Hors-jeu

Affiche Hors-jeu
Réalisé par Jafar Panahi
Pays de production Iran
Année 2006
Durée
Musique Yuval Barazani, Korosh Bozorgpour
Genre Comédie dramatique
Distributeur Ad Vitam
Acteurs Sima Mobarak Shahi, Safdar Samandar, Shayesteh Irani, Ayda Sadeqi, Golnaz Farmani
N° cinéfeuilles 525
Bande annonce (Allociné)

Critique

"En automne 2005, l'équipe nationale de football iranienne affronte, dans un match décisif de la Coupe du monde, l'équipe de Bahreïn. Le stade de Téhéran se remplit, 80'000 spectateurs sont attendus. Spectateurs au masculin s'entend puisque seuls les hommes ont accès à la manifestation. Les femmes - comme le veut la religion - doivent rester à la maison.

Faisant fi de cet interdit, une jeune fille déguisée en garçon tente de se frayer un passage, malgré les vexations (son billet d'entrée lui sera vendu deux fois plus cher), malgré les contrôles de la police et de l'armée. Elle veut assister au match, mais sera finalement refoulée à l'extérieur et surveillée de près par des soldats, en compagnie d'autres jeunes femmes arrêtées pour la même raison. En attendant d'être déférées à la police des mœurs.

Après deux films très engagés (LE CERCLE, SANG ET OR), Jafar Panahi adopte le ton de la comédie pour parler de la situation de la femme en Iran. HORS-JEU est construit en plusieurs séquences distinctes, les plus intéressantes se situant dans le car qui amène les supporters (et la ""supportrice"" en question!) au stade, ou dans l'enclos barricadé où les jeunes filles discutent avec leurs gardes, à quelques mètres du terrain où se déroule - presque en temps réel - le match. Les ""tricheuses"" n'hésitent pas à affronter verbalement les jeunes soldats affectés à leur surveillance, leur demandant avec insistance de justifier leur attitude, en réfutant le plus souvent les arguments qu'ils avancent sans trop de conviction. Les cinq jeunes femmes ne mâchent pas leurs mots et les soldats vont laisser apparaître peu à peu la face cachée de leurs existences et leurs problèmes d'hommes. Enfin, une fois la victoire iranienne acquise - sans que les jeunes femmes aient rien pu voir, tout au plus ont-elles entendu des cris -, la séquence du retour dans le car de la police sera encore l'occasion de brosser quelques portraits bien trempés (au masculin comme au féminin) et de raviver le débat...

HORS-JEU reste une comédie sociale, grinçante parfois, bien rythmée, filmée au plus près des visages, et l'on sent le cinéaste plein de sympathie pour ces jeunes filles impertinentes et vivantes dans leur joyeuse contestation.

Mais Panahi va plus loin, si l'on cherche à lire ce qui se profile derrière le récit amusé de l'échec des demoiselles. Tout comme il l'avait déjà fait dans LE CERCLE, le réalisateur use ici du symbole: le stade, c'est la liberté; ne pas y entrer, c'est être exclu de la société. Les obstacles qui barrent l'accès à ce monde ""libre"" sont multiples (grilles, escaliers, corridors, police). Pour réussir à vivre, il faudra donc savoir se montrer hypocrite, il faudra user de mauvais arguments, se couvrir le visage d'un masque masculin pour échapper aux contrôles. Sinon on sera contraint de rôder aux alentours des événements, à l'extérieur du monde social ou de la vie civique. De ce monde que seuls les hommes peuvent voir - à l'instar du match - ne parviendront que quelques échos assourdis.

Mais les hommes, de leur côté, sont-ils vraiment mieux lotis? Eux aussi apparaissent emprisonnés, confinés dans le stade, dans un espace clos où s'exprime une autre forme de fermeture ou d'exclusion, un autre monde d'idées toutes faites ou de nationalisme étroit - même si ce n'est pas le privilège de l'Iran... On le voit, HORS-JEU (Grand Prix du Jury, Berlin 2006) devient alors une intéressante lecture, pleine de surprises, une subtile réflexion sur ce que l'on appelle l'aliénation."

Antoine Rochat