L'édito de Adèle Morerod - Matière de cinéma

Le 03 octobre 2018

Qu’est-ce qui fait que certains films nous marquent de leur empreinte, alors que d’autres nous quittent à peine la projection terminée? Que l’on soit critique ou spectateur, on a le plus souvent en tête que la qualité d’une œuvre, sa possibilité de subsistance dans notre imaginaire, tient à son récit. Il faut que ce dernier soit original, qu’il sache raconter davantage de la vie, des gens, de l’art, etc., que ceux qui ont été faits avant lui, pour se distinguer, pour demeurer.

Et pourtant, qu’on le veuille ou non, les histoires, même les plus particulières, se répètent. Le numéro actuel en contient un exemple flagrant avec A Star Is Born qui connaît sa quatrième version sous la direction de Bradley Cooper et les atours de la grande production hollywoodienne. Mais n’en est-il pas finalement de même pour Avant l’aurore, ses marginaux en route vers la rédemption et sa plongée au cœur du Cambodge, trajectoire narrative vue dans tant de petites productions indépendantes de par le monde?

Alors, peut-être que la distinction est à chercher ailleurs, dans la capacité d’un réalisateur, d’un acteur, d’une équipe à faire vivre l’image. Combien de films, tels que L’Ombre d’Emily, semblent avoir été fait dans l’oubli que le cinéma, c’est avant tout une matière visuelle et sonore? Pas question ici d’opposer la pellicule sensible au numérique formaté, car bien des films actuels, même chargés d’effets spéciaux, parviennent à la modeler. A l’inverse, des choix formels, tout apparents et maîtrisés qu’ils soient, ne suffisent pas toujours à créer cette vibration, qui ne vient donc pas seulement de ce qui est représenté, ni de la manière par laquelle on le représente.

Dès lors, pourquoi la captation, à travers un seul plan final, du drame intérieur et extérieur qui se déroule irrémédiablement dans Cold War, le dernier film de Pawel Pawlikowski, nous atteint? Pas sûr qu’il y ait des mots pour décrire l’émotion ressentie devant la singularité de cette matière que demeure l’image, autant que le son – au-delà du récit et de la mise en scène. Et ce n’est peut-être pas grave…