L'édito de Emilie Fradella - Le mensonge au cinéma: vaste territoire d’une vérité fuyante

Le 16 octobre 2024

L’art cinématographique, depuis ses débuts, pourrait s’apparenter au périple d’un arracheur de dents. Chaque plan, chaque coupure de montage, chaque artifice visuel participe à une illusion collective, faisant de cet art l’une des plus puissantes formes de manipulation. Par la mise en scène, qui puise sa force dans le trafic de sentiments, et le montage, garant de la supercherie, le cinéma crée des relations de cause à effet qui ne sont pas toujours présentes dans la réalité, comme l’a théorisé Sergueï Eisenstein. Il voyait le montage comme un moyen de manipuler le spectateur, de provoquer des associations d’idées et de potentiellement contrôler les émotions.

Si le mensonge est omniprésent dans le cinéma, il n’est jamais un simple détournement de la vérité, sauf, peut-être, dans les films de propagande. Le mensonge, ici, ne cache pas, mais propose des possibilités. Il devient nécessaire pour que la vérité prenne forme, car celle-ci au cinéma est insaisissable, subjective. Acte (im)moral sous le joug de la société, ciment de la civilisation au profit de l’intérêt général dans une conception plus philosophique, le sujet continuera d’éveiller les esprits critiques, nourrissant aussi bien l’histoire, la culture que la désinformation.

Dans notre menu de cette quinzaine d’octobre, les films jouent avec le mensonge, chacun selon les codes de son propre genre. Voici un aperçu non exhaustif, basé sur les textes de nos rédacteurs: le très attendu Beetlejuice Beetlejuice (2024) de Tim Burton, fidèle à son style grotesque, où la tromperie explore la vie et la mort dans un entre-deux. Flow de Gints Zilbalodis humanise des animaux pour parler de survie et solidarité dans un monde postapocalyptique, bien que son message soit parfois affaibli par une morale consensuelle. Les biopics Niki de Céline Sallette et Monsieur Aznavour de Mehdi Idir et Grand Corps Malade ne semblent pas exploiter pleinement le «bon» mensonge. Niki reste trop académique pour capturer l’esprit rebelle de Niki de Saint-Phalle. Quant à Monsieur Aznavour, Tahar Rahim incarne le chanteur, qui contrôle son image sans trahir sa mémoire. Enfin, Joker: Folie à deux (2024) de Todd Phillips mêle mensonge et folie pour révéler une vérité perturbante sur la nature humaine, en restant fidèle au personnage créé en 1940.

Ces films interrogent donc notre perception du monde, où le mensonge, bien plus qu’un simple artifice, devient un outil pour explorer l’essence changeante et insaisissable de la réalité: en reflétant la nature du cinéma lui-même.