L'édito de Kim Figuerola - L’intermédialité comme production du sens devant le silence du génocide
Le 02 octobre 2024
Entre l’appareil génocidaire de Pol Pot (de son vrai nom Saloth Sâr) et l’appareil cinématographique, le réalisateur franco-cambodgien Rithy Panh crée des images hybrides par le biais d’une modalité plastique réunissant divers moyens techniques au sein d’un même film. Une intermédialité qui, pour Jürgen E. Müller, théoricien des Media Studies, prend en charge les processus de production du sens liés à des interactions médiatiques. Une croisée des médias donc, qui met non seulement en abyme le cinéma - médium possédant en lui nombre de médias conjoints, y compris ceux qui ont été inventés avant et après 1895 -, mais qui se présente également comme la réponse personnelle de Panh face à l’absence de véritables archives photographiques. Une déficience iconographique qui n’a de cesse d’interroger sa pratique filmique et la période la plus dramatique du Cambodge: la dictature sanguinaire du Kampuchéa démocratique qui, de 1975 à 1979, tua près de deux millions de Cambodgien·ne·s.
Tant L’Image manquante (2013) que Rendez-vous avec Pol Pot (2024) sont des archives-œuvres, nommées ainsi par l’historienne de l’art Soko Phay. Des dispositifs intermédiatiques qui matérialisent le silence du génocide et transmuent l’occultation de la vérité des faits par les Khmers rouges en une manufacture de la mémoire. Une forme de contrepoint à leur doctrine et une hybridation formelle qui se traduit par des surimpressions de journaux télévisés et de films propagandistes, ainsi que des assemblages de photographies noir-blanc, des prises de vue réelles et des figurines en argile. La «fabrica» de Panh met en scène celles-ci dans des décors miniaturisés. Des objets en terre représentant des êtres pour la plupart disparus. Des personnages peints, immobiles et silencieux, mais investis d’une âme et chargés d’émotions. Un théâtre figé mis en mouvement par la caméra. Une machine à remonter le temps qui, par un «langage premier et onirique», restitue les images absentes d’une tuerie de masse. Une reconstitution mémorielle et documentaire contre l’effacement. Alors que cette artificialité visuelle donne corps à ce qui n’existe plus, elle renvoie en outre à celle historique du régime de Pol Pot.
Bien que les films de Panh n’aient pas la prétention de rétablir l’entière vérité historique, ils créent un espace poétique. Une intermédialité qui, à l’aide d’images hétérogènes, établit un lien inhérent entre le passé et la fabrique du cinéma, tel que Chris Marker l’avait si bien dévoilé.