Lumière silencieuse

Affiche Lumière silencieuse
Réalisé par Carlos Reygadas
Pays de production France, Mexique
Année 2007
Durée
Genre Drame
Distributeur inconnu
Acteurs Cornelio Wall, Miriam Toews, Maria Pankratz, Peter Wall, Elizabeth Fehr
Age légal 7 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 548
Bande annonce (Allociné)

Critique

Les deux premiers films du réalisateur mexicain (JAPON, BATALLA EN EL CIELO) n'avaient pas laissé indifférent. Ici, nous avons affaire à un ocni (objet cinématographique non identifié...), tant par la forme que par le fond.

Tout le monde ne sait pas que les mennonites ont essaimé dans le Nouveau Monde non seulement aux Etats-Unis - les amish - mais aussi au Mexique, dans la région de Chihuahua. La communauté, qui totalise quelque 100'000 personnes, accepte le gaz et l'électricité ainsi que les véhicules à moteur, mais refuse téléphone, radio, télévision et internet. Les acteurs, non professionnels, membres de cette communauté, s'expriment en plautdietsch (ou plattdeutsch), langage encore parlé dans le nord de l'Allemagne, en Frise orientale.

Le film narre l'histoire d'une famille paysanne dont le chef, Johan, est déchiré entre son devoir de fidélité à sa femme et l'amour qu'il porte à une autre. Peu à peu (le rythme est très lent), sans beaucoup de discours (le non-dit compte davantage), le drame se noue, et il faut être attentifs à des éléments symboliques, à certaines phrases significatives, à des gestes discrets. Les malintentionnés diront que c'est un peu LES CHOSES DE LA VIE passées au ralenti... Les cinéphiles se souviendront de Carl Dreyer, surtout à propos de l'épilogue. Le film commence et finit par un très long plan similaire: d'une part, une descente de la Voie lactée jusqu'au sol, sur fond de bruits nocturnes, et un lever de soleil flamboyant; d'autre part, un coucher de soleil somptueux et une lente ascension vers la voûte étoilée. Des images qu'on n'est pas près d'oublier, et un film (un peu trop long) qui sort du lot, méritant son Prix du Jury ex æquo.

Daniel Grivel


Tourné chez les mennonites, le nouveau film du cinéaste mexicain sublime le questionnement des amours adultères.

On dit de lui qu’il est le plus audacieux et le plus lyrique des réalisateurs de notre temps. Carlos Reygadas, avocat de formation, a été loué pour ses deux précédents films, JAPON (2002) et BATAILLE DANS LE CIEL (2005), tous deux présentés à Cannes. LUMIERE SILENCIEUSE a marqué un point de plus sur la Croisette en y remportant le Prix du Jury 2007. Voici une œuvre déroutante, douloureuse, magnifique, qui, dans son dilemme, n’est pas sans rappeler LE SECRET DE BROKEBACK MOUNTAIN d’Ang Lee (2005).

Le film s’ouvre sur une fin de nuit, le lent évanouissement des étoiles, plan audacieux de près de dix minutes qui prépare à une ambiance peu ordinaire. Carlos Reygadas est allé filmer chez les Mennonites, adeptes d’une secte protestante proche des anabaptistes. Elle est née au XVIe siècle à Zurich, influencée par la réforme de Zwingli, avant d’essaimer en Allemagne. Très conservateurs, mais pacifistes, les mennonites accordent une place prépondérante à la prière et n’acceptent qu’une relative modernisation, la médecine, la voiture, par exemple.

Au XIXe siècle, ils ont émigré en masse au Canada et de là, en Amérique centrale. Quelque 100’000 d’entre eux vivent au Mexique, dans l’Etat de Chihuahua, où le réalisateur les a retrouvés. Il y a recruté ses comédiens, tous amateurs et tournant selon leur mode de vie, leurs coutumes, leur rite et même leur langue, le plautdietsch, dialecte d’origine germanique, proche du néerlandais médiéval.

Pour autant, LUMIERE SILENCIEUSE n’a rien à voir avec un documentaire. Il illustre, il sublime par son contexte, le questionnement des amours interdites. Johan (Cornelio Wall) est un honnête fermier, père de six enfants. Mais tout le monde sait qu’il aime une autre femme, Marianne (Maria Pankratz) et qu’il ne peut s’en détacher. Tout le monde, y compris son épouse Esther (Miriam Toews) qui souffre en silence. Johan est perdu. Il cherche conseil auprès de son ami Zacarias (Jacobo Klassen) et de son père (Peter Wall). L’adultère n’a pas sa place chez les mennonites et Johan le sait mieux que personne, il est fils de prédicateur.

C’est d’ailleurs une scène troublante du film que cette confession du fils à son père. Au cœur d’une communauté chrétienne si conservatrice, Reygadas choisit d’éclairer non pas la règle divine, mais la réalité humaine. Il n’y a pas de vérité toute faite. La voix est celle d’une tendre raison, d’une profonde connaissance de la vie, de la compréhension. Entre l’œuvre de Dieu et l’œuvre du diable se dessine celle de l’homme dont le drame est bien de se retrouver seul face à son choix.

Mais le cinéaste vient à son secours, à celui du public aussi, en donnant à ses longs plans-séquences une dimension méditative, bouleversante de beauté. Le mode de vie rude, les intérieurs sobres, les vêtements faits pour protéger et non pour embellir, rien ne laisse au regard un espace où se reconnaître. Il est tiré ailleurs, au-delà de l’apparence, là où se nourrissent les doutes, les peurs, mais aussi le refus de ne pas espérer. L’écho de ces questions ondule sur les vastes paysages qui semblent en être le répondant unique.

C’est une expérience esthétique rare dans le cinéma contemporain. Elle fascine, elle envoûte, elle fait naître une sorte de transcendance. Où se situe ce qui compte vraiment? Film contemplatif, LUMIERE SILENCIEUSE signe l’harmonie possible entre l’homme et le mystère de son existence.

Geneviève Praplan

 

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