Mr. Robot de Sam Esmail

Le 29 avril 2020

Mr. Robot fit sensation à ses débuts en 2015, à tel point que les premières saisons étaient diffusées sur les télévisions publiques suisses et françaises. Mais la série s’est faite oublier et la quatrième et ultime saison vient de paraître en DVD et Blu-ray dans une indifférence polie, sans passer par la case TV. Que s’est-il passé?

Produite par une petite chaîne américaine méconnue (USA Network), Mr. Robot était le phénomène de la rentrée 2015. Dans ce techno-thriller qui doit beaucoup à Fight Club et The Social Network de David Fincher, on fait la connaissance d’Elliot Alderson (Rami Malek), brillant informaticien le jour et hacker activiste la nuit, recruté par Mr. Robot (Christian Slater), un personnage lunatique cherchant à faire exploser le système capitaliste. Elliot présente des troubles psychologiques de la personnalité, de telle sorte que le spectateur fait partie intégrante de son subconscient. D’ailleurs Elliot brise constamment le quatrième mur en nous interpelant directement. Malgré une première saison riche en rebondissements, le créateur Sam Esmail promettait qu’il ne s’agissait que d’un premier acte d’une histoire bien plus vaste. Il embraya alors sur trois autres saisons, étendant ainsi son univers complexe, quitte à perdre les spectateurs en route.

Mr. Robot est une des rares séries qui traitent des (non-)conséquences de la crise financière de 2008. Alors que le monde se prenait à rêver d’un changement de paradigme en matière d’éthique dans la finance, tout repartit de plus belle, ignorant les tréfonds de la crise des subprimes. Si la première saison s’attaquait frontalement aux mécanismes de cette finance sans foi ni loi, la suite nuança son propos en questionnant les démarches révolutionnaires et leur récupération inéluctable par tout système dominant. En l’occurrence dans la série, il s’agit d’une guerre commerciale sans merci entre les USA et la Chine, un contexte qui résonne étonnamment bien avec l'actualité.

Mais la grande réussite de Mr. Robot, c’est le personnage d’Elliot Alderson incarné par Rami Malek, inconnu en 2015, oscarisé depuis (en 2018) pour son interprétation de Freddie Mercury. Sur le papier, ce personnage de junkie frustré, prétentieux et voyeur aurait tout pour être agaçant. L’interprétation de l’acteur lui donne une fragilité et un panel de nuances qui le rendent irrésistible, magnétique et attachant. L’auteur Sam Esmail va également astucieusement utiliser les difficultés psychiques du personnage afin de rendre les spectateurs partie prenante dans la personnalité d’Elliot et sa révolution. En regardant la série, on est donc perpétuellement mené à se poser des questions sur les motivations et les valeurs de ce personnage asocial. Lors de l’ultime saison, ce concept de personnalité multiple qui inclut le spectateur va être poussé dans ses ultimes retranchements, quitte à là encore nous perdre dans les dédales mentaux d'Elliot.

Au-delà de ce récit haletant et riche en surprises, Mr. Robot se distingue également par sa réalisation qui porte la véritable marque d’un auteur: Sam Esmail. Réalisateur et scénariste de la plupart des 45 épisodes (chose rare dans «l’industrie» télévisuelle), il a créé un style visuel unique. Outre un soin minutieux dans la composition esthétique de ses décors, il se caractérise par la manière de (dé)cadrer les personnages lors des champs-contrechamps afin d’illustrer leur solitude et l’oppression qu’ils subissent. Au-delà du style, la série comporte également son lot d’épisodes concepts (un plan-séquence, un épisode sans dialogue, une tragédie grecque) qui, loin d'être gratuits, servent au contraire le propos de la série.

On peut regretter un petit ventre mou entre la deuxième et la troisième saison au niveau du rythme, qui auraient pu être condensées en une seule saison. Ces petites errances ont peut-être contribué à faire fuir le large public qui se passionnait pour le début des aventures d’Elliot. C’est fort dommage, tant le quatrième et ultime chapitre conclut ce beau voyage de manière brillante, cohérente tout en restant complètement inattendu. Combinant thriller politique à la Conversation secrète ou Les Trois jours du Condor avec une profonde introspection psychologique de son protagoniste, Sam Esmail propose une œuvre originale, dense et complexe.

USA, 2015-2019 - Diffusion DVD, Blu-ray et sur Amazon Prime - Saisons 1-4 : 45 épisodes de 50'. Acteurs : Rami Malek, Christian Slater, Portia Doubleday, Carly Chaikin, B. D. Wong. Genre : Drame, thriller. Âge : 16. Note : 17.

Blaise Petitpierre