L'édito de Adrien Kuenzy - Le début, la fin?

Le 17 novembre 2021

Pour un artiste, connaître le succès, c’est risquer la défaite (ou l’inverse). Certainement, les cinéastes ou interprètes se servent de l’ambivalence des sentiments, tel un moteur, pour entamer chaque nouveau projet. Car il y a la peur d’être rejetés, incompris, has been ou simplement mauvais. Mais il y a aussi le besoin d’exprimer une idée, une impression, de trouver du sens ou de rêver. Enfin l’envie de briller, d’être reconnus par ses pairs, le public, la presse; les cinéastes sont soutenus lorsqu’ils plaisent, critiqués quand ils ne sont plus à la hauteur des espérances. Ou pire, ignorés. À tous les niveaux, un créateur peut se prendre une grosse gifle, car rien n’est jamais acquis. Jamais.

Pour la nouvelle génération, la passion, le talent et surtout le travail permettent de franchir le cap du premier long métrage. Elie Grappe, tout jeune cinéaste formé à l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL) et dont un riche entretien ouvre ce numéro, est directement passé des courts métrages aux Oscars, avec son film Olga qui déjà rafle les prix. L’interview qu’il nous accorde est une bouffée d’air frais, révélant son travail avec de véritables athlètes capables de porter, avec brio, un univers dramatique. Pour celles-ci également, c’est une première! Tout comme pour l’Argentin Alejandro Telémaco Tarraf qui signe Piedra sola, un essai réalisé à 4'000 mètres d’altitude, sur les hauts plateaux andins. Avec l’envie de suspendre le temps, jusqu’à fondre l’être humain dans cette nature qui l’a fait.

Le temps des premières fois apparaît aussi dans d’autres films à découvrir. Premières retrouvailles entre deux amies, après quinze ans de rupture, dans À voix basse, documentaire de Heidi Hassan et Patricia Pérez Fernàndez. Ou comment un film devient un bon prétexte pour rattraper le temps perdu. Dans Haute Couture, très apprécié par notre critique, c’est une première expérience professionnelle au sein de la maison Dior qui marque un tournant dans la vie de Jade, une jeune femme paumée.

Mais célébrons également, sans trop nous attarder, toutes celles et ceux qui se retrouvent aujourd’hui sous le feu de la critique, après avoir prouvé tant de fois qu’ils méritaient les honneurs. Au moment de la sortie de Tre piani de Nanni Moretti, nombre de journalistes ont estimé que l’Italien avait perdu sa flamme. Tout comme maintenant Cry Macho décrédibilise Clint Eastwood, 91 ans, et qu’on dit sur son déclin. Gardons en tête les mots du talentueux cinéaste portugais Miguel Gomes, discrètement glissés durant une pause clope, au soleil: «Tu sais, rien n’est jamais définitif.»