Il était une fois en Anatolie

Affiche Il était une fois en Anatolie
Réalisé par Nuri Bilge Ceylan
Pays de production Turquie, Bosnie-Herzégovine
Année 2011
Durée
Genre Drame, Thriller
Distributeur Memento Films Distribution
Acteurs Muhammed Uzuner, Y?lmaz Erdo?an, Taner Birsel, Ahmet Mümtaz Taylan, F?rat Tan??
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 637
Bande annonce (Allociné)

Critique

C’était le film le plus long (2 h 37) de la compétition et, ont dit certains, Ceylan, c’est lent... Durant les 90 premières minutes du film, le réalisateur suit pour ainsi dire en temps réel l’errance nocturne de trois véhicules à travers la steppe: des policiers, un médecin légiste et un procureur pressé de rentrer à Ankara escortent un criminel en vue de découvrir où il a enterré le cadavre de l’homme qu’il a assassiné. Il est vrai que cette quête aurait pu être abrégée (applaudissements dans la salle lorsqu’on entend annoncer «C’est là!»...), mais cette longue mise en place est toutefois nécessaire pour la mise en perspective de la suite où l’on découvre, pendant l’autopsie de la victime, que les entrailles du procureur recèlent un lourd secret. Outre les profondeurs de l’âme humaine, Ceylan donne à voir la vie humble de ces villageois taiseux éloignés de tout et oubliés par le pouvoir central, mais pour qui les antiques lois de l’hospitalité doivent toujours être respectées. Un magnifique travail, qui trouvera le cœur des cinéphiles exigeants.

Note: 18



Daniel Grivel





Ce film est un antidote à la superficialité. Faisant fi du besoin d’action et d’apparence dont souffre la société contemporaine, il parle de l’homme et de ses questionnements.

«C’est l’âme des personnages que j’aime explorer. Le cinéma n’est peut-être pas aussi puissant que la littérature pour cela. C’est un art encore jeune, mais je n’ai pas l’impression que dans cette voie, le cinéma ait livré une œuvre équivalente à Dostoïevski. On y parviendra peut-être un jour. Ce qui m’intéresse, c’est tenter de comprendre ce qui se produit au plus profond de la nature humaine. C’est en connaissant mieux la part sombre de soi-même qu’on a l’espoir de s’améliorer.»

C’est avec cette conviction dans la tête que le réalisateur turc (UZAK, 2002; LES CLIMATS, 2006) entreprend un nouveau film. Plusieurs fois primé à Cannes, Prix du Jury cette année, il a aussi été membre de ce Jury en 2009. Recevant en 2008 le Prix de la mise en scène pour LES TROIS SINGES, il l’a voué «à son beau et incompris pays qu’il aime avec passion». Cette dédicace est importante; elle livre du cinéaste une caractéristique qui n’est pas mince, son pays fait partie de ses personnages.

IL ETAIT UNE FOIS EN ANATOLIE en est le témoin. Le paysage habite des plans d’une grande beauté, dans lesquels s’affairent des hommes sortis d’un petit convoi de voitures. Qui sont-ils, que font-ils dans une nuit que menace l’orage? Il y a là un procureur (Taner Birsel), un commissaire de police (Yilmaz Erdogan), un médecin (Muhammet Uzuner), deux suspects, des soldats. Car, oui, il s’agit bien d’un film policier!

Un homme a été tué dans une petite ville d’Anatolie. Les deux suspects arrêtés disent ne pas se souvenir de grand-chose, ils avaient bu. La victime a été enterrée quelque part dans la campagne, près d’une fontaine et d’un arbre en boule. Où, exactement? C’est toute la question. Partis dans la soirée, les policiers suivent les indications vagues des suspects; sur place, chaque endroit désigné se voit rejeté. Ils risquent d’y passer la nuit, affamés et épuisés, jusqu’au moment où le maire d’un village leur offre l’hospitalité.

Si Nuri Bilge Ceylan prend le temps de promener ses personnages dans les amples paysages turcs, c’est pour parvenir à percer le mystère de chacun d’eux. Une expression captée, le regard d’un visage silencieux, mais aussi la tension, la préoccupation qui se traduisent par un mot, un geste. La longue recherche du cadavre rapproche les hommes. La nuit les enserre. Ils attendent, alors qu’ils aimeraient rentrer chez eux où se déroulent leurs vies et leurs soucis quotidiens. Leurs professions différentes attisent une curiosité réciproque. Alors ils se parlent. Le commissaire a besoin de médicaments pour son fils. Le procureur s’interroge sur la mort étrange d’une femme qu’il a connue. Le docteur pense à sa solitude…

Les conversations des hommes trahissent leurs tourments intimes. C’est ainsi, sans le moindre artifice, sans la moindre vacuité, que se construisent des individualités. Dans la bourgade du maire, c’est l’organisation et les besoins d’une petite communauté qui se révèle. Tout cela arrive peu à peu, avec un naturel qui renvoie le public sur la place du village. Le peu qui est dit, le peu qui est montré renferme une mine d’informations qui se décryptent dans une sorte de suspense.

Ces découvertes sont appuyées par une esthétique remarquable. Si, comme l’affirme Ceylan, le cinéma n’a pas encore livré une œuvre équivalente à celle de Dostoïevski, son film est très proche des plus belles peintures que Caravage ou Georges de La Tour ont consacrées à la lumière.

Note: 20



Geneviève Praplan

Ancien membre