L'édito de Anthony Bekirov - Le cinéma en deuil

Le 21 septembre 2022

Ils sont décédés à deux jours d’écart, comme si le second avait emboîté le pas à l’autre. Alain Tanner (1929-2022) et Jean-Luc Godard (1930-2022) n’étaient pas seulement d’immenses cinéastes suisses, ils étaient avant tout des figures majeures du cinéma mondial. Avec l’humilité qui est propre à l’Helvétie, il est coutume de sous-estimer l’importance de nos artistes. Et pourtant, Alain Tanner avait fondé le Groupe des 5 (Michel Soutter, Jean-Louis Roy, Jean-Jacques Lagrange remplacé par Yves Yersin en 1971 et Claude Goretta) en 1968 pour chambouler le paysage cinématographique. Charles mort ou vif (1969), La Salamandre (1971) et Jonas qui aura vingt-cinq ans en l’an 2000 (1976) sont tous les trois des films qui ont marqué les générations parce qu’ils parlent de ces générations. Un cinéaste engagé, militant et furieusement novateur dont on espère que la mémoire sera honorée à juste hauteur par les institutions suisses. Loin de nous évidemment l’envie de tomber dans un débat patriotique creux, réduisant ainsi le génie artistique fulgurant au génie national. Ce n’est pas le cinéma suisse qui est en deuil, mais bien le cinéma mondial, le cinéma tout court. Il se trouve qu’Alain Tanner et Jean-Luc Godard résidaient en Suisse, et cela est une raison suffisante pour leur accorder l’honneur d’une longue notice nécrologique. Après tout, si l’on se permet d’inonder les journaux avec le décès d’une royauté britannique qui n’a même pas tourné de film, on peut bien noircir quelques pages pour ceux qui ont participé à l’élévation esthétique de l’humanité.