Genève: Black Movie

Le 12 février 2020

Du 17 au 26 janvier, Le Festival international de films indépendants Black Movie fit scintiller Genève à la lumière de 102 films en provenance de 43 pays. Les spectateurs auront pu apprécier fictions, documentaires et films d’animations, ainsi que la présence d’une vingtaine d’invités durant cette édition consacrée notamment à l’Algérie via l’œuvre du cinéaste Malek Bensmaïl qui eut les honneurs d’une rétrospective.

     Le film coréen House Of Hummingbird de Kim Bora, sur le quotidien d’une adolescente des années 90 dans la capitale du Pays du Matin calme, a remporté cette année le Prix de la Critique et le Prix des Jeunes. Le Prix Payot Petit Black Movie pour le meilleur film d’animation revient au Tchèque Martin Smatana et son film The Kite.

     Nous en profitons dès lors pour faire un petit tour d’horizon d’une poignée de films qu’il nous a été donné de voir et qui, aux dires du bilan communiqué par la direction du festival, ont apparemment figuré parmi les œuvres vedettes du festival.

A Tale Of Three Sisters

Emin Alper transporte la pièce de Tchekhov dans la Turquie contemporaine avec son récit de femmes A Tale Of Three Sisters. Comprenez toutefois le mot «contemporaine» avec une pincée de sel, puisque le tout se déroule dans un petit village d’Anatolie, coupé du reste de la civilisation, si ce n’est une unique route accidentée.

     Trois sœurs se retrouvent - pour diverses raisons - après une longue séparation, sous le même toit du père. Les trois rêvent de retourner en ville, mais des événements s’y opposent. Les éléments semblent conjurés à enfermer le destin de ces femmes dans le cycle incassable de la tradition ancestrale. Les rivalités amoureuses viennent même déterrer les lourds secrets de famille. Les relations s’enveniment et finissent par causer, à l’échelle humaine, un cataclysme. Mais dans ces inéluctables ténèbres, Emin Alper laisse la place à l’espoir d’un ailleurs.

     Une belle réussite qui parvient à lier humains et paysages dans un huis clos villageois où les espaces sont habités par une puissante fièvre et les personnages par une mélancolie d’autant plus silencieuse qu’elle est palpable dans chaque geste.

The Painted Bird

Dans la campagne d’Europe de l’Est, un jeune garçon se fait tabasser jusqu’au sang par des gamins de son âge, qui immolent également son furet de compagnie par le feu.

     Voilà qui donne le ton au film de Václav Marhoul, The Painted Bird (Tchéquie, 2019), fresque de presque trois heures qui suit les tribulations d’un enfant juif dans l’Europe du 3e Reich. Dans un noir et blanc digital qui a l’avantage d’édulcorer les scènes les plus sanguinolentes du long métrage, le cinéaste n’épargne au spectateur aucune démonstration de sauvagerie. Tout à la façon du chef-d’œuvre du Russe Elem Klimov Requiem pour un massacre sorti en 1985, nous suivons l’épopée d’un enfant innocent à travers un monde qui n’a à lui offrir que des expériences de cruauté insensée.

     Le môme finira bien par retrouver ses parents qui l’avaient envoyé dans les tréfonds ruraux du pays pour le protéger du meurtre de masse envers les gens de sa confession, mais il ne lui restera plus aucune lueur d’enfance pour n’avoir autre chose que de la haine et du dégoût envers les adultes. Mais le spectateur, lui, avait-il besoin d’autant de barbarie pour en arriver là?

Halte

Autre noir et blanc, autre catastrophe. Le réalisateur philippin d’ores et déjà légendaire Lav Diaz nous emmène avec Halte dans le futur: Manille, année 2034. Une éruption volcanique majeure a suffoqué l’Asie du Sud-Est sous une cendre épaisse et ténébreuse. Plus aucune lumière ne pénètre les nuages de suie. La vie se meurt et le règne des fous s’est imposé dans les villes ravagées par des épidémies qui ont déjà décimé des millions de personnes.

     Dans son dernier très long métrage (près de 4 h 30), Lav Diaz aborde les thèmes qui lui sont chers: la dictature, la folie des hommes, l’impossibilité de l’espoir. Si ses films sont si désespérés, cela n’a rien à voir avec cette complaisance quasi voyeuriste qui tare certaines œuvres qui confondent puissance des images avec violence des images. Ici, rien de tout ça. La violence est hors champ, elle atteint son paroxysme lorsqu’elle est entendue sans être montrée, car l’imagination du spectateur créera toujours des monstres plus innommables qu’aucun plan ne pourrait jamais dépeindre.

     Écho au gouvernement despotique de son pays, Halte présente une situation à étau à l’intérieur de laquelle il n’y a que deux échappatoires. Devenir fou soi-même ou fuir, loin, très loin, et abandonner les siens. Nous reviendrons lorsque les ténèbres de poix se seront dissipées.

Anthony Bekirov