Focus sur le Nouveau cinéma brésilien

Le 18 novembre 2020

Actuellement sur la plateforme Mubi - qui a pour principe d’ajouter chaque jour un nouveau film à son répertoire, disponible pendant 30 jours -, une rétrospective sur le Nouveau cinéma brésilien. Les films sélectionnés entrent pour la plupart en dialogue, par leur forme ou leur tendance politique, avec le Cinema Novo - cinéma inspiré de la Nouvelle Vague et dont la figure tutélaire est Glauber Rocha. Si quelques-uns des cinéastes dont les films sont présents sur la plateforme ont déjà acquis une notoriété internationale (Júlio Bressane, Marco Dutra, Marcelo Gomes), ils demeurent, pour la plupart, peu connus, bien que leurs œuvres aient été sélectionnées dans plusieurs festivals, principalement à la Berlinale et au Locarno Film Festival. Sont par contre absents les réalisateurs dont la renommée n’est plus à faire (Kleber Mendonça Filho, Walter Salles, Fernando Meirelles), même s’ils s’inscrivent, plus ou moins, dans une continuité avec le Cinema Novo. Un retour sur cette sélection hybride, allant de l’autobiographie à la comédie surréaliste, en passant par le documentaire politique, vous est proposé dans cet article.


Fictions1: De la bouffonnerie au réalisme


Les films de fiction, peu représentés dans la sélection Mubi, détonnent pour certains par leur excentricité assumée. Dans chacune de ces œuvres, les protagonistes sont des marginaux ou des porte-parole de ces derniers.


Dans Seduction Of The Flesh (2018) de Júlio Bressane (réalisateur incontournable du cinéma indépendant brésilien) Siloé, enfermée chez elle depuis son veuvage, entretient de longs monologues philosophiques avec son perroquet, sorte de relique de son mari, comme le sera également, de manière bien plus charnelle, un steak de viande… Un décor esthétisé, plongé dans un noir profond rend l’espace abstrait, irréel, alors que Siloé discoure sur le rapport de l’homme à l’animal, de la société à la consommation. Intriguant et osé, ce moyen métrage est une véritable réussite d’une maîtrise incontestable.


Tout aussi irrévérencieux, mais sans grand intérêt, Sol Alegria (Tavinho Teixeira, 2018). Bien qu’il semble se réclamer de Rabelais par le retournement carnavalesque opéré (de la morale et de la religion), ou d’un Buñuel (notamment par la mise en scène hilarante de sœurs en véritables révolutionnaires armées), une fois l’aspect contestataire dépouillé de son caractère surprenant, il ne reste rien, ou pas grand-chose. Le récit ne va nulle part, ou partout, sans qu’il ne soit possible d’identifier les choix à l’origine de l’enchaînement (non) narratif. Fortement inspiré de la Nouvelle Vague par son montage, ses faux raccords, l’anachronisme entre cet objet et le mouvement duquel il se réclame seul sera retenu.


Once There Was Brasilia (Adirley Queirós, 2017) adopte quant à lui la forme d’une dystopie revisitant l’histoire du Brésil: un agent intergalactique reçoit la mission de tuer le président Juscelino Kubitschek le jour de l’inauguration de la future capitale Brasilia. Assumant pleinement le manque de moyen, ce long métrage délirant exhibe le caractère fabriqué, le carton-pâte de ses décors et de son vaisseau spatial. Cela ne l’empêche pas de dialoguer avec des images plus réalistes et ternes saisissant les modes de vie précaires de marginaux. Si l’on salue son originalité et son audace, on se retrouve vite assommé par le discours politique omniprésent et difficile à suivre, même pour qui est familier avec l’histoire de ce pays.


Plus conventionnel et calme, Temporada (André Novais Oliveira, 2018), dans lequel la caméra accompagne Juliana (Grace Passô), alors qu’elle vient tout juste de débarquer dans une ville métropolitaine, suite à l’acceptation d’un nouvel emploi. Les micro-événements qui façonnent son quotidien - des appels sans réponse au développement timide d’une amitié - sont au cœur de ce récit qui doit beaucoup à l’efficacité de son montage, capable de rendre ce (non-)récit entraînant.


Avec un même rythme lent, et un soin apporté aux détails du quotidien, Febre (Maya Da-Rin, 2019) dresse un portrait de Justino, indigène, partagé entre un mode de vie en dehors de la société, dans la forêt amazonienne, et le monde urbain où il travaille. Dommage que la réalisatrice ne soit parvenue à un discours moins manichéen et convenu entre «nature» et «culture».


Dénonciation du pouvoir, de l’oppression et nouvelles représentations des marginaux par le documentaire


Si Apiyemiyekî? (Ana Vaz, 2020) évoque également la situation des indigènes au Brésil, il adopte pour ce faire une forme expérimentale. Taciturne, le documentaire met en images des dessins de Waimiri-Atroari, peuple natif de l’Amazonie, effectués dans le cadre de leur alphabétisation - à la langue portugaise -, selon la méthode de Paolo Freire, pédagogue célèbre pour son ouvrage Pédagogie des opprimés. Ainsi, les dessins expriment ce que le mot évoque pour les sujets, permettant d’accéder à leurs représentations du monde et, en l’occurrence, de l’histoire du génocide de leur peuple. Leurs dessins apparaissent dès lors comme effectués à même la pellicule (16 mm), ou en surimpression sur des images de leur environnement naturel, rapidement remplacés par des plans qui saisissent l’urbanisation de ces lieux. La matière prend vie sous la caméra d’Ana Vaz, le sens se crée avant tout par le montage et exprime de manière percutante la destruction d’un peuple et de sa culture.


Dans Landless (Camila Freitas, 2019)2, les protagonistes sont des sans-terre déterminés à s’installer sur un domaine appartenant à une usine de traitement de canne à sucre. Leurs luttes occupent une place essentielle, tout en laissant de l’espace à leur rêve. Dans une magnifique séquence, celui-ci prend forme matériellement: une femme d’un certain âge se plaît à imaginer pouvoir avoir un véritable chez soi alors que des plans saisissent le lieu de toutes ses projections. Bien qu’intéressant sur certains points, comme dans sa manière de filmer la communauté, le côté très esthétisé de cette œuvre donne peu de place à la spontanéité des individus filmés.


En attendant le carnaval de Marcelo Gomes (cf. n. 807)3 donne à voir avec humour le nouveau mode de vie des habitants de Toritima, suite au développement de l’industrie du jeans qui les engloutis: cette industrie et ses machines bercent en effet les habitants du rêve capitaliste… avant que n’arrive le carnaval. Désillusion parfaitement menée, au point où le spectateur lui aussi se fait berner par leurs convictions.


Avec une violence à peine soutenable, Seven Years In May (Affonso Uchôa, 2019) revient sur des bavures policières commises sur un jeune homme, dont la seule faute aura été d’être au mauvais endroit au mauvais moment. A part la deuxième séquence, où la violence s’exprime dans l’abus de pouvoir, aucune scène de cet événement n’est rejouée: tout passe par le seul témoignage de la victime, qui n’omet aucun détail sordide. Aucune nécessité de montrer, l’imagination permet, et peut-être mieux encore que les images elles-mêmes, de se représenter l’horreur de ce qu’il a vécu. Dommage que le documentaire ne questionne pas plus les raisons sous-jacentes à cette violence.


Let It Burn (2019) est l’une des plus belles découvertes de cette sélection: des sans-abri, provisoirement installés dans l’hôtel Dom Pedro à São Paulo, évoluent devant la caméra discrète et bienveillante de la réalisatrice Maíra Bühler: une mère dans une relation fusionnelle avec son fils, des hommes qui revendent des T-shirts de sport, un vieil homme sans dents, un plus jeune qui harcèle son ex au téléphone… Voilà certains des personnages de ce documentaire qui, dans des plans longs, peu découpés, se disputent violemment ou exposent leurs peines, leurs espoirs et leurs dépendances. Des moments de grâce surviennent lorsqu’ils se mettent à chanter, a capella, des paroles qui donnent une représentation autre de leur situation, comme par exemple avec Maneiras de Zeca Pagodinho. Film de peu de moyens, que le choix du sujet, des protagonistes et la relation instaurée avec ces derniers par la réalisatrice suffisent à rendre excellent, émouvant et bouleversant par sa manière de poser un regard autre sur des personnes marginalisées.


Dans la suite de l’article sur le Nouveau cinéma brésilien (à paraître au prochain numéro), c’est précisément sur un cinéma avec peu de budget mais d’une sincérité déconcertante que nous nous attarderons, avec des (auto)biographies qui sont autant de promesses de cinéma, comme Let It Burn, quand bien même les circonstances et les moyens sont des plus décourageants…


Sabrina Schwob


1 Hormis Sol Alegria, tous ont été sélectionnés à Locarno. Temporada en compétition officielle, Once There Was Brasilia a été récompensé d’une Mention spéciale dans la sélection Signs of Life, sélection dans laquelle fût également retenu l’année d’après Seduction Of The Flesh.

2 En sélection officielle au Festival Visions du Réel en 2019.

3 Landless et En attendant le carnaval ont tout deux été sélectionnés à la Berlinale en 2019, le premier dans la catégorie Forum, le second dans la catégorie Panorama.