Gabrielle

Affiche Gabrielle
Réalisé par Patrice Chéreau
Pays de production France, Italie, Allemagne
Année 2004
Durée
Musique Fabio Vacchi
Genre Drame
Distributeur Mars Distribution
Acteurs Isabelle Huppert, Pascal Greggory, Claudia Coli, Thierry Hancisse, Chantal Neuwirth
Age légal 14 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 510
Bande annonce (Allociné)

Critique

"Après INTIMITE et SON FRERE, Patrice Chéreau a adapté pour le cinéma une nouvelle de Joseph Conrad, ""Le Retour"". Un thème qui, sous l'inspiration de l'écrivain, avec le regard de Chéreau et le talent de deux acteurs, donne un chef-d'œuvre éblouissant.

Dans la belle maison aristocratique de Gabrielle (Isabelle Huppert) et Jean Hervey (Pascal Greggory), on reçoit tous les jeudis depuis dix ans un cercle d'habitués. Un de ces salons mondains du début du XXe siècle où bourgeois et artistes se côtoient. On aime y venir. On se connaît bien. On regarde - on se regarde -, on parle, on rit: mœurs d'une société bourgeoise où le paraître, la franchise, la dissimulation ont leur place. Certains envient la réussite des maîtres de maison.

Soudain, coup de théâtre. Alors que Gabrielle est sortie et tarde à rentrer, Jean découvre une lettre: ""Je pars... Gabrielle."" C'est le choc, la consternation. Le retour de Gabrielle, en fin de journée, va produire un cataclysme: cet homme, cette femme vont se voir pour la première fois et faire le cruel constat: leur couple n'a jamais vraiment existé. Ils vont prendre conscience qu'il n'y a jamais eu d'amour entre eux depuis leur dix ans de mariage. Difficile dès lors d'être dans la même maison.

Si, dans la nouvelle, Jean est au centre du propos et porte le rôle de narrateur, le réalisateur y a développé le personnage de Gabrielle, dont la présence va éclairer toute la dramaturgie.

D'emblée, nous découvrons les partis pris esthétiques. Le noir et blanc, qui vient signaler des changements de temporalité, est un contrepoint à la palette de couleurs tantôt chatoyantes lorsque le ""salon"" se réunit, ou verdâtres, sépulcrales lorsque le couple se retrouve seul. Le décor et les accessoires sont raffinés.

La musique de Fabio Vacchi réussit à traduire l'intériorité émotionnelle de Jean et de Gabrielle. La langue est prédominante dans un style conforme à l'époque, avec ses silences, ses interruptions. Chéreau incruste des cartons comme dans les films muets, pour souligner une parole ou annoncer un autre chapitre. Un décor théâtralisé pour un face-à-face cruel et pathétique, une sorte de guerre civile à deux. ""On ne verrait pas autant les problèmes de ce couple si le film se déroulait maintenant. Les costumes et le décor ont un effet de loupe. Les choses ont changé visuellement, mais pas intimement"", dit Patrice Chéreau.

Et au cœur du film l'analyse impitoyable d'une rupture. Jean va questionner ses souvenirs, analyser, disséquer ce qu'il a cru être une relation maritale pour essayer de comprendre ce qui se passe à l'instant avec Gabrielle. Il pense à voix haute. Mais sa pensée est comme un kaléidoscope, à chaque ressentiment l'interprétation varie. Une histoire qui laisse un gouffre... vide, effrayant.

La vie, qui semblait exister le temps des réunions, se figeait dès que les lumières s'éteignaient, et le couple retrouvait la froideur des statues habitant les recoins de sa demeure. Jean questionne Gabrielle, la prend à parti. Leurs regards semblent se croiser pour la première fois. Gabrielle est lasse de ces années de soumission. Peu de paroles, avec la révolte intérieure d'avoir été enfermée dans cette prison dorée. Elle avoue avoir pris un amant, respiré la vie ailleurs. Mais alors pourquoi est-elle revenue? ""Si j'avais su que vous m'aimiez, je ne serais pas revenue..."" répond-elle. Un échange de paroles amères et venimeuses. Un constat cruel et sans appel: non, ce couple ne pourra se reconstruire. Une réflexion intense et âpre sur le couple contemporain, tel celui décrit par Bergman, que Chéreau a toujours admiré."

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