Graine et le mulet (La)

Affiche Graine et le mulet (La)
Réalisé par Abdellatif Kechiche
Pays de production France
Année 2007
Durée
Genre Comédie dramatique
Distributeur Pathé Distribution
Acteurs Habib Boufares, Hafsia Herzi, Farida Benkhetache, Abdelhamid Aktouche, Bouraouia Marzouk
Age légal 7 ans
Age suggéré 12 ans
N° cinéfeuilles 559
Bande annonce (Allociné)

Critique

Tendresse, chaleur humaine, l’auteur de L’ESQUIVE invite son public à une savoureuse tranche de vie, dans le port de Sète.

Abdellatif Kechiche est un homme engagé. Ce qu’il laisse apparaître de lui-même à travers ses œuvres, c’est la volonté de montrer une réalité méconnue, souvent déformée par les fausses rumeurs, les articles de presse et les préjugés. L’ESQUIVE avait donné une âme aux jeunes beurs des banlieues parisiennes, que le réalisateur avait fait jouer dans leur langage d’adolescents franco-arabes. Pari presque perdu d’avance, tant la compréhension des dialogues était difficile. Pourtant, c’est la vérité du film qui l’a emporté et le succès a répondu présent.

La lecture est ici plus facile. Mais de nouveau, la plongée dans le milieu décrit est totale. L’histoire se passe dans le port de Sète. La graine, c’est le millet. Le mulet, c’est le poisson que les chalutiers ramènent chaque jour. Les chantiers navals sont en perte de vitesse, des emplois sont supprimés et Slimane (Habib Boufares), ouvrier fatigué par des années de labeur, se retrouve au chômage.

S’ouvre alors une période difficile pour lui qui, à 60 ans, se sent perdu. Il est très proche de ses enfants, mais divorcé de sa femme et mal à l’aise dans l’hôtel de sa compagne. Comment lutter contre la déprime? En ouvrant un restaurant sur une épave rouillée qu’il remettra en état. Il y régalera de nombreux clients avec un excellent couscous au poisson. Mais convaincre les édiles et les prêteurs de la viabilité de ce projet est une autre paire de manche. Slimane va donc prendre les devants en invitant ce beau monde à un premier repas.

Le scénario n’est pas si convenu qu’il paraît et surtout, ce n’est pas dans ses rebondissements que se niche le bonheur du film. Comme dans L’ESQUIVE, le réalisateur d’origine tunisienne choisit de montrer ce qui unit, plutôt que ce qui sépare. Dans la petite communauté arabe de Sète, les difficultés sont nombreuses, la vie y est souvent criarde, mais tellement vraie avec ses sentiments, ses disputes, son quotidien partagé entre la vie en France et le souvenir du «bled».

Abdellatif Kechiche ne craint pas de rappeler que chez ces immigrés, le rythme des heures n’est pas celui du reste de la ville. Il tourne plusieurs scènes en temps réel, difficulté extrême pour les acteurs filmés en plans rapprochés pendant de longues minutes. Pourtant, le jeu est excellent de bout en bout, les visages se composent et se décomposent avec une formidable sincérité. Ces longues séquences ont un effet inattendu sur le spectateur, qui, au lieu de bâiller dans son fauteuil se retrouve invité à la table du couscous. Jeté au cœur des sentiments et des conflits, il devient le minoritaire et voit ses hôtes d’un œil différent. La tension qui monte le touche directement. Le suspense est très âpre à la fin de l’histoire, alors que tout, mais rien, ne semble s’arranger.

Le réalisateur, en touches délicates, montre sans angélisme la peine d’un homme rejeté, le souci de ses proches et la chaleur de leur solidarité. Le milieu du port est dur, l’époque est au profit, Slimane est un étranger. Tout cela est dit sans aigreur, avec beaucoup de justesse. C’est à une vraie tranche de vie qu’est appelé le public, simple, naturelle et généreuse. On se réjouit que ce film ait remporté le Prix spécial du Jury à la dernière Mostra de Venise.

Geneviève Praplan