Le Grand Entretien : Marina Rosset

Le 05 avril 2023

Sélectionné pour le Quartz du meilleur film d’animation du Prix du cinéma suisse, La reine des renards de Marina Rosset a été réalisé dans une petite pièce de 12m2 avec vue sur un arbre aux feuilles rouge. Rencontre avec la réalisatrice à la veille de la cérémonie de la remise des prix qui s’est tenue le 24 mars dernier aux Bâtiment des forces motrices à Genève.

 

Chloé Hofmann. La reine des renards raconte l’histoire d’une reine très triste que ses amis renards essaient de consoler en lui apportant des lettres d’amour que des êtres humains ont jetées à la poubelle parce qu’ils étaient trop timides pour les envoyer. Est-ce que vous avez écrit beaucoup de lettres d’amour que vous n’avez jamais osé envoyer ?

Marina Rosset. Oh oui ! [rires] ll y en a quelques-unes que je garde encore dans mes tiroirs !

CH. Comment est née cette histoire que vous mettez en scène dans La reine des renards ?

MR. J’ai écrit une première version il y a 15 ans. Il était déjà question de renards et de lettres, mais l’histoire avait alors une fin tragique et je trouvais que ça ne fonctionnait pas. À l’époque, j’étais très préoccupée par des lettres d’amour que j’aurais préféré ne pas recevoir et par d’autres que j’avais écrites et que je pensais ne pas devoir envoyer. Cela m’a amenée à me dire que, peut-être, une même lettre peut faire plaisir à une personne et, au contraire, pas du tout à une autre… Que tout n’est finalement pas tant une question de contenu, mais plutôt de destinataire. Après La fille aux feuilles [2013], quand je cherchais une nouvelle idée, je me suis dit que je voulais réaliser un film qui finissait bien. J’ai fouillé dans mes dossiers et j’ai retrouvé cette histoire que j’ai entièrement réécrite.

CH. Comment avez-vous procédé ? Est-ce que vous avez écrit un scénario ?

MR. J’ai d’abord écrit dans ma tête et j’ai raconté cette histoire à des personnes qui me sont proches. Les réactions de ce premier public m’ont permis de voir là où les gens suivaient ou, au contraire, là où ils décrochaient. Quand je suis arrivée à un résultat qui me semblait à peu près satisfaisant, j’ai adapté mon histoire en un mélange de texte et de storyboard. Je n’ai jamais réussi à faire un scénario sans faire aussi des dessins. Il y a des scènes qui fonctionnent bien quand on les raconte, mais qui ne fonctionnent plus du tout au moment du passage aux images. Il faut alors réécrire ces scènes, les raconter autrement pour réussir ensuite à leur donner vie grâce aux dessins.

CH. La matière est très présente dans votre film, il y a beaucoup de traces de coup de gomme, de crayon gris, on ressent même parfois la texture du papier sur lequel vous dessinez. Quels sont les outils que vous avez utilisés lors du tournage ?

MR. Ce côté un peu sale c’est une préférence personnelle. Je dessine beaucoup pour moi et j’aime quand on voit une trace humaine, que tout n’est pas parfait, qu’il y a des aspérités. C’est aussi un résultat que je cherche à atteindre dans mes films même si c’est plus compliqué quand on commence à animer ce genre de dessin, car il faut que l’image reste lisible.

Pour mes films, je travaille sur du papier à photocopieuse de format A4. Il y a un peu plus de dix ans, j’ai hérité d’un ancien étudiant de la Haute école de Lucerne, où j’ai étudié, d’une perforatrice spéciale qui me permet de faire des trous dans ces feuilles et de les placer sur une barre à tenons. Dans le cas de La reine des renards, j’ai d’abord réalisé l’animation au crayon, sur papier. J’ai ensuite scanné mes dessins et je les ai coloriés à la tablette, sur Photoshop. Pour les gros plans, j’ai ajouté encore une couche avec des détails, par exemple des poils, que j’ai aussi réalisés au crayon. J’apporte souvent une attention plus grande aux gros plans ou aux plans dans lesquels il y a peu de mouvement, car ce sont en général les plans qu’on regarde le plus longtemps. Si vous examinez les dessins qui représentent des renards qui courent à l’écran, ils sont beaucoup moins précis, moins texturés que ceux en gros plans. 

CH. Pour ce film comme pour les précédents courts métrages que vous avez réalisés, vous avez presque tout fait seule. Qu’est-ce que le fait de travailler de cette façon vous offre ?

MR. Travailler seule me permet de m’organiser comme je le veux et de, par exemple, commencer l’animation de mes films avec quelque chose qui est moins défini que si je devais travailler avec d’autres personnes. Je me sens vraiment plus libre pour improviser. Mon problème, c’est que je fais toujours beaucoup de tests au début d’un tournage, que j’ai besoin de passer par le dessin pour voir ce que je veux et quelles sont les scènes que je vais garder ou non. Souvent je me dis que j’essaie et que si jamais ça ne fonctionne pas ce n’est pas grave, que je peux jeter. J’ai besoin de ça pour ne pas être paralysée. Mais quand c’est le travail de quelqu’un d’autre qui est en jeu, je trouve beaucoup plus compliqué de ne pas le conserver et ça a tendance à me stresser.

CH. On peut quand même lire dans le générique de fin de La reine des renards que Lisa Leudolf a réalisé des tests pour l’animation. En quoi a consisté cette collaboration ?

MR. C’est vrai. Lisa avait déjà travaillé avec moi pour La fille aux feuilles. Elle s’était chargée de colorier au pastel gras certaines animations. Pour La reine des renards, elle s’est notamment occupée de faire des images intermédiaires. Mais comme je suis parfois un peu désorganisée, c’était compliqué pour moi de devoir me préparer pour ensuite donner du travail à une autre personne alors que je ne savais pas forcément moi-même où je voulais aller. Quand quelqu’un d’autre que soi fait une partie du travail, il faut savoir à l’avance ce qu’on veut et le communiquer.

CH. Si jamais vous gagnez le Quartz du meilleur film d’animation demain, est-ce que vous savez déjà ce que vous allez dire ?

MR. En fait je ne serai pas là demain ! Je viens de rentrer du Japon après plusieurs semaines de voyage et je n’étais pas certaine d’être de retour à temps. J’ai donc préféré ne pas annoncer ma présence et comme personne n’a insisté pour que je sois là… [rires]. Mais peut-être que je regarderai la cérémonie à la télé !

 

Propos recueillis par Chloé Hofmann