Observer le lointain grâce au cinéma: Portrait d'Ilias El Faris

Le 19 septembre 2018


Ilias El Faris, réalisateur et acteur franco-marocain de 27 ans, a été sélectionné pour participer, lors de la dernière édition du Locarno Festival, à la Filmmakers Academy, qui se présente comme «une plate-forme de dialogues et d’échanges» pour les «talents les plus prometteurs des films contemporains». A l’occasion de séances de projections consacrées à leurs œuvres, nous avons découvert le second court métrage d’Ilias El Faris, Roujoula (2018), déjà présenté en compétition officielle au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand et  au Festival national du film de Tanger où il a obtenu le Prix spécial du Jury et du scénario.

Situé au cœur de Casablanca, ce film aborde la problématique des diplômés chômeurs, nombreux au Maroc, dans une tonalité humoristique, empreinte de mélancolie. Imad, vendeur de DVD pirates, un peu rustre, se démène sans succès pour payer le mouton à sacrifier lors d’une fête religieuse, Aïd el-Kébir, honneur qui revient à l’homme de la maison.

Son frère cadet, frêle et introverti, va profiter de cet événement pour tenter de se soustraire à l’emprise d’Imad et occuper une position d’égal. Par-delà cette belle histoire de famille, où l’essentiel se saisit par le regard, les gestes
es personnages, l’ambiance de la ville de Casablanca se ressent, le va-et-vient incessant de son trafic, la solitude nocturne de ses habitants, son effervescence…

Azayz (2016), le premier court métrage du réalisateur, sélectionné lui aussi dans plusieurs festivals, suit le quotidien d’un jeune garçon, Abdullah, vivant à Taghazout, au bord de mer, et occupant son temps à observer les surfers et pratiquer la chasse au poulpe. Tourné sans grand budget en caméra Super 8, avec un montage par moments abstrait, Azayz restitue au monde sa part d’étrangeté, de mystère, non sans rappeler le cinéma surréaliste d’Un chien andalou (Luis Buñuel, 1929).

Ciné-Feuilles           A quel moment de ton parcours t’es-tu décidé à réaliser des films? Ce choix est-il lié à ton expérience en tant qu’acteur?

Ilias El Faris             Non, ce sont des parcours plutôt indépendants. À l’école, je voulais devenir comique. La maîtresse de CM2 me laissait son estrade dès qu’il fallait combler du temps. Mais l’idée de devoir être toujours drôle a fini par m’épouvanter. Si j’ai par la suite joué dans des courts métrages, des pièces de théâtre (et même un opéra!) je ne supportais pas toujours ce rendez-vous pris avec moi-même, j’avais l’impression d’une performance un peu forcée. Bien sûr, cela a été bénéfique par la suite dans mon rapport aux acteurs. Et je n’exclus pas totalement l’idée de concilier une fois le rôle d’acteur et celui de réalisateur.
Quant au cinéma, il a fait irruption plus tard dans ma vie. C’est au lycée, vers 15-16 ans, qu’une option nous a été proposée. Au même moment, mon père me donnait son argentique avec lequel je fabriquais mes premières images. Aussi, j’ai découvert dans l’analyse d’image une possibilité d’exprimer une sensibilité, par un jeu d’interprétation sur l’intention de l’auteur. Dès lors, je me suis décidé à entreprendre des études à Paris 8.

Ciné-Feuilles         Pourquoi avoir choisi de tourner tes deux premiers courts métrages au Maroc?

Ilias El Faris           Partir du Maroc m’a permis de mettre à distance ma représentation du lieu, qui me revient de manière idéalisée. Mon affection y est d’autant plus grande. En y habitant, je constatais surtout que mes références culturelles venaient d’ailleurs, je mesurais la séparation entre moi et l’environnement. Avec mon départ à Paris, je réalisais douloureusement que je quittais un pays incroyable/magique. C’est pourquoi je souhaitais que Roujoula parle avant tout aux Marocains, avec notre humour et notre dialecte. Je voulais être capable d’en parler. 

Ciné-Feuilles          Comment l’idée de chacun de tes films t’est-elle venue?

Ilias El Faris          Selon un lieu se dessine une histoire, avec chaque fois plus de détails et qui va définir aussi le style du film. Avec Azayz, c’est d’abord Taghazout, village d’enfance, que je souhaitais filmer, à la manière d’un souvenir. Il est donc muet, tourné en Super 8, avec des couleurs pastel et un grain poussiéreux. Les acteurs sont non professionnels, tandis qu’avec Roujoula, je voulais saisir la folie urbaine de Casablanca, son bouillonnement mais aussi son inertie, sa solitude, son ennui. L’extraordinaire intervient dans la rue, qui est finalement, comme je le montre dans mon film, plus un lieu de vie que la maison des deux frères où l’intimité semble impossible.
Même si c’était un véritable défi de tourner au centre de la ville, le trafic ne cessant jamais, j’étais déterminé à ne pas changer d’avis, malgré les différentes inquiétudes pré-tournage de mon équipe. Il m’importait d’essayer, quitte à ce que le découpage en pâtisse un peu.Dans Roujoula, l’histoire me tenait à cœur aussi parce que ma cinéphilie a commencé avec des films pirates, particulièrement l’été avant mon départ en France. En fonction de la couverture du DVD, je choisissais le film et à chaque fois, le vendeur me répétait pour «les films d’auteur» le même commentaire: «Had lfilm… (un temps) fchkal» qui veut dire: «Ce film est… (un temps) spécial».

Sabrina Schwob