Séraphine

Affiche Séraphine
Réalisé par Martin Provost
Pays de production France, Belgique
Année 2008
Durée
Musique Michael Galasso
Genre Biopic, Drame
Acteurs Ulrich Tukur, Yolande Moreau, Geneviève Mnich, Anne Bennent, Nico Rogner
Age légal 10 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 583
Bande annonce (Allociné)

Critique

Relatée avec une très grande sensibilité, voici l’histoire étonnante d’une femme peintre du début du XXe siècle, quasi inconnue du grand public, découverte et révélée par un généreux collectionneur allemand.

Le film commence avant la Première Guerre mondiale, alors que Wilhelm Uhde, le découvreur de talents qui fit entrer dans le débat artistique les œuvres du Douanier Rousseau, d’André Bauchant, de Camille Bombois, Louis Vivin, s’installe à la campagne, à Senlis. On y fait alors la connaissance de Séraphine, femme pauvre et forte qui abat un travail considérable (ménage, lessives…) pour subvenir à ses très modestes besoins.

Tombant fortuitement sur l’un de ses panneaux peints, le collectionneur encourage cette femme, qui ne lui a jamais confié qu’elle peignait, à travailler davantage sa passion et promet de la faire connaître. Mais la guerre oblige Wilhelm à quitter la France et, à son retour, il croit Séraphine morte - jusqu’au jour où une exposition de peintres locaux a lieu à Senlis. Il la retrouve et se montre plus encore décidé à la lancer. Mais la notoriété naissante déséquilibre Séraphine psychologiquement, d’autant plus qu’elle se sent possédée et invoque des «ordres venus d’en Haut». Son état s’aggrave sérieusement et nécessitera son internement, jusqu’à sa mort en institution en 1934 dans l’hospice de vieillards de Senlis.

Martin Provost réussit un film d’une grande sensibilité, dans lequel les dialogues tiennent peu de place tant les images parlent d’elles-mêmes. Les durs travaux accomplis par Séraphine et sa façon de retrouver de l’énergie en portant une attention toute particulière aux arbres et à la nature qui l’environne conduisent à découvrir progressivement son engagement à ce désir de peindre qui l’habite, dût-elle pour cela y sacrifier tout son maigre salaire.

Dans la première partie du film, avant-guerre, on devine qu’elle peint beaucoup plus qu’on ne la voit réaliser telle ou telle œuvre, alors que Wilhelm Uhde dévoile peu à peu les raisons personnelles (homosexualité) pour lesquelles il s’est installé à la campagne et quels motifs guident son travail de collectionneur ouvert à la modernité. Dans la seconde partie, après-guerre, les éléments sont plus montrés qu’évoqués et les images cèdent parfois la place aux mots. Quant à la folie qui peu à peu envahit Séraphine, elle se traduit plus par ses comportements (dépenses excessives, dévotion à la Vierge) que par sa peinture qui prend jusqu’à son internement de plus en plus d’assurance. Autodidacte, Séraphine s’est peu intéressée au monde visible, elle peint des visions: herbes fantastiques, feuillages, fleurs et fruits paradisiaques ou en décomposition. Le réalisateur la montre notamment achevant son «Arbre du paradis», toile qui paraît plus «possédée» que naïve, proche de ce que Dubuffet appellera l’art brut. Yolande Moreau incarne avec une force et une conviction peu communes ce personnage étonnant et pathétique dont le dévouement effacé fait penser à Félicité, l’humble servante de Un Cœur simple de Flaubert. Ses mains, son regard, son pas, ses gestes, tout en elle traduit une intense dignité et suggère une lumière que ses peintures révèlent en partie.

L’œuvre et l’histoire pathétique de Séraphine Louis, importante artiste autodidacte, méritait de ne pas sombrer dans l’oubli. Avec le visage de Yolande Moreau, elle n’est pas près de quitter nos mémoires.

Serge Molla