Miel

Affiche Miel
Réalisé par Semih Kaplanoglu
Pays de production Turquie, Allemagne, France
Année 2010
Durée
Genre Drame
Distributeur Bodega Films
Acteurs Bora Alta?, Erdal Be?ikçio?lu, Tülin Özen, Alev Uçarer, Özkan Akcay
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 622
Bande annonce (Allociné)

Critique

Attention, chef-d’œuvre! Le cinquième long métrage du réalisateur turc né en 1963 à Izmir, tourné avec une grande économie de moyens et une maîtrise au moins équivalente, fera le miel (!) du spectateur. La vision de ce film nous a laissé sans voix, mais il faut pourtant accrocher quelques phrases à l’ineffable.

MIEL est la conclusion d’une trilogie consacrée aux essentiels de la vie. A notre connaissance, les deux premiers volets, YUMURTA (ŒUF, 2007) et SÜT (LAIT), en compétition à Venise en 2008, n’ont pas été distribués en Suisse; tout au plus le premier a-t-il été présenté lors du Festival du film oriental de Genève en 2008. Il aura fallu l’Ours d’Or (et, peut-être, le Prix œcuménique...) de la Berlinale 2010 pour que cette œuvre admirable parvienne sur nos écrans.

A la manière de LUMIERE SILENCIEUSE, tout commence par un très long plan fixe. Dans un bois obscur, précédé du craquement des branches mortes, apparaissent un homme et son âne. Après un examen des lieux, ayant repéré un arbre d’où tombent quelques gouttes sucrées, l’homme lance une corde lestée d’un grappin et entreprend d’escalader le tronc, jusqu’au moment où, la branche supportant son poids se mettant à céder, il reste immobile, suspendu dans le vide.

On fait ensuite la connaissance de cet apiculteur, Yakup (Erdal Besikçioglu), de sa femme Zehra (Tülin Özen) et de leur fils Yusuf (Bora Altas), garçonnet de 7 ans qui, dans l’intimité de son père, ne connaît aucun problème d’élocution ni de lecture mais qui, à l’école, bégaie et ânonne les mots qu’il a sous les yeux. Yusuf donne son nom à la trilogie filmique, jeune homme dans YUMURTA et étudiant dans SÜT. Yusuf, et par conséquent Bora Altas, qui a le même âge - étonnant gamin à la présence lumineuse et d’une vérité native. Tout ce qui nous est donné à voir l’est à travers le regard de cet enfant et nous fait retrouver notre cœur d’enfant (le rêve devant le voilier-jouet que lui construit son père, la tentative de capturer le reflet de la pleine lune dans un seau d’eau...) Pas de musique sirupeuse pour surligner les moments d’émotion et de poésie, pas de musique du tout - sinon celle d’une fête villageoise qui a sa raison d’être.

Une relation privilégiée unit le fils au père. Tous deux sont d’accord pour que les rêves ne soient pas racontés (tout au plus chuchotés dans le creux d’une oreille confidente); la même complicité et le même amour de la nature, se traduisant notamment par la connaissance des fleurs donnant les meilleurs miels, ainsi que par le compagnonnage avec les bêtes (l’âne, le faucon dressé), les poussent l’un vers l’autre. La dureté du métier d’apiculteur, les kilomètres de montagnes boisées qu’il faut parcourir, la hauteur des fûts sur lesquels il faut, au risque de sa vie, fixer les ruches, suscitent chez Yusuf une admiration sans bornes. Lui qui, à l’école, rame en vain pour obtenir le bon point tant convoité et passe ses récréations derrière les fenêtres de sa salle de classe, revit lorsqu’il parcourt le long chemin agreste le ramenant à la maison, attentif à tout ce qui l’entoure. La lecture d’un poème de Rimbaud par une camarade d’école dont il est discrètement le prétendant transi l’ouvre aux beautés élégiaques et lyriques.

L’histoire, que nous n’allons pas déflorer sinon pour dire que, tel une œuvre symphonique, le film se referme sur les bois sombres du début, est d’une simplicité biblique. Ce n’est pas un hasard si les principaux personnages portent les noms de Joseph, Jacob et Sara. Simplicité dans les moyens, les mots, les gestes sublimés de la vie quotidienne, l’expression des sentiments, l’approche de la nature, l’évocation de thèmes éternels et universels. Il y a chez Kaplanoglu du Giono, du Ramuz, du Aron Tamasi («Abel dans la forêt sauvage»). MIEL nous transporte (dans tous les sens du terme) dans un monde qui existe encore - mais pour combien de temps encore? la région dans laquelle le film a été tourné est menacée par des projets hydroélectriques - où l’homme essaie de vivre encore selon les traditions, dans des conditions dictées par la nature. A un certain moment, le village où Yusuf va à l’école apparaît en un plan panoramique: n’était le minaret, on croirait voir La Forclaz. Le texte lu par l’imam bénissant l’enfant est dans le droit fil des psaumes. Une transcendance mystérieuse est présente. Incidemment et sans prêchi-prêcha écolo, le rôle vital des abeilles est évoqué.

Semih Kaplanoglu déclare: «J’ai vécu et appris beaucoup de choses pendant ces quatre dernières années, lors de la préproduction, la production et le montage des trois films de la trilogie de Yusuf. Cela m’a aussi amené à préciser mon style cinématographique, que j’ai nommé faute de mieux ‘réalisme spirituel’. (...) Faire un film est comme une découverte, y compris de soi-même, pas seulement pour le réalisateur, mais pour toute l’équipe du film.»

On ne saurait mieux dire, et on ne saurait trop féliciter la Berlinale d’avoir sélectionné et honoré une œuvre tranchant radicalement sur les blockbusters hollywoodiens. Allez découvrir MIEL toutes affaires cessantes, vous en sortirez meilleurs.

Note: 21 (mais oui!...)







ŒUF - LAIT de Semih Kaplanoglu (CF n. 626)



Après que l’Ours d’Or et le Prix œcuménique de la Berlinale 2010 ont contribué à la distribution de MIEL, voici sur les écrans ŒUF et LAIT, premier et deuxième volets de la «Trilogie de Yusuf», laquelle met en scène le poète Yusuf à trois âges de sa vie, ici à 40 et à 18 ans. Nous empruntons aux Fiches françaises du cinéma le commentaire suivant:

«Il s’agit de trois personnages parallèles plutôt qu’identiques. Les films, au style épuré grâce aux dialogues et au montage minimalistes, sont indépendants les uns des autres, même si quelques clins d’œil peuvent les jalonner. Ce qui unifie le cycle, c’est plutôt le regard contemplatif porté sur les êtres, l’interrogation existentielle commune à ces personnages qui veulent donner un sens à leur vie, du reste un peu comme la Turquie tout entière. Et la poésie est là pour déchiffrer le monde et les rapports humains. La présence de la mère prend une importance capitale. Les éléments essentiels que sont la fécondité de l’œuf, la valeur nutritive du lait et la douceur du miel renvoient tous à la femme.»

Daniel Grivel