L'édito de Anthony Bekirov - La monétisation des minorités

Le 05 octobre 2022

Quand Georges Méliès présentait ses films dans les circulaires qu’il distribuait aux passants, il prétendait pas moins « donner une nouvelle vie à un commerce agonisant ». Nous étions en 1903 ! Son argument de vente ? « Faire des films composés de scènes artificiellement arrangées ». Il avait dans son collimateur les documentaires des Frères Lumières qui n’excitaient plus le public. Ce qu’il fallait pour ramener le peuple au cinéma, c’était de l’artifice, de la mise en scène, maquiller la réalité pour la rendre plus appréciable au palais.

120 ans plus tard et ce discours semble faire désormais loi. Nous devons encore subir des films comme « Athena » et « The Woman King ». L’un comme l’autre prétend se baser sur des situations réelles. Le premier, des mots du réalisateur, souhaite offrir un constat objectif des tensions sociales dans les cités françaises de confession musulmane. Le second, rendre hommage à des guerrières africaines du 19siècle qui ont résisté à la colonisation. Les deux, prennent le spectateur pour un abruti.

Romain Gavras ne cesse dans son film d’interroger la véracité des images qui circulent : c’est l’incertitude sur l’identité des policiers qui ont tué le jeune Idir (sont-ce des CRS ou des fascistes déguisés ?) qui est à la source de l’impossibilité de communication entre les autorités et les jeunes révoltés. Sauf que le réalisateur lève toute ambiguïté en nous montrant que, effectivement, les néonazis sont derrière l’homicide ; en montrant les jeunes des cités forcément incapables de réflexion et juste bons à beugler parce qu’apparemment l’intelligence n’existe que dans les sphères bourgeoises parisiennes ; en montrant les CRS comme des humains parce qu’eux aussi pleurent et ont des familles, mais quand même, ils frappent trop fort. Comment ameuter le plus de spectateurs dans les salles sinon en les biberonnant de caricatures de minorités qui émeuvent les nantis et cherchent à parler aux premiers concernés ?

Cela nous mène à « The Woman King », film à vocation féministe et anticolonialiste. Toutefois, les actrices sont afro-américaines, sinon sud-africaines (le Royaume du Dahomey est en Afrique de l’Ouest), qui parlent toutes en anglais contemporain avec un accent africain uniforme et outrancier, parfois saupoudré d’expressions en langue indigène (?) pour que ce soit exotique tout de même. Regardez « Le Tigre d’Eschapnur » de Fritz Lang tourné en 1959 en Inde – le principe est procédé-à-procédé le même. Comment prendre au sérieux le projet de la réalisatrice Gina Prince-Bythewood quand elle cède si facilement à la rhétorique du spectacle ? Comme si ces événements, pourtant fascinants, ne pouvaient être goûtés qu’à travers le prisme hollywoodien. Mais c’est là insulter l’intelligence du spectateur, que l’on estime incapable d’apprécier un sujet « lourd » sans passer par des clichés aberrants d’une autre époque (on croirait parfois écouter Michel Leeb parler). On a plutôt l’impression que les buzzwords « féminisme » et « colonialisme » ont été imprimés pour, à nouveau, appâter le chaland.

Ce que ces films ont de nauséabond est que sous couvert de parler de minorités et de combats sociaux, ils font de ces derniers un bien d’échange monétaire dans le grand flux capitaliste du divertissement. Et comme l’Enfer est pavé de bonnes intentions, il n’y a nulle raison de leur pardonner.