L'édito de Anthony Bekirov - Mario ne sera plus italien

Le 19 octobre 2022

La nouvelle est sans doute passée par-dessus la tête de la majorité de nos lecteurs et lectrices. Mais l’auteur de ses lignes étant un grand amateur de jeux vidéos, il (en l’occurrence, je) ne pouvai(s/t) passer à côté de la chose, car il s’agit aussi d’images en mouvement.

La grande nouvelle donc fut le dévoilement de la première bande-annonce pour le film Super Mario, produit par la firme Nintendo (le studio derrière la série de jeux Super Mario, Kirby, Metroid, Zelda, etc.) et Illumination (le studio d’animation responsable des Moi, moche et méchant). Nous savions que ce film allait paraître un jour, car Shigeru Miyamoto, directeur de Nintendo, avait révélé l’existence du projet il y a un an environ, lors d’une annonce qui relevait d’un rêve fiévreux : voir les noms de Chris Pratt, Jack Black, Anya Taylor-Joy, Seth Rogen ou encore Charlie Day dans les rôles de Mario, Bowser, Princess Peach, Luigi et consorts était tout bonnement surréaliste. On redoutait le pire après le massacre que fut la première adaptation (en live-action) Super Mario Bros en 1993. Or nous avons été quelque peu rassurés, car non seulement il s’agira d’un film d’animation, mais qui plus est, de la plus haute qualité.

Toutefois, un détail plutôt conséquent n’a pas échappé à la communauté : le personnage de Super Mario, censé être italien, a perdu toute trace d’accent. Son doubleur Chris Pratt récite ses lignes sans grand effort, avec son inflexion new-yorkaise banale (pour l’histoire, le personnage de Mario est d’origine italienne mais vit à Brooklyn, NY). Internet a donc crié au whitewashing, c’est-à-dire, l’effacement de la mixité ethnique au profit d’une uniformité caucasienne. Nous pourrions même dire qu’il s’agit d’un american washing. Deux raisons à cela : 1) rendre le film plus sexy pour le public étasunien, assurément la plus ventrue des vaches à lait ; 2) à l’heure de la chasse au politiquement incorrect, Nintendo se protège des critiques potentielles envers l’accent exagérément italien de Mario qui pourrait passer pour une parodie de mauvais goût (dixit le producteur Chris Meledandri).

Pour être honnête avec vous, le Chris Pratt-washing de Super Mario me concerne peu ou prou. Ce qui est intéressant, c’est toujours l’écart entre ce que les gros studios imaginent plaire au public, et la réaction dudit public face au produit. Car disons-le, la composante italienne de Mario a toujours été anecdotique : le très-Japonais Shigeru Miyamoto trouvait que la moustache « brosse » était un attribut italien. Quant à la voix italianisante de Mario dans les jeux vidéo, il s’agit de celle de Charles Martinet, un Américan francophone qui a grandi en Espagne. Autrement dit, s’il devait y avoir scandale autour de l’accent de Mario, il aurait déjà eu lieu. Super Mario est une icône populaire somme toute innocente. Ici, le scandale porte plutôt sur l’étrange paranoïa de Nintendo et Illumination envers la cancel culture. Paranoïa qui marque, selon nous, un moment important dans l’histoire de la métamorphose des médias au 21e siècle au contact de certaines revendications sociales. Pour le meilleur ou pour autre chose.