L'après-fermeture des salles: rencontre avec Nicolas Wittwer du CityClub

Le 28 avril 2021

Le CityClub de Pully se revendique comme l’un des derniers cinémas indépendants de la région lausannoise. Ouvert en 1958, il a frôlé la fermeture définitive en 2011 avant d’être sauvé par la création de l’association actuelle qui œuvre pour faire vivre le lieu. Aujourd’hui, le CityClub est un cinéma avec une salle unique de 200 places, ouvert tous les jours de la semaine et situé à dix minutes du centre-ville de Lausanne. Il est dirigé au quotidien par une équipe de cinq personnes, secondées par plus de 50 bénévoles et propose des films inédits, des séances adressées aux seniors ainsi qu’aux jeunes ou encore des ciné-concerts.

Rencontre avec Nicolas Wittwer, chargé de communication au CityClub, qui nous fait redécouvrir ce cinéma et la manière dont il fait face à la crise sanitaire.



CF Quelle était la situation du CityClub avant l’arrivée de la crise sanitaire?


NW Lorsque l’association a repris la gestion du lieu, la situation était critique. Mais en nous démarquant, nous avons réussi à attirer rapidement un public fidèle. Entre 2011 et 2019, nous avons réalisé chaque année de meilleurs résultats concernant la fréquentation. Nous sommes passés de 5’000 spectateurs par année lors de la reprise de la salle à 25’000 juste avant l’arrivée du COVID. C’est en misant sur les soirées spéciales que nous avons réussi à faire vivre le cinéma. D’aller au cinéma devient alors un événement, les spectateurs viennent pour passer une soirée et non pas juste pour voir un film.



CF Venons-en à la crise actuelle justement, comment le CityClub vit cette période qui a mis à mal de nombreux secteurs, dont la culture?


NW Étant une association, nous bénéficions de subventions qui s’élèvent à hauteur de 30% de notre budget. Une grosse majorité du budget est donc couverte par nos propres recettes. Sans ces recettes, nous nous en sommes quand même sortis jusqu’à présent grâce aux RHT (réduction de l’horaire de travail, ndlr) et aux subventions qu’il nous restait. Nous n’avons donc pas été inquiétés sur le court terme, mais l’inscription dans la durée de la crise est préoccupante. Nous sommes une salle de 200 places et je pense que nous allons être restreints à 50 personnes encore longtemps, ce qui implique une rentrée d’argent moindre. Lorsque les aides vont s’arrêter et que nous ne pourrons pas organiser d’événements avec 200 personnes, nous aurons moins de recettes pour les mêmes charges.



CF Pendant la fermeture du cinéma, vous avez proposé différentes offres (films en VOD, diffusion de concert en direct). Celles-ci ont-elles bien fonctionné?


NW Nous avons atteint environ 650 visionnements pour les films que nous proposions en ligne, via notre site internet. Un chiffre encourageant dans la mesure où, en choisissant de regarder un film depuis notre site internet, il y avait chez beaucoup de spectatrices et spectateurs une volonté aussi de nous soutenir en attendant la réouverture. Lors de la deuxième fermeture cet automne, nous avons poursuivi notre sélection de films en ligne mais nous avons davantage misé sur du contenu original, produit par nos soins, avec les concerts en streaming ou les «CityClub Sessions». À ce jour, plus de 27’000 personnes ont regardé tout ou une partie de ces vidéos musicales tournées au CityClub: c’est un très joli succès et nous sommes surtout fiers d’avoir pu soutenir la scène locale avec ce projet!



CF Au-delà de cette reprise de programmation, comptez-vous prioriser les films récents au détriment des films sortis pendant la fermeture (et donc non sortis en salle)?


NW Notre programme de réouverture comporte à la fois des films que nous aurions dû montrer ces derniers mois (comme Énorme ou Adolescentes) et des films inédits. Nous avons la chance de pouvoir composer notre programmation avec des coups de cœur, souvent que nous importons directement. Parfois, ce sont des films déjà sortis dans des pays étrangers. Dans ce sens, la question de la «nouveauté» est pour nous presque secondaire. Notre programmation est avant tout guidée par des envies.


Bien entendu, nous travaillons aussi beaucoup avec des distributeurs suisses qui nous proposent des films récents. Si ces films nous plaisent et qu’il y a en plus la possibilité d’organiser des événements autour de la sortie, nous entrons en matière avec enthousiasme.



CF Après des mois de fermeture, l’offre de films est-elle plus conséquente due à un effet «entonnoir»?


NW Nous n’avons qu’un écran et donc la possibilité de projeter qu’un film à la fois. L’effet entonnoir, nous le connaissons chaque mois: le nombre de films que nous aimerions montrer est toujours très important.


Mais indépendamment de cet aspect, la difficulté aujourd’hui pour les distributeurs et exploitants suisses est d’attendre que les autres pays ouvrent aussi leurs salles et que la situation s’améliore. Pour l’heure, beaucoup de sorties sont encore repoussées, ce qui a évidemment un impact sur le choix des films en Suisse.


Dans un moyen terme, il y aura par ailleurs un vrai risque d’entonnoir pour les «petits» films suisses. Avant la crise, beaucoup devaient déjà compter sur le soutien des cinémas indépendants pour être vus en salles. Ces derniers seront sans doute encore plus mobilisés à l’avenir sur ce genre de films et ils ne pourront pas tous les montrer. Le nombre de films suisses produits qui ne sortent pas en salles risquent donc encore d’augmenter. D’où la nécessité de réfléchir à la stratégie de soutien pour la distribution et l’exploitation des films en Suisse.



CF Vous avez évoqué vos inquiétudes quant à une jauge restreinte de spectateurs sur la durée. Au-delà de cet aspect, comment envisagez-vous l’avenir pour le CityClub?


NW Je pense qu’un lieu comme le CityClub, où nous axons sur les rencontres et l’événementiel, parvient à toucher un public qui a envie de venir en salle. Nous arrivons à répondre à une demande de spectateurs cinéphiles ou juste curieux. De ce point de vue, notre modèle fait que nous avons un public de niche, mais qui peut être nombreux. Nous avons reçu tellement de messages d’encouragement que nous sentons que les gens ont envie de revenir.


Au-delà de la crise, la fréquentation des cinémas baisse chaque année, il faut donc faire de la salle un lieu de rencontre unique. Même si les gens ont, avec la crise, pris davantage l’habitude de regarder des films à la maison, je ne vois pas la VOD comme un danger, mais comme une offre complémentaire à ce que nous faisons. Nous ne sommes pas effrayés car nous faisons quelque chose de spécifique.


Je suis assez confiant pour la suite, si nous continuons comme nous le faisons, nous aurons assez de spectateurs. Il faut travailler sur l’identité de la salle pour que les gens aient envie de venir, et je pense que nous y parvenons. Ça nécessite une grande part d’implication pour faire du CityClub un lieu unique. C’est notre défi.


Entretien réalisé par Marvin Ancian