L'édito de Anthony Bekirov - L’or dur de la politique molle

Le 26 avril 2023

Le 24 mars dernier, une quinquagénaire de la commune de Saint-Omer au Pas-de-Calais (France) connue pour son engagement dans le mouvement social des gilets jaunes est interpellée par des policiers pour des posts publiés sur Facebook dans lesquels elle associe de diverses manières les mots « ordure » et « Macron ». Elle s’est défendue en arguant qu’il s’agissant d’une erreur de son correcteur orthographique et qu’elle souhaitait en réalité écrire « l’or dur » et faire un calembour. Personne n’a été dupe. Résultat : elle encourt jusqu’à 12'000 euros d’amende pour « injure publique » envers le Président.

La France, appelée par le passé « pays des droits de l’homme », est devenue depuis plusieurs années une fachosphère ploutocratique qui foule aux pieds les devoirs fondamentaux d’un État envers sa population. Depuis l’accession au pouvoir de Macron, il est évident que le gouvernement ne respecte plus la vie humaine. La situation est alarmante, et comme le montre le cas malheureux de cette femme, la censure existe. Mais alors que la France nous avait habitués après Mai 68 à un cinéma engagé qui n’hésitait pas à être en porte-à-faux avec la politique, le cinéma français de 2020 est tiède, timide, lâche. On nous sert des comédies minables (voir les essais non transformés de Dany Boon), voire ouvertement racistes (Notre tout petit petit mariage) ; on nous sert des délires d’artistes vieillissants qui préfèrent parler relations incestueuses baveuses (Les âmes sœurs de Téchiné) ou de leur nombril (Les années Super 8 d’Annie Ernaux) ; et les rares films à véritable engagement politiques émanent du cloaque de l’extrême-droite la plus éhontée (Bac Nord de Cédric Jimenez, Athena de Romain Gavras, Vaincre ou mourir de Vincent Mottez).

L’excuse de la temporalité ne tient pas. La Vengeance des 47 rōnin brûlot politique dissimulé de Kenji Mizoguchi sortait en 1941 en pleine guerre ; Stanley Kubrick sortait Docteur Folamour en 1964, deux à peine après la crise des missiles de Cuba ; Johnny s’en va-t-en guerre de Dalton Trumbo sortait en 1971, alors que les troupes américaines ravageaient encore le Vietnam. Cela fait depuis 2017 que la présidence de Macron creuse toujours davantage les inégalités entre les classes sociales. Par son silence, par son désir conscient de se déconnecter du réel, le cinéma français se fait le complice de l’oppression de la population.