L'édito de Anthony Bekirov - Locarno 2022: un cinéma comme le soleil

Le 24 août 2022

C’est-à-dire, de plomb. Car cette année, il a fait chaud à Locarno. Très chaud. Les sites de prévision météorologiques émettaient chaque jour des alertes rouges de vagues de chaleur extrêmes. Même avec la climatisation poussée à fond, les salles de projection n’offraient nul havre tant la chaleur moite infectait les matières. Mais le plus désagréable était moins de voir les thermomètres rougir que de devoir subir l’avalanche d’œuvres aux thèmes glauques, sombres, sordides - bref plombant. S’il y a un thème qui traverse la programmation de cette année, c’est bien la crise soci(ét)ale. Et traité plus souvent avec pathos que sans.

Il y aurait peut-être une explication à cela. Car si l’organisation du festival donnait l’impression qu’il n’y a actuellement pas d’épidémie planétaire, les films en lice nous ont montré les stigmates qu’elle aura laissés. Un sentiment d’angoisse informe, de catastrophe imminente qui s’immisce jusque dans l’intimité la plus clandestine des rapports humains, comme si toute interaction équivalait désormais à un pari sans retour. Se montrer léger constituerait un mépris envers la souffrance collective qui fut endurée. Aussi faut-il montrer avec une sècheresse qui confine au voyeurisme des récits de guerre, de viol, d’inceste, de déracinement, de meurtre, de suicide, de maladie, de destruction. Et nous sommes complices dans ce voyeurisme, car les images de détresse possèdent une beauté tragique indéniable. Mais s’il est possible d’évoquer l’horreur sans la dire - d’où viendrait cette complaisance dans la violence qui contamine les opus de cette édition?

Le parti pris le plus audacieux de Nazzaro a été d’avoir donné la voix à la nouvelle génération de réalisatrices et réalisateurs. Les différentes sections de la programmation regorgeaient «d’opera prima», et il y eut peu de place laissée à des cinéastes plus aguerris. Locarno 2022 a ainsi ouvert une fenêtre sur les productions de ces deux dernières années. Un choix généreux pour un festival de cette envergure, et auquel nous devons de jolies découvertes.

Néanmoins, proposer une majorité de cinéastes émergeants est aussi gageure de se retrouver avec des produits plus rugueux, qui débordent parfois d’énergie mais manquent cruellement de sensibilité, de direction, voire tout simplement d’idées. Il était souvent difficile de discerner dans ces assemblages disparates d’images la nécessité de leur existence. Dans le flot contemporain des stimuli visuels dans lequel les signes s’accrochent à la moindre paille pour ne pas se noyer, le fait de créer des images est loin d’être anodin - cela tient presque de l’affront. Aussi il est d’autant plus pénible quand ce qui passe pour le cinéma contemporain n’arrive pas à faire autre chose que ressasser des formes déjà connues, des mises en scène maintes fois vues. Le trait saillant de ces «premières œuvres» est assurément un manque total d’audace à tous les niveaux - esthétique, politique, humain.

Malgré donc l’apparente importance des sujets abordés, une préférence fut donnée aux effets faciles plutôt qu’à la sobriété. La détresse humaine apparaissait alors davantage comme un argument de vente que comme un appel d’urgence.