Vie est un miracle (La)

Affiche Vie est un miracle (La)
Réalisé par Emir Kusturica
Pays de production Serbie, France
Année 2002
Durée
Musique Emir Kusturica, Nele Karajlic, Dejan Sparavalo
Genre Comédie dramatique
Distributeur Mars Distribution
Acteurs Slavko Stimac, Vesna Trivalic, Natasa Solak, Vuk Kostic, Aleksandar Bercek
N° cinéfeuilles 482
Bande annonce (Allociné)

Critique

"Une épopée balkanique savoureuse, multicolore et sauvage, menée au pas de charge: c'est cela, le dernier Kusturica. Et bien plus: un hymne magnifique à la vie, même lorsque les grillages de la mort l'enserrent de partout. Et un acte artistique fort pour lui servir à la fois de tenailles et de levier!

La clé, c'est la famille. Luka, un ingénieur serbe, est venu de Belgrade dans un village au milieu de nulle part pour y construire la ligne de chemin de fer qui transformera la région en haut lieu touristique. Avec Jadranka, sa femme chanteuse d'opéra (à la voix mise à mal par une poussière), et Milos, son fils fana de foot, ils forment l'archétype familial autour duquel le film s'articule... et se désarticule.

Le décor, c'est la guerre qui gronde, puis explose - l'action se déroule en Bosnie en 1992 - et déchire la famille: Jadranka part aux bras d'un musicien de passage, Milos sous les drapeaux et Luka ""hérite"" d'une belle otage musulmane, Sabaha, dont il tombe éperdument amoureux. Le nœud est ficelé, shakespearien.

Le génie de Kusturica réside à la fois dans l'habillage fantastique dont il revêt la trame dramatique et dans un mélange subtil des contenus et des genres. Les émotions les plus vives sont enrobées d'humour, la poésie étreint la vacherie et le sublime se marie à l'alcool fort ingurgité à grosses lampées. L'ensemble, balancé à vive allure sur les rails frénétiques d'une ex-Yougoslavie en plein éclatement, tient parfaitement la route. Et nous entraîne malgré nous dans une farandole effrénée... mais lucide.

Une guerre de religion? ""Pas du tout, rétorque Kusturica, on avait là un pays communiste en train de passer au capitalisme, et la vraie question était de savoir qui allait en gérer les ressources: une multinationale quelconque ou des escrocs bien de chez nous? C'est ce que j'ai voulu exprimer dans la première moitié du film."" Le réalisateur s'est immergé plus d'une année dans sa terre natale pour livrer sa version personnelle du conflit: ""Oui, j'avais besoin de combattre une façon frivole, diplomatique, néo-colonialiste de masquer la vérité. J'avais un réel besoin de dire cette vérité.""

Evitant les dogmatismes, cet auteur véritable, au sens esthétique terriblement pointu ramène son propos au vécu d'une poignée de personnages haut en couleur. Il les trempe dans des situations où le foisonnement de l'imaginaire et les débordements incessants frisent le baroque. En revanche, il reste scrupuleusement proche du spectateur moyen: dans une farouche fidélité à un ""parler simple"", il évite ainsi - mais de justesse - une saturation qui pourrait atteindre même les plus gourmands.

Si Kusturica reste farouchement fidèle à sa culture, cela ne l'empêche nullement d'asseoir son propos à la table universelle. Là, il se bat sur plusieurs fronts: combat pour la famille (""Pour comprendre une histoire qui se passe dans les Balkans, il faut imaginer la famille au centre""), combat socio-politique (""C'est une erreur de penser que le marché est le seul instrument de mesure et de régulation de nos processus sociaux et psychologiques. C'est une idée fausse, un mauvais trip... Ça ne peut pas durer"") et combat artistique (""Une poignée de salauds ont tué le cinéma d'auteur au nom du box-office. Ça me met en rogne parce que les beaux films... mettent du baume au cœur et rendent plus humains"")

En prime, une fin magistrale: Luka, empêtré dans son casse-tête cornélien, veut trancher dans le vif. Mais l'ange gardien - dont l'apparence à elle seule vaut déjà le déplacement - ne l'entend pas de cette oreille!"

Ancien membre