Le grand entretien – Daphné Rozat

Le 23 février 2022

«Les jeunes se battent de plus en plus pour leurs droits»


La responsable programmation documentaire du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH) nous livre les grandes lignes d’une 20e édition portée par une nouvelle génération d’activistes. Rencontre.


Depuis ses débuts, le Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH) a déployé un halo de lumière exigeant et engagé, à travers films, rencontres et débats. Cette année, du 4 au 13 mars, la manifestation genevoise fête aussi ses vingt ans, avec une belle palette d’activistes, d’experts et de cinéastes du monde entier. Le temps d’une soirée, la célèbre cantatrice Barbara Hendricks, ambassadrice honoraire à vie du UNHCR et marraine historique du FIFDH, interprétera les plus grands airs du gospel et du blues, en l’honneur de militantes aux États-Unis, à l’image de la «mère» du mouvement des droits civiques Rosa Parks. Rencontre avec Daphné Rozat, responsable de la programmation documentaire du FIFDH, consciente de l’impact qu’une œuvre cinématographique peut avoir sur le monde.


L’affiche de votre festival, signé du photographe de rue japonais Shin Noguchi, montre le cri d’une enfant - celui de sa propre fille. Que représente-t-il pour le festival?

Un cri qui montre la nécessité de parler des droits humains! Haut et fort, pour construire un monde plus juste. Rights now! Des droits pour toutes et tous, tout de suite. La petite fille sur l’affiche représente la nouvelle génération, l’avenir. Cette année et pour célébrer ses vingt ans, le festival a aussi décidé de mettre en lumière de jeunes activistes qui font bouger les lignes, dont Paxton Smith, qui se bat pour le droit à l’avortement au Texas, et Winnie Tushabe, qui a développé la permaculture en Ouganda, permettant à beaucoup de villages de ne plus souffrir de la famine. Nous pensons que les jeunes d’une vingtaine d’années doivent être écoutés, ici, maintenant. Nous avons la volonté d’aller de l’avant avec eux, d’exposer ce nouvel élan.


Vous tissez aussi des liens dans la durée avec les cinéastes?

Bien sûr, nous gardons contact avec les réalisateurs et autres intervenants, le plus possible aussi en dehors du festival. On tente d’être utiles, de les mettre en contact avec des associations, des ONG… ou de les réinviter avec un autre film! Cette année, nous avons le plaisir d’accueillir, à nouveau, la Polonaise Hanna Polak, qui présente en première mondiale Angels Of Sinjar, autour du terrible massacre des Yézidis, en Irak. Il est important pour nous de dénoncer les horreurs qui ont été perpétrées là-bas. La réalisatrice et les protagonistes du film seront présents. La Suisso-Mexicaine Juliana Fanjul revient avec Je suis noires, cette fois aux côtés d’une coréalisatrice, Rachel M’Bon. Ce documentaire inédit évoque la condition des femmes noires en Suisse, ce qu’elles endurent, leurs combats. Un débat autour du racisme systémique en Suisse donnera un autre éclairage sur la question. On suit également la carrière de Nabil Ayouch, cinéaste franco-marocain, qui révélera une fiction détonante, Haut et fort, pleine d’énergie, sur la jeunesse, le rap. Enfin on est heureux de recevoir Juan José Lozano, dont nous avons montré plusieurs documentaires et qui signe maintenant, avec Zoltán Horváth, Jungle Rouge, une fiction autour des FARC en Colombie. En plus de son discours, la proposition formelle du long métrage est aussi très audacieuse, alliant l’animation et la prise de vue réelle.


Votre festival rassemble le cinéma et les droits humains. Est-ce que la frontière entre la réelle ambition artistique - l’envie de cinéma - et les objets délivrant plus concrètement un discours est-elle parfois floue?

La frontière est volontairement un peu floue car nous proposons au public de nombreux films de cinéma qui dénoncent des violations des droits humains et que nous montrons en introduction de débats. C’est le cas par exemple cette année d’Invisible Demons de Rahul Jain. Ce film fait passer un message fort sur la pollution extrême à travers de magnifiques images, sans donner de leçon, sans aucun commentaire. Et chaque plan transmet une émotion. Dans Le Dernier Refuge d’Ousmane Zoromé Samassékou, un film très sensible, la forme se met aussi au service du sujet de la migration intra-africaine.


Votre spécificité réside aussi dans le fait de présenter des films suivis de débats. Quels souvenirs gardez-vous des éditions précédentes et quelles sont les rencontres que vous attendez cette année?

Je garde toujours en tête la rencontre qui a suivi la projection de The Pearl Of Africa de Jonny von Wallström, en 2016, au sujet d’une femme transgenre ougandaise. Le documentaire est un long voyage, jusqu’à la transformation, dans un contexte difficile. Dans la salle, à la fin du film, la protagoniste est montée sur scène pour participer au débat et tout le monde s’est levé pour l’applaudir, un moment vraiment puissant. Cette année, je me réjouis de la rencontre avec Chelsea Manning, ancienne analyste de l’armée américaine, qui expliquera lors d’un grand entretien la façon dont toutes les nouvelles technologies tendent aujourd’hui à nous manipuler.


Plusieurs films évoquent la problématique des nouvelles technologies justement. Quels sont les enjeux aujourd’hui?

Le monde virtuel nous donne l’impression d’être plus libre alors qu’on ne l’est plus vraiment. À ce sujet, nous présentons des longs métrages avec une réelle valeur éducative, comme Made To Measure des cinéastes Hans Block, Cosima Terrasse et Moritz Riesewieck, qui révèle à quel point nous laissons tout le temps des traces sur le net. Cette œuvre devient un moyen efficace pour tirer la sonnette d’alarme, donne à réfléchir et incite à légiférer avant qu’il n’y ait des dérives totalitaires.


Vous lancez également la 4e édition des Impact Days. Est-ce que les éditions précédentes ont montré des résultats à la suite des rencontres?

Tout à fait. Nous proposons toujours dans ce cadre des rendez-vous ciblés, avec des fondations ou associations. Le film #387 de Madeleine Leroyer, qui a participé à l’Impact Day en 2019 est un bon exemple. L’équipe du film y a rencontré SOS Méditerranée Suisse et ensuite lancé avec SOS Méditerranée Suisse, Allemagne et France une campagne de sensibilisation sur les migrants sans noms qui périssent en Méditerranée.


La première rencontre, un workshop, s’axera sur l’impact réel que peuvent avoir les films documentaires sur la société. Comment les films participent-ils à changer le monde?

C’est la question qu’on pose aussi toujours aux cinéastes! Je pense qu’un film aide à changer les choses dans la mesure où il peut pousser les spectateurs à agir. Est-ce suffisant? Cela ne l’est jamais. Nous cherchons en tout cas à donner des outils, à ouvrir le débat, à provoquer des chocs, à donner envie de s’engager.


C’est la dernière édition de la directrice générale Isabelle Gattiker. Comment voyez-vous l’avenir?

J’ai toujours tendance à être positive et je suis contente pour Isabelle, un autre beau projet s’ouvre à elle (Isabelle Gattiker a été nommée directrice générale de l’Office cantonal de la culture et du sport (OCCS) du Canton de Genève, ndlr). Je suis aussi un peu triste mais pense que cela apporte de nouvelles opportunités au festival.


Propos recueillis par Adrien Kuenzy



Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH)

Du 4 au 13 mars

www.fifdh.org