Le Grand Entretien : Sébastien Marnier

Le 16 novembre 2022

Présenté en première suisse au Geneva International Film Festival (GIFF), L’Origine du mal est le troisième long métrage de Sébastien Marnier. De passage éclair dans la cité de Calvin, nous avons pu rencontrer le réalisateur français afin d’aborder ce thriller envoûtant qui sera à l’affiche du Cinéma CityClub de Pully tout le mois de novembre.

 

L’Origine du mal est régulièrement comparé aux films de Chabrol et de De Palma. Sont-ce de véritables influences?


Je pense que les journalistes ont toujours besoin, au début, de comparer. Mais il est vrai que sur l’affiche de Irréprochable, mon premier film, il était déjà écrit «un thriller chabrolien». Dans le cas de L’Origine du mal, je pense que les gens font la comparaison parce que c’est une peinture très acerbe de la grande bourgeoisie de province française. C’est presque un cliché de dire ça de Chabrol, même si je pense qu’il n’a pas traité, à part dans La Cérémonie, de l’opposition et du transfuge des classes qui sont les questions qui animent mon film.

Concernant De Palma, c’est vrai que la scène d’introduction a une imagerie qui est très liée à celle de Carrie (le film s’ouvre sur un lent plan-séquence dans un vestiaire de femmes, ndlr). C’est un cinéaste que j’adore d’un point de vue formel. J’aime la mise en scène qui se voit, qui raconte quelque chose. Cette part narrative est fondamentale dans mon travail.

 

 La notion de famille est au centre du film, où se situent les inspirations personnelles et la fiction?

 

Ça faisait longtemps que j’avais envie de faire un film sur ce sujet, mais je ne savais pas comment l’aborder. Je suis issu d’une famille de prolétaires de la région parisienne, mes parents étaient communistes et très engagés politiquement. J’ai eu une éducation assez rigide, à un tel point qu’avec mon frère, nous n’avions pas le droit de fréquenter des gens de droite… Lorsque ma mère, quand elle avait 65 ans, a retrouvé son père biologique qu’elle n’avait jamais connu, j’ai trouvé très ironique que ce père, qu’elle avait toujours fantasmé, soit un banquier ultra riche. Il y avait dans cet événement, qui n’est pas une anecdote, mais une histoire fondamentale de ma famille qui a causé bien des remous, à la fois une porte d’entrée sur le personnage de Laure Calamy, qui va découvrir une nouvelle famille, mais aussi cette opposition de classes.


 Cependant, l’image que donne le film de la famille n’est pas très rose…


Le film n’est en effet pas une grande déclaration d’amour à la famille. C’était intéressant de mettre en opposition une femme qui n’en a pas et qui est vraiment prête à tout pour en avoir une et d’autres personnages qui sont prêts à tout pour faire exploser la leur. Je me rends compte depuis la sortie du film, combien c’est universel. Il n’y a pas une famille où il n’y a pas de secrets qui sont révélés à un moment donné et qui créent un bordel monstrueux.


 Puisque vous évoquez les personnages, comment avez-vous choisi cet impressionnant casting?


Ça s’est fait au fur et à mesure. La première qui m’a dit oui est Laure Calamy. J’avais très envie de travailler avec elle et je trouvais qu’il y avait chez cette actrice, dans ce qu’elle dégage et ce qu’elle représente pour les gens, une forme de candeur, de naïveté. Je savais que même si son personnage peut surprendre, elle aurait toute la tendresse des spectateurs. J’ai ensuite construit le casting autour d’elle en ayant envie d’acteurs qui venaient d’univers tous très différents. Je trouvais intéressant de composer une famille de gens qui, a priori, n’ont rien à voir ensemble.


 Un mot sur le travail du son qui est primordial à l’ambiance du film?


C’est une facette très importante de tous mes films. Le travail sonore est la partie que je maîtrise le moins et le moment où je suis le plus spectateur. La coproduction franco-québécoise s’est notamment faite pour ça, car je voulais travailler avec l’équipe sonore de Denis Villeneuve. Je voulais aussi travailler avec Sylvain Bellemare qui est le monteur son et le mixeur du film. Il a une approche du son extrêmement musicale. Je voulais que le film soit découpé en trois parties. La première devait être une exposition instaurant une ambiance sourde. Puis, une partie beaucoup plus influencée par les thrillers des années 1990, avec une grande présence de synthé. Et enfin une dernière partie qui était destinée à épouser le point de vue de Stéphane. C’était la première fois que je pouvais travailler avec un orchestre et je pense que c’est une des plus grosses émotions que j’ai eues en tant que réalisateur.


 Vous avez déclaré «Le cinéma de genre n’est plus un gros mot», quelle est d’après vous la situation actuelle de ce type de cinéma?

 

En France comme aux États-Unis, c’est ce cinéma qui remplit les salles en ce moment. C’est très intéressant, parce que ce sont des films qui drainent un public unique, très jeune. Même avant la crise sanitaire, je pensais que c’est par le genre qu’on allait faire revenir le jeune public en salles. C’est un vrai défi parce que le public est très âgé et on perd tous les jeunes. Il faut qu’on leur redonne envie de voir des films et je trouve que c’est intéressant de se poser la question de ce que doit être un film de genre francophone. Il y a eu plein d’exemples par le passé, Franju si on remonte à très loin, ou même Chabrol. Je pense que c’est intéressant de voir comment ce dernier a été réévalué depuis une dizaine d’années, alors qu’avant c’était un peu le vilain petit canard de la Nouvelle Vague. Dans tous les cas, la question du genre est beaucoup plus transversale aujourd’hui qu’avant.


Propos recueillis par Marvin Ancian


(Voir la critique du film en pp. 6-7.)