L'édito de Anthony Bekirov - Hirokazu Kore-eda - cinéaste international

Le 08 juin 2022

                                   

                                                                        

Nos lecteurs le savent sans doute déjà: Sans filtre (Triangle Of Sadness) de Ruben Östlund a remporté la Palme d’or après une standing ovation de 8 minutes (à croire que la standing ovation est le facteur décisif désormais pour décider des lauréats). Mais nous ne parlerons pas de ce film ici. Non, plutôt, nous aimerions souligner le succès du réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda dont le der- nier film Les Bonnes Étoiles (Broker) a remporté le Prix du Jury œcuménique, et le Prix du Meilleur acteur pour la performance de Song Kang-ho, véritable légende du cinéma coréen (Sympathy For Mister Vengeance, Memories Of Murder, The Host, Parasite...) Kore- eda est désormais un habitué des tapis rouges cannois, puisqu’il avait déjà remporté par le passé le Prix du Jury pour Tel père, tel fils en 2013 et la Palme d’or en 2018 pour Une affaire de famille. D’au- cuns pourraient trouver qu’avec les années, le cinéaste s’est éloigné de sa patte «art-house» expérimentale de ses premiers opus (Maborosi, After Life, Distance, notamment) pour épouser un style plus mélodramatique, peut-être plus consensuel aussi, qui n’est pas sans rappeler celui d’Ozu. Et comme Ozu, Kore-eda explore le noyau familial japonais avec un regard critique, parfois acerbe, mais toujours avec une grande douceur. Et si certes son style s’est adouci, cela ne veut pas dire que Kore-eda prend moins de risques dans sa démarche artistique. Après le succès en effet d'Une affaire de famille, il prit une décision que peu de grands réalisateurs japo- nais avant lui ont prise - tourner à l’étranger. Cela nous a donné La Vérité avec Catherine Deneuve, Juliette Binoche et Ethan Hawke entre autres. Un film sur le chant du cygne d’une grande actrice française et sa relation tumultueuse avec sa fille. À n’en pas douter une œuvre qui détonne dans la carrière du cinéaste, mais dans laquelle nous retrouvons bien les thèmes chers à son travail. Kore- eda aurait pu se satisfaire de cette excursion parisienne - mais c’est là où il nous surprend et sort Les Bonnes Étoiles, un film tourné en Corée du Sud. Et s’il est culturellement peu surprenant pour un Japonais de souhaiter tourner un film à Paris (ville de maints fan- tasmes), il est autrement plus osé voire politiquement engagé de le faire en Corée du Sud, pays dont les relations avec le Japon sont historiquement tendues. Kore-eda ne choisit pas non plus un sujet facile: il y est question de deux margoulins qui volent les nour- rissons abandonnés des boîtes à bébés pour les revendre sur le marché noir, jusqu’au jour où une des mères ainsi que la justice les retrouvent. Mais personne n’étant foncièrement ni tout blanc, ni tout noir, le cinéaste choisit de ne pas antagoniser les deux receleurs et de nous offrir une vision complexe, à nouveau, de la psychologie humaine. Les Bonnes Étoiles mérite donc amplement son succès, et est un jalon de plus dans la carrière déjà riche d’un réalisateur qui n’a pas peur d’expérimenter avec son art.