Nostalgie de la lumière

Affiche Nostalgie de la lumière
Réalisé par Patricio Guzmán
Pays de production France, Chili, Espagne, Allemagne
Année 2010
Durée
Musique Miranda & Tobar
Genre Documentaire
Distributeur trigonfilm
Acteurs Patricio Guzmán
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 615
Bande annonce (Allociné)

Critique

A trois mille mètres d’altitude, en plein désert chilien d’Atacama, un observatoire pointe ses télescopes en direction des confins de l’univers. Ce même désert de l’Altiplano conserve intacts des restes humains: ceux des momies précolombiennes, des explorateurs, des mineurs, ceux des déportés de la récente dictature aussi. Et tandis que les astronomes sondent les galaxies les plus éloignées, des femmes remuent les pierres du sol, à la recherche de leurs proches disparus…

Dans son dernier film, à la fois politique, poétique et émouvant, Patricio Guzman poursuit sa réflexion sur l’histoire de son pays. Une réflexion magnifique, portée par des images splendides, qui s’ouvre sur l’univers entier, sur la terre remplie de traces mystérieuses, sur la mémoire qui assure notre vie et sans laquelle l’homme ne serait rien. De leurs immenses coupoles, les astronomes regardent toujours en arrière, vers le passé. Il en est de même pour les historiens, les géologues et les femmes qui tentent de retrouver quelques ossements, souvenirs de leurs amis, de leurs parents morts ici, après avoir été emprisonnés dans les vieux baraquements des mineurs du début du XXe siècle. Tous ont un point commun: ils observent le passé pour tenter de mieux saisir (et vivre) le temps présent. Le cinéaste rappelle - devoir de mémoire - que la dictature a duré dix-huit ans d’ici que son pays ne retrouve la démocratie. Mais à quel prix…

Cinéaste issu de l’Unité populaire (il a tourné, depuis 1972, une dizaine de documentaires «engagés») et contraint de s’exiler après la chute de Salvador Allende, Patricio Guzman change de ton dans ce dernier long métrage, mais continue de parler de la même chose. Nostalgie de la lumière est un très beau film, rempli d’analogies et de métaphores surprenantes - les femmes cherchent dans le sol, les astronomes dans le ciel -, un film qui, comme le dit son auteur, doit «pousser des portes»…

Antoine Rochat


Patricio Guzman, qui fut prisonnier politique en 1973, qui a été torturé puis exilé à Cuba et en France, reprend de film en film, de La bataille du Chili, à Salvador Allende (2004), sans oublier Le Pinochet (2001), son inlassable lutte contre l’amnésie qui frappe son pays. Cette fois-ci, il a choisi la forme du documentaire poético-politique, qui prend peu à peu de véritables dimensions métaphysiques.

Engrenages géants, géométrie de dômes blancs qui se découpent sur le ciel pur, filmés comme une œuvre d’art abstrait: le film de Patricio Guzman s’ouvre sur la mécanique fantastique du plus puissant télescope de la planète, construit à 3’000 mètres d’altitude dans le désert d’Atacama au Chili. Cet observatoire attire des astronomes venus du monde entier pour scruter la voûte céleste dans l’espoir de percer les origines du monde et d’enregistrer les échos des planètes. Car la transparence du ciel dans la pampa est telle qu’elle permet de regarder jusqu’aux confins de l’univers.

Alors que ces astrophysiciens traquent les corps célestes, au pied de l’observatoire, des archéologues mais aussi des femmes, plutôt âgées, grattent avec obstination le sol désertique à la recherche de corps: les archéologues cherchent des momies d’Indiens des temps précolombiens, tombent sur des corps de caravaniers rejoignant autrefois l’océan avec leurs lamas ou encore sur ceux de mineurs qui, au XIXe siècle, durent travailler comme des esclaves dans des mines en plein désert. Les femmes, elles, cherchent les restes de leurs proches, des prisonniers politiques massacrés par la junte sous la dictature de Pinochet et qui ont été transportés des charniers géants de Chacabuco dans la pampa, pour qu’ils y disparaissent à jamais. C’était sans compter l’obstination de ces femmes qui grattent le sol desséché pour retrouver des restes de leurs parents disparus et pouvoir leur donner une sépulture.

Nostalgie de la lumière  est une méditation sur le temps, entremêlant au temps court de l’histoire humaine celui de notre univers. Le cinéaste avance l’idée que les astronomes observent non pas les étoiles en elles-mêmes mais leur souvenir, apporté jusqu’à nous par la lumière. «Le présent n’existe pas, explique le jeune physicien interrogé par Guzman, puisque, entre la lumière d’un corps et l’œil qui la reçoit, il n’y a pas de synchronie. Même s’il est infinitésimal, ce décalage existe, et ce que nous voyons appartient déjà au passé.» Tout ce qui peut être observé l’est effectivement grâce à la vitesse de la lumière: les étoiles sont mortes et la lumière du soleil nous parvient quelques secondes après son émission. Toute lumière est donc nostalgie. Pour Guzman, l’astronomie est une archéologie. C’est également grâce aux recherches des astronomes qui recomposent le spectre du calcium dont sont aussi faites les étoiles, que l’on réalise qu’il s’agit du même calcium que celui de nos os, celui des squelettes de ces prisonniers du camp de concentration que la junte avait installé dans les baraquements des anciens mineurs, et qu’on retrouve, fragment par fragment, en grattant le sol du désert. «Nous sommes la mémoire du Chili, sa lèpre qui dérange», estime l’une des femmes qui grattent le sol à la recherche de leurs parents disparus. Les témoignages recueillis par le cinéaste ravivent des souvenirs qu’on a voulu oublier. Patricio Guzman a interviewé une jeune femme, dont les parents ont été déportés. Son témoignage, très sobre, est bouleversant. Il ouvre une brèche dans le passé trop longtemps tu et restitue un pan de la mémoire collective. Très beau sur le plan graphique, Nostalgie de la lumière  est d’une richesse infinie qui touche et stimule la réflexion longtemps après qu’on l’a vu.

Nicole Métral

 

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Appréciations

Nom Notes
Antoine Rochat 18
17
Daniel Grivel 18
Serge Molla 18