L'édito de Adèle Morerod - Le documentaire mis à l’honneur

Le 15 mai 2018

Est-ce le vent, lointain, des révoltes de mai 68, qui redonne une telle place au documentaire dans les programmes des cinémathèques? Quasi simultanément, Jean Rouch et Chris Marker, le premier à la Cinémathèque suisse, le second à Paris, qui lui consacre une exposition, voient leurs films célébrés, leur figure reconvoquée.

Et ce n’est que justice. Tous deux auront, à leur manière, redessiné le cinéma français de l’après Seconde Guerre mondiale, qu’on les associe au cinéma-vérité ou au cinéma ethnographique, au film essai ou au film portrait. Ils auront aussi participé d’un mouvement général, où les caméras se tournaient vers autre chose, avec un nouveau regard: l’Afrique avant tout pour Rouch, l’ailleurs, le futur et le passé pour Marker. Témoins d’une génération marquée par la perte d’illusion quant à un cinéma qui permettrait de prévenir l’horreur, ils auront chacun établi une œuvre qui impose le devoir de mémoire et de conscience, comme réponse, comme urgence dans un monde qui ne cesse d’oublier.

Mais il ne faudrait pas oublier non plus que cet engagement par le cinéma sera aussi passé par une exploration de la forme et du genre documentaire. Lorsque Jean Rouch laisse la voix d’Oumarou Ganda, le protagoniste principal de Moi, un Noir, prendre le contrôle du récit construit par les images, c’est non seulement la colonisation qui est soumise à la question mais le procédé même du commentaire qui est transformé, personnifié. Comme la mise en parallèle d’une fusée spatiale russe avec l’évocation orale des listes de la princesse japonaise Shonagon vient brouiller, dans le Sans soleil de Marker, passé et présent, poésie et technologie. Documentaire et fiction.

Adèle Morerod

- Chris Marker à la Cinémathèque française: Chris Marker, les 7 vies d’un cinéaste, jusqu’au 29 juillet.
- Jean Rouch en rétrospective: jusqu’au 30 juin à la Cinémathèque suisse.