L'édito de Kim Figuerola - Ma’n al-nakba ou l’impossible retour?

Le 01 mai 2024

Au regard de l’insoutenable horreur et inhumanité qui ont lieu en Palestine depuis des mois, rédiger un éditorial sur le conflit au Proche-Orient m’est apparu comme une nécessité absolue. Afin d’appréhender la mécanique du crime génocidaire en cours, et en tant que critique de cinéma, certains documentaires présentés à la dernière édition de Visions du Réel me furent des sources d’information significatives, mais aussi d’un terrible désespoir. A Fidai Film de Kamal Aljafari, No Other Land de Basel Adra, Yuval Abraham, Hamdan Ballal et Rachel Szor, Avant il n’y avait rien d’Yvann Yagchi et Under A Blue Sun de Daniel Mann témoignent tous de souffrances, de dépossessions territoriales et mémorielles systématiques du peuple palestinien. Comprendre de quelle manière une partie du peuple juif longtemps persécuté se fait persécuteur, et comprendre sur quel mode la branche activiste des Frères musulmans de Gaza est devenue le Hamas, un groupe de résistance islamiste aux méthodes terroristes, c’est revenir aux racines d’une Histoire à la fois locale et globale. D’une Histoire doublement tragique: celle du peuple juif d’abord et du peuple palestinien ensuite.

La déclaration de 1917 d’Arthur James Balfour, qui approuvait le projet d’un foyer national pour le peuple juif, a déterminé le plan de partage de 1947 par la Société des Nations (SDN) qui divise l’actuelle Palestine entre un État juif et un État arabe. Le soutien de l’Empire britannique au mouvement sioniste de Theodor Herzl et la division de ce territoire du Proche-Orient entraîne la première guerre israélo-arabe en 1948. David Ben Gourion, victorieux, déclare la naissance de l’État d’Israël, au détriment de l’Etat arabe, et étend les frontières. Bien que ces jalons historiques doivent être impérativement saisis au regard des pogroms, de la violence de l’antisémitisme et des abominations commises contre les Juif·ve·s durant l’Holocauste, et avant celle-ci, pour les Arabes, 1948 marque le début de la Nakba (la «catastrophe» en arabe). L’ouvrage de l’historien Constantin Zureiq, Ma’n al-nakba («la signification de la catastrophe») établit le concept civilisationnel de la Nakba comme référant intrinsèquement à l’exode de plus de 750'000 Palestinien·ne·s vers des camps de réfugié·e·s au Liban, en Jordanie, en Syrie et dans la bande de Gaza. Une expropriation qui met en lumière le contexte colonial et la domination européenne dans lesquels Israël a été créé. Cinquante-deux ans plus tard, l’appel nationaliste de Ma’n al-nakba de Zureiq répond à celui de L’État des Juifs (1896) de Herzl. Toutefois, Elias Khoury, écrivain libanais, précise que la Nakba n’est pas un événement, mais bien un processus, car les confiscations de terres n’ont jamais cessé. L’invisibilisation du peuple palestinien s’est ainsi mise en place: depuis la propagande politique erronée au début du sionisme d’«une terre sans peuple pour un peuple sans terre» jusqu’aux vagues d’occupations successives. Or, dans les siècles qui précèdent l’Etat sioniste, ce territoire pluriculturel était habité par des communautés juives, arabes, arméniennes et assyriennes (entre autres). Dès lors, l’État israélien ne doit pas uniquement être perçu au seul prisme de la Shoah nourri par la culpabilité de l’Europe, mais aussi à celui du colonialisme, d’une politique d’apartheid, de massacres, d’expulsions, et maintenant de génocide, comme le souligne la journaliste Mona Chollet. Ainsi, la Ma’n al-nakba soulève non seulement la question mémorielle, mais aussi celle du «droit au retour» des Palestinien·ne·s sur leurs terres d’origine.

Bien loin d’avoir articulé ce conflit dans toute sa complexité, j’aimerais conclure par les propos du cinéaste israélien Daniel Mann, lors d’un entretien accordé au Club de Mediapart: sans la reconnaissance de la Palestine et la restitution de leurs terres, Israël ne sera jamais libre. Et la Palestine non plus.