L'édito de Sabrina Schwob - Le cinéma suisse: la fondation d’un mythe?

Le 27 mars 2019

Le cinéma suisse semble rencontrer des difficultés dans la production et la diffusion de films, compte tenu de ses spécificités nationales. En effet comment, en tant que producteur, prendre le risque d’investir dans la réalisation d’une œuvre, sachant que celle-ci ne parviendra pas nécessairement à outrepasser les frontières régionales, délimitées par les espaces linguistiques (et, éventuellement, culturels)? Diffuser une œuvre dans les pays d’une même aire linguistique ne semble par ailleurs pas être une tâche aisée non plus, l’Allemagne et la France produisant et diffusant déjà un nombre élevé de films. Quels moyens sont dès lors envisagés, en dehors de la coproduction ?

L’absence d’une grande industrie cinématographique en Suisse a toujours favorisé une production essentiellement tournée vers le documentaire - que l’on pense aux films de Bron, Melgar, Gonseth, Chuat et Raymond (réalisatrices des Dames). En termes de chiffres, sur les 74 productions nationales de l’année 2017, 49 d’entre elles étaient des documentaires.

Les quatre films suisses présents dans ce numéro indiquent aussi peut-être des tendances de ce cinéma. Comme le signale Adèle Morerod à propos du docu-fiction 1818 - La débâcle du Giétro, le réalisateur entremêle les formes du documentaire et de la fiction, en proposant de reconstituer une catastrophe imminente intervenue dans la commune de Giétro au XIXe siècle, tout en y incluant des documents d’archives. Le magnifique documentaire de Stéphane Goël, Insulaire, va par d’autres moyens confondre les genres, et les temporalités, en insérant des lettres d’Alfred von Rodt, lues sur des images documentaires, comme pour mieux inscrire le présent dans le passé de l’île de Robinson Crusoé. Si Zwingli est bien quant à lui une fiction, ne partage-t-il pas avec les films mentionnés l’envie de dévoiler des parties oubliées de l’histoire nationale, en revenant sur la vie du réformateur zurichois ? À l’image de l’inoubliable Apollon de Gaza qui travaille à la création d’un mythe à partir d’un événement historique, le cinéma suisse ne chercherait-il pas à interpréter le présent par l’éclairage du passé?