qu’à parler du réalisateur lui-même. Sans support externe, la digestion de son travail est moins agréable.


Ani Gabrielyan