Echos cannois 2013

Le 06 juin 2013

Tous les films présentés récemment au Festival de Cannes sortiront-ils sur les écrans de Suisse romande? Pas sûr. Mais que cela n'empêche aucun cinéphile de se faire une petite idée de quelques-uns des films présentés récemment à Cannes. Et cela en toute subjectivité par l'équipe de CF.

A noter que plusieurs films ne fontpas l'objet de texte ici, car ils se trouvent déjà sur le site de Ciné-Feuilkles, étant déjà projetés en Suisse romande. Ce sont respectivement:  LE PASSE de Assghar Farhadi, APRES LA NUIT de Basil Da Cunha,  GATSBY LE MAGNIFIQUE de Baz Luhrman et LA GRANDE BELLAZA de  Paolo Sorrentino.

AllIsLost

All is lost de Jeffrey C. Chandor
USA - Hors compétion
Dans son deuxième long métrage, le réalisateur de MARGIN CALL «fait fort» dans tous les sens du terme: un film quasi muet, à un seul personnage, avec pour décor un voilier et l'océan Indien. L'homme (magistralement interprété par Robert Redford) navigue en solitaire; alors qu'il est à près de 3'000 km de Sumatra, il est tiré de son sommeil par un choc accompagné d'un sinistre craquement et constate que la coque de son 12 mètres a été éperonnée par un conteneur flottant à la dérive.

Sans perdre son sang-froid, il enchaîne méthodiquement les mesures à prendre, ce qui ne l'empêche pas d'être privé de radio et de GPS. Pris dans une tempête effroyable, il parvient de justesse à en réchapper, mais le colmatage de fortune cède et il doit se résoudre à embarquer sur le radeau de survie. Entre les orages, le cagnard, la menace des requins et l'épuisement de ses provisions, il se voit contraint de regarder la mort en face.
Outre son côté documentaire intéressant, le film est très bien fait et comporte de nombreux moments de suspens; le spectateur est littéralement scotché sur son siège pendant la tempête et vibre lorsque le héros s'entaille vilainement le front. Redford mouille plus que sa chemise et Chandor se révèle ici un digne émule de John Boorman, proposant une oeuvre épurée et minimaliste. (Daniel Grivel, 16)

 

Les Apaches de Thierry de Peretti
France - Quinzaine des Réalisateurs
Corse, dans la chaleur moite de l’été, cinq jeunes de Porto-Vecchio traînent. Un soir, l’un d’eux conduit le groupe dans une luxueuse villa inoccupée… Ils y passent la nuit, volent. A son retour, la propriétaire s’en plaint à un caïd local. S’enclenche alors, sous prétexte de remise à l’ordre, un engrenage mortifère. On est ici loin de l’île paradisiaque en compagnie de jeunes d’origine marocaine en perte de repères et troublés par l’insouciance des riches estivants. La peur de la dénonciation entraîne un dérapage incontrôlé des comportements en même temps qu’une issue décidée. C’est tout le drame de mondes qui se côtoient et se frôlent sans jamais se rencontrer se mélanger. Du coup, le présent (sans lendemain) devient l’unique manière d’exister lorsque la notion d’espoir est dépourvue de sens. Avec de petits moyens et des acteurs inexpérimentés (et peu compréhensibles), ce premier film revêt les allures d’un documentaire sur quelques jeunes qui n’auront su qu’obturer leur avenir. (Serge Molla, 11)

As I lay dying de James FrancoAsILayDying
USA -Un Certain Regard
Cette adaptation très serrée de Tandis que j’agonise de W. Faulkner débouche sur un film âpre. Autour de la mort d’une mère (qui poursuit ses monologues intérieurs), de la fabrication de son cercueil et de son transport à sa dernière demeure (éloignée), se révèle le reste d’une famille qui dysfonctionne: tous ses membres se cassent (au propre et au figuré), à l’exception du plus jeune garçon d’une dizaine d’années dont les questions et le regard ouvrent une brèche poétique bienvenue. Ainsi, chaque geste, parole ou silence recèle une violence sourde qui crée un climat d’une implacable lourdeur.

L’image à l’écran, parfois divisée en deux (splitting), varie les perspectives. Une fois la mère disparue, le père reprend les commandes et soumet chacun à ses volontés en crachotant ses phrases et en ne permettant jamais au mot «relation» de sortir de sa bouche édentée.  Franco a su rendre le Sud profond, où les pauvres ne connaissaient qu’un seul verbe à conjuguer au présent de leurs existences meurtries: survivre. (Serge Molla, 17)

A Touch of Sin (Tian Zhu Ding) de Jia Zhangke
Chine - En compétition - Prix du meilleur scénario Chine
Ce film propose quatre histoires différentes mais qui ont un point commun: les protagonistes sont poussés dans leurs derniers retranchements et commettent des actes irréparables. Ces récits abordent des problèmes actuels et brûlants tels que la prostitution, la corruption de fonctionnaires, la frustration, la propagation des maladies, les cataclysmes industriels.  Si ces chroniques racontent des catastrophes distinctes dans différentes régions de Chine, la narration est cohérente et linéaire. La violence est omniprésente et montre une société en pleine perdition. Elle est traduite à l’écran par des couleurs  sanglantes et un rythme soutenu. Chaque destin tragique est filmé avec une maîtrise et une unité parfaites: il émane de ces situations une cruauté exprimée avec un détachement qui donne le frisson.
A l’image d’un kaléidoscope, le réalisateur nous emmène dans son univers: à travers quatre faits divers meurtriers, il pose un regard terrible sur une société prête à exploser, faite de corruption, de misère, d’horreur, d'oppression, d’injustice et d’humiliation. Un long métrage vraiment intéressant qui, à l’image de la sélection cannoise, donne une image du monde accablante. (Nadia Roch, 15)

Bends de Flora Lau
Hong-Kong - Un Certain Regard
Les personnages de BENDS évoluent à la frontière entre Hong-Kong , «région administrative spéciale», et Shenzhen en République populaire de Chine. Chauffeur d’Anna, épouse d’un homme très puissant et fortuné, Fai va tout tenter pour faire passer sa femme à Hong-Kong afin qu’elle puisse y accoucher de leur second enfant, enfant dont la naissance serait sanctionnée en Chine. Anna, elle, est abandonnée par son mari et perd sa fortune, son statut social et toutes ses relations. Les aléas de l’existence vont rapprocher ces trois personnages que tout sépare.
Une esthétique belle mais glaciale, des acteurs confirmés et des vues imprenables sur Hong-Kong ne suffisent pas à nourrir un scénario sans épaisseur psychologique et une histoire qui échoue à éveiller l’once d’une émotion. (Anne-Béatrice Schwab, 6)

BlindDetective 2Blind Detective de Johnnie To
Hong-Kong - Hors compétition
Dans cette méga-production moins sombre que les précédentes, Johnnie To, tel un lutin facétieux, jette sur la scène urbaine des personnages déjantés, pris dans des situations totalement improbables. Un détective devenu aveugle lors d’une enquête gagne sa vie en résolvant de vieilles affaires non élucidées. Impressionnée par ses talents, une jeune collègue lui demande de l’aider à retrouver une amie d’enfance disparue mystérieusement. Leur collaboration sera forcément fructueuse, non seulement pour résoudre plusieurs énigmes et partager des repas bien arrosés, mais aussi pour créer entre eux des liens indéfectibles.
En grand maître ès technologies sophistiquées, Johnnie To éblouit par sa virtuosité incroyable. Son thriller ravit sur le plan visuel comme les précédents. Et il divertit avec un humour débridé au sein des situations les plus abracadabrantes et désopilantes. De la légèreté, de l’humour et de l’amour au cœur du sordide. (Anne-Béatrice Schwab, 14)

Blood Ties de Guillaume Canet
USA / France - Hors compétitionBloodTies
Guillaume Canet adapte aux Etats-Unis Les liens du sang, film français tourné par Jacques Maillot en 2008, dans lequel il interprétait le rôle du commissaire au côté de François Cluzet. L’histoire est exactement la même mais transposée à New York dans les années 70. Deux frères que tout oppose – un taulard et un flic – vont se retrouver la sortie de prison du premier. Essayant de se réinsérer dans la société, il ne parvient pas à échapper aux démons de son passé. Son frère policier devra faire un choix entre sa carrière et sa famille.
Ce film, très attendu à Cannes, n’est certes pas un chef-d’œuvre mais une agréable surprise. La mise en scène est très classique mais efficace. Les sujets tels que les non-dits, la culpabilité, le poids des obligations familiales et les mensonges sont exprimés avec force.

Malheureusement, le spectateur a une impression de déjà vu, tant cette thématique a été abordée au cinéma. Le réalisateur concrétise certainement un rêve en tournant outre-Atlantique, mais il donne davantage l’impression d’avoir bien écouté ses professeurs et d’avoir retenu la leçon. Il manque peut-être une touche plus personnelle à son récit lui permettant de se démarquer et de s’affirmer dans le genre. Mais ne boudons pas notre plaisir et apprécions ce polar pour ce qu’il propose: un moment de divertissement. (Nadia Roch, 14)

BorgmanBorgman de Alex Van Warmerdam
Pays-Bas - En compétition
Ce film a défrayé la chronique sur la Croisette et surtout divisé l’opinion publique. Certains y voient un pur chef-d’œuvre, d’autres un véritable navet. Pour les uns, l’histoire nage en plein thriller; pour les autres, l’univers est digne d’une fable mythologique ou poétique. Surprenant et étrange sont les qualificatifs appropriés. Ce long métrage commence par le prologue suivant: «Et ils descendirent sur terre pour renforcer leurs rangs». La première scène montre un chien qui aboie, des êtres humains vivant sous terre, pourchassés par des hommes dont un prêtre. Un clochard hirsute parvient à s’échapper et il se présente à la porte d’une villa dans un quartier résidentiel. Il demande au propriétaire s’il peut prendre un bain. Avec un machiavélisme certain, il envahit l’espace et l’intimité de cette famille. Il possède des pouvoirs mystérieux qui lui permettent de captiver la mère, les trois enfants et la jeune fille au pair…
Certaines séquences sont vraiment drôles, d’un humour noir voire franchement grinçant. Malheureusement, la violence et l’incompréhension prennent le dessus. Le spectateur se demande si ce personnage démoniaque est réel ou s’il incarne les névroses et les angoisses inconscientes des protagonistes.
Le climat est franchement malsain mais voulu par le réalisateur hollandais qui exprime dans son œuvre tout le pessimisme que lui inspire la race humaine. Ce dernier s’explique dans une interview: «J’ai voulu montrer comment le mal peut se glisser dans le quotidien.» De ce point de vue, l’effet est réussi, même si certaines scènes sont peu convaincantes et très inégales. (Nadia Roch, 13)

La cage dorée (La Jaula de Oro) de Diego Quemada-Diez
Mexique - Un Certain Regard
Prix Un certain talent
De tout jeunes adolescents guatémaltèques décident d’émigrer pour échapper à leur vie de misère. Du Guatemala en direction du nord vers la Californie, leur périple se déroule à travers le Mexique, au rythme du chemin de fer devenu chemin de l’enfer dans des paysages de rêve. Voyageurs clandestins exposés à tous les dangers et toutes les humiliations, ils sont victimes de prédateurs abjects, policiers véreux, bandits de grand chemin, tueurs sans scrupules. Comme dans un jeu de l’oie cruel et impitoyable avec une case arrivée qui achève toute illusion.
Sans jouer avec l’émotion facile, le réalisateur saisit la force de ce flux migratoire sans fin, odyssée des temps modernes qui pousse sur les bas-côtés des voies tous ces jeunes porteurs du rêve immense d’une vie meilleure.
Pour écrire son scénario, Diego Quemada-Diez (ancien assistant de Ken Loach) a recueilli des centaines de témoignages, ce qui donne à cette fiction authenticité et engagement, à la manière d’un documentaire. Ce premier film abouti sonne juste et fort. (Anne-Béatrice Schwab, 15)

DemantelementLe démantèlement de Sébastien Pilote
Canada - Semaine de la Critique
Gaby a une bergerie où il élève des moutons. Il est divorcé, il n'a pas de fils, seulement deux filles qu'il a élevées comme des princesses et qui habitent en ville, loin de la ferme. Un jour, l'aînée lui demande de l'aider financièrement pour éviter de perdre sa maison. Gaby, chez qui le sentiment de paternité s'est développé jusqu'à la déraison, décide de démanteler sa ferme.
L'inspiration de ce film est venue d'une lecture de François Truffaut. «Il avait dit, à la suite d'un échec, qu'un film avec un personnage sur la pente descendante ne pouvait pas fonctionner ni intéresser les gens, et qu'il ne recommencerait pas. Alors, je me suis donné comme défi d'essayer de prouver le contraire. C'était une contrainte. Comment monter en descendant? Comment couler à pic et refaire surface l'instant d'après? J'ai donc essayé de rendre cette histoire de démantèlement de soi intéressante.» Parce qu'il est vraI qu'il s'agit autant du démantèlement d'un fermier que de celui de son domaine.
Ce film est un bouleversant témoignage tout en nostalgie sur la fin d'un âge d'or. Sans jamais tomber dans le misérabilisme, entre paysages pastoraux et silence habités, LE DEMANTELEMENT donne une folle envie de renouer avec l'essentiel. Tourné dans les environs du lac Saint-Jean, il met en évidence de somptueux paysages, illuminés par des couleurs proches de l'impressionnisme. Il bénéficie aussi et surtout de la présence d'un acteur, Gabriel Arcand, qui n'est autre que le frère de Denys le cinéaste, en véritable père Goriot, hommage au personnage balzacien. Incarnation subtile de l'amour filial, ce film nous atteint au plus profond de nous-même. (Georges Blanc, )

Le dernier des injustes de Claude Lanzmann
France- Hors compétition
LE DERNIER DES INJUSTES apporte des éléments nouveaux sur la Shoah: il met en scène le seul survivant des «présidents de conseil juif de ghetto», dont le sinistre rôle assigné par les nazis était de faire régner DernierInjustesl’ordre à l’intérieur des ghettos et des camps. Il apporte un éclairage sur la collaboration avec Eichmann, sur la politique d’ «émigration» des juifs et sur le ghetto de Theresienstadt en Bohème, présenté comme une villégiature offerte en cadeau aux juifs (avec un éloquent extrait de film de propagande nazi pour leurrer la communauté internationale).Le film suscite toutefois un double sentiment de malaise: le personnage de Murmelstein, grand rabbin de Vienne et «doyen des juifs» de Theresienstadt, interviewé à Rome en 1975, fait sa propre et (trop) longue apologie de négociateur et d’organisateur redoutablement intelligent, mais ne laisse affleurer aucun soupçon de spiritualité ou même de simple humanité.Quant à Claude Lanzmann, il avait marqué et les consciences et la recherche dans les années 1980 avec SHOAH, où il avait arpenté les lieux et s’était effacé pour donner la parole aux survivants. Mais, dans LE DERNIER DES INJUSTES, il ne résiste pas à la tentation de se mettre en scène lui-même, comme s’il revendiquait une sorte de monopole de la compréhension de la shoah… (Claude Schwab, 13)

L’Eté des poissons volants de Marcela Said
Chili - Quinzaine des Réalisateurs
Manena est une adolescente déterminée et la fille adorée de Pancho. Ce riche Chilien, grand propriétaire foncier, ne consacre ses vacances qu’à une seule obsession: l’invasion de son étang artificiel par des carpes. Alors qu’il recourt à des méthodes de plus en plus extrêmes pour les exterminer, sa fille connaît ses premiers émois et déboires amoureux, mais découvre aussi un monde qui existe silencieusement dans l’ombre du sien, celui des travailleurs indiens Mapuches qui revendiquent l’accès aux terres et le montrent bien à Pancho.
«Ayant eu l’occasion de visiter l’une de ces propriétés chiliennes exceptionnelles, j’ai trouvé le prétexte de tisser les fils d’une histoire plus complexe sur un pays qui n’a jamais hésité à employer la force pour maintenir sous une surface de calme toute revendication sociale ou égalitaire.» Ces propos de la réalisatrice expliquent pourquoi elle utilise la fiction des émois amoureux d’une adolescente pour se permettre d’être politiquement incorrecte et d’aller au-delà des contraintes d’un documentaire. Ce n’est donc pas un film ni sur l’histoire d’une famille ni sur le conflit mapuche, mais sur l’invisibilité du conflit. Le sud du Chili offre comme décor des paysages cinématographiques splendides, tout en demi-teintes grises et vertes. Ces lieux imbibent le film de leur atmosphère isolée, soulignant l’aspect larvé tant de l’endroit que du contexte politique et social. (Georges Blanc)

FruitvaleStationFruitvale Station de Ryan Coogler
USA - Un Certain Regard
Prix de l’Avenir
1er janvier 2009 à San Francisco, un jeune noir est abattu à la suite d’une bavure policière. Deux temps rythment ce premier film réussi appartenant au genre choral: l'un pose les personnages principaux, Oscar, 22 ans, chômeur, mais résolu à ne plus «dealer», et père d’une petite Tatiana, sa mère  et sa compagne latino; l'autre recèle le piège qui se referme au premier jour de l’an, lorsque tous les personnages (principaux et secondaires) se trouveront mêlés ou assisteront, témoins ou voyeurs, au drame.

Avec sensibilité, mais tout en évitant le pathos, Ryan Coogler rappelle, au détour de ce fait-divers somme toute ordinaire, combien la méfiance, les préjugés (racistes) tenaces annoncent le pire. L'efficacité est au rendez-vous lorsqu’Oscar acquiert une véritable épaisseur et que cette réalisation dresse le portrait  d’une société où la violence et la peur peuvent débouler sans crier gare et faire basculer l'existence de jeunes adultes pourtant bien décidés à s'en sortir. (Serge Molla, 16)

Le géant égoïste de Clio Barnard
Grande-Bretagne - Quinzaine des Réalisateurs
En marge et exclus de l'école, Arbor, treize ans, et Swifty, son meilleur ami, font la rencontre de Kitten, un ferrailleur. A l'aide d'une charrette et d'un cheval, les adolescents se mettent à collecter du métal pour le compte de ce dernier. Un métal d'allleurs plus souvent volé à gauche et à droite que réellement récolté... Le climat va peu à peu se détériorer entre Swifty, garçon sensible, à l'aise avec les chevaux, et Arbor, adolescent déluré soucieux avant tout de gagner de l'argent. Cette tension va finalement provoquer un événement tragique qui les transformera tous.
Le prolétariat anglais n'est pas un inconnu pour les amateurs de cinéma se souvenant de Ken Loach et de Stephen Frears. On est en plein dans le registre du réalisme social, mais avec la poésie du KES de Loach. Rapide, souvent drôle, le film n'en rajoute jamais à la misère ambiante, soulignant même à coups de plans à dominante de gris la beauté glacée d'un monde en miettes. Il y a beaucoup de Dickens dans ce long métrage, de la drôlerie grinçante des garçons effrontés à la tristesse du décor, en passant par le constat de la brutalité des rapports sociaux des pauvres à l'encontre des plus démunis d'entre eux. Au passage, le réalisateur n'a pas oublié de souligner que ces enfants, au charme crevant l'écran de leur insolente insouciance, sont déjà condamnés à ne jamais s'en sortir. Voilà une projection dont on ressort un peu sonné. (Georges Blanc)

GrandCentralGrand Central de Rebecca Zlotowski
France - Un Certain Regard
Le décor de ce film est inhabituel: une centrale atomique avec ses abords immédiats, sorties d’autoroute et campings où vivent au jour le jour les travailleurs du nucléaire. Ou plutôt des prolétaires sans formation, marginaux, sous-payés et engagés par des sous-traitants qui gèrent à moindre coût les travaux les plus pénibles et les plus exposés de décontamination et de réparation.
Sur ce fond de réalité sociale méconnue émergent des passions amoureuses aussi intenses, imprévisibles et dangereuses que les mouvements du cœur en fusion d’un réacteur.
Avec un scénario dense, une photo et une bande-son excellentes et des acteurs formidables (Léa Seydoux, Tahar Rahim, Olivier Gourmet…), ce deuxième film d’une jeune réalisatrice est complexe, subtil et abouti. Une réalisation dont l’actualité est affûtée par la tragédie de Fukushima. Un film à voir et une réalisatrice à suivre! (Anne-Béatrice Schwab, 15)

Grigris

Grigris de Mahamat Saleh Haroun
Paris / Tchad - En compétition
Dans une boîte de nuit tchadienne, Grigris (Soulémane Démé) gigote comme un beau diable: devant une foule enthousiaste, il danse le hip hop avec virtuosité, malgré une jambe folle, pour récolter un peu de thune. Mais voilà que son oncle Yaloub (Marius Yelolo), tailleur et photographe, tombe gravement malade, et l'hôpital coûte cher: faire circuler le chapeau ne suffit pas. Grigris propose ses services à des trafiquants d'essence; après un premier essai réussi de justesse à cause de son handicap, il brille comme chauffeur convoyant les bidons de carburant. Entre temps, il noue une idylle avec Mimi (Anaïs Monory), jeune prostituée rêvant de devenir mannequin. La facture des soins médicaux s'alourdissant, il vend de l'essence à un commerçant local, ce qui lui vaut l'ire du trafiquant qui le menace de le faire tuer par son homme de main.
Le réalisateur raconte un peu la même histoire que UN HOMME QUI CRIE, mais dans un contexte social différent. Il nous sert une Afrique de carte postale, sans misérabilisme, un scénario convenu et un final un peu démagogique, mais le tout est quand même assez rafraîchissant. A noter que Soulémane Démé est une authentique vedette dans son pays et que ses prouesses chorégraphiques sont époustouflantes malgré son handicap. (Daniel Grivel, 11)

 
 
Heli de Amat Escalante
Mexique - En compétition
Prix de la mise en scèneCe film est celui qui a probablement le plus choqué par son extrême violence et son réalisme. Dès la première séquence, le spectateur sait qu’il va souffrir et qu’il aura peu de répit: elle commence par une botte posée sur un jeune visage ensanglanté, suggérant les tortures les plus abjectes. Et, aulong du récit, l’horreur va en augmentant jusqu’à atteindre un niveau insupportable. De nombreux fauteuils se sont par ailleurs vidés lors de passages insoutenables, mettant en scène des supplices monstrueux infligés par des gamins, sans que ces derniers se questionnent sur le sens de leurs actes. L’histoire présente un jeune homme amoureux, Beto, dont le souhait est d’épouser Estela, douze ans. Il dérobe des paquets de drogue issus d’une saisie massive de la police dans le but de la vendre et de pouvoir offrir ainsi une vie à sa dulcinée. Heli, le frère d’Estela, découvre ces colis illicites et s’en débarrasse. Les trafiquants retrouvent les trois jeunes gens et les enlèvent pour leur faire subir un véritable enfer. A la conférence de presse, le réalisateur précisait son désir de montrer le climat de terreur dans lequel vivent les gens en permanence au Mexique. Ce long métrage sans complaisance, dérange et bouleverse par son regard terriblement sombre. Il montre également la solitude et l’impuissance dans lesquelles se trouvent les protagonistes. Le décor est posé de telle manière que le spectateur vit la douleur au plus profond de lui-même et ressort de la salle profondément traumatisé. (Nadia Roch, 14)


ImageManquante

L’image manquante de Rithy Panh
Cambodge - Un Certain Regard
Prix Un Certain Regard
Rithy Panh poursuit son travail de mémoire et d’histoire relatif au drame cambodgien perpétré par les Khmers rouges entre 1975 et 1979. L’angle choisi est cette fois-ci très personnel puisque le réalisateur revient sur la façon dont lui-même a, comme enfant, traversé ou plutôt (sur)vécu ces années noires. De petites figurines peintes et mises en scène lui permettent de compléter habilement les rares documents d’archives où l’horreur se déploie. Pourtant, Panh ne confronte  pas à d’insoutenables images, il invite plutôt à assister à la répétition  des slogans et des (faux) engagements patriotiques aussi vides que mortifères, sous les yeux de Pol Pot et de ses sbires.

Un texte solide, magnifiquement lu en voix off, invite à suivre le très jeune Rithy qui se souvient tant qu’il peut et relate avec d’autant plus de force qu’il ne juge pas,  c’est-à-dire qu’il relate à la façon d’un Primo Levi (et non en donnant des leçons comme Claude Lanzmann). L’ensemble du procédé fait de son film une œuvre majeure qui, avec S21 et DUCH, forme une sorte de SHOAH sur un génocide qu’il ne faut pas oublier, au risque d’effacer une fois encore les histoires et les noms de celles et ceux qui en furent les victimes. (Serge Molla, 20)

L’inconnu du lac de Alain Guiraudie
France - Un Certain Regard
Prix de la mise en scène
Décor unique: un lac, une plage caillouteuse, lieu de drague de gays, où l’on consomme le sexe à la hâte. Frank y croise Henri, l’exception locale, un hétéro bedonnant seul et solitaire, mais il flashe sur Michel, beau ténébreux musclé. Une fin de journée, Frank assiste au meurtre par noyade d’un amant de Michel. Pourtant, malgré cela, la drague reprend ses droits, un nouveau couple se forme, Frank - Michel, alors que rôde un enquêteur désireux de comprendre les faits réels. D’un film sur les rencontres furtives, on glisse au drame, en quittant toute vraisemblance. Les corps nus et les ébats sont ici filmés d’autant plus près que les sentiments sont lointains et que le chacun pour soi dicte les comportements: l’autre n’y est plus qu’un objet conduisant au pire (aveuglement). Et si le soleil brille souvent, c’est peut-être involontairement pour mettre en lumière moins la beauté des corps que l’irresponsabilité de ces adultes que la mort d’un homme ne distrait guère de leur quête de jouissance. (Serge Molla, 8)

Inside Llewyn Davis de Ethan Coen et Joel CoenInsideLlewynDavis
USA - En compétition
Grand Prix
Début des années 60 à Greenwich Village, haut lieu de la culture et de la vie de bohème. Dans un bar enfumé et ténébreux, un chanteur, Llewyn Davis (Oscar Isaac, acteur mais aussi excellent musicien) gratte sa guitare et initie le public à la musique folk; on peut voir en lui un précurseur de Bob Dylan. Puis il sort dans une ruelle enneigée et se fait rosser par un malabar surgi de nulle part. C'est le prélude à de nombreuses tribulations que d'autres ou lui-même lui infligent... Sans domicile fixe, fauché, privé de son partenaire musical qui s'est suicidé, il squatte les canapés des copains. Il commence par laisser échapper un chat auquel un vieux couple est très attaché, et la poursuite du félin l'entraîne dans des aventures picaresques, avec une ex-petite amie, un imprésario incompétent, un père atteint de la maladie d'Alzheimer...
Le film s'achève par la même scène que celle du début, et l'on comprend alors que celui qui l'a rossé était le mari d'une authentique folkeuse se produisant dans le même bar que lui et qu'il avait moquée en public. La boucle est ainsi bouclée...
Après le drame de TRUE GRIT, voici la tragi-comédie. Tourné en noir et blanc, ponctué de dialogues et de situations hilarantes, INSIDE LLEWYN DAVIS est un joli exercice de style qui réjouira les nostalgiques du folk avec plusieurs chansons en version intégrale. (Daniel Grivel, 15)

JeuneEtJolie

 

Jeune et jolie de François Ozon
France - En compétition
Désireux de filmer la jeunesse d'aujourd'hui, Ozon s'arrête cette fois-ci sur une jeune fille qui découvre la transformation de son corps. Après avoir perdu sa virginité lors des vacances, Isabelle choisit de se prostituer ponctuellement pour découvrir plus encore la sexualité (hors tout sentiment) et le désir de l'autre (homme mûr, voire âgé). Aucun impératif financier ne l'invite à emprunter ce chemin dangereux qui s'étend sur quatre saisons, rythmé par quelques chansons de Françoise Hardy et le poème de Rimbaud «On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans».

Jeux de regards et de jugements (de sa mère notamment), décors, aveux et mensonges sont au cœur de ce film qui soulève de fortes questions, mais qui l'eussent été peut-être plus encore si l'expérience d'Isabelle ne se liait à une découverte ratée de la dimension sexuelle de la vie et s'il ne souffrait pas de passages «téléphonés» et de personnages secondaires quelque peu caricaturaux. (Serge Molla, 13)

Jimmy P. (Psychothérapie d'un Indien des plaines) de Arnaud DesplechinJimmyP
France - En compétition
C'est l'histoire vraie de Jimmy Picard (Benicio Del Toro), Indien Blackfoot incorporé dans les troupes américaines ayant débarqué en France et souffrant d'un traumatisme cranio-cérébral qui entraîne divers troubles sporadiques: céphalées, vertiges, cécité temporaire - le tout aggravé par une consommation excessive d'alcool. Il est admis dans l'hôpital militaire de Topeka, au Kansas, spécialisé dans les maladies du cerveau.Les examens physiologiques ne donnant rien, il est déclaré schizophrène (aujourd'hui, on parlerait de syndrome post-traumatique). Il est alors suivi par un ethnologue et psychanalyste français, Georges Devereux (Mathieu Amalric), grand connaisseur des cultures amérindiennes, venu tout exprès de Paris. Fondé sur l'analyse conduite par Devereux, le film décrit l'évolution du patient et l'exploration des souvenirs et rêves de Jimmy, ainsi que la naissance d'une belle amitié.
Si JIMMY P. est très verbeux et sa musique (Howard Shore, pourtant) saoulante, les images de Desplechin sont magnifiques et l'histoire se suit à la manière d'un polar psychologique. Benicio Del Toro s'est remarquablement glissé dans la peau du rôle, et Mathieu Amalric se délecte de jouer un personnage versatile à l'intelligence agile. (Daniel Grivel, 14)

Les manuscrits ne brûlent pas de Mohammad Rasoulof
Iran - Un Certain Regard
Prix de la Critique internationale (Fipresci)
Un écrivain, surveillé par le régime iranien, a achevé un manuscrit relatif à la tentative d’élimination des écrivains de son pays et en a confié une copie à deux de ses collègues. Mais la police n’entend pas voir ce texte publié: original et copies doivent être saisis, et l’auteur et ses amis éliminés. Tournée partiellement en Iran, cette réalisation est importante, car d’une part elle rappelle le prix de la liberté d’expression et le courage de ceux qui désirent témoigner malgré tout et, d’autre part, elle souligne à quelles extrémités – jusqu’à devenir tueurs à gages – sont réduits des individus qui tiennent simplement à pouvoir assumer leurs charges de famille. Interprété par des acteurs non professionnels, ce film a tous les accents d’une vérité qui n’est pas bonne à dire, mais qui doit être dite. Construit comme un thriller, à partir d’un long flash-back, il est éprouvant, mais tellement nécessaire, pour que le mot démocratie ne soit pas dépourvu de sens en Iran comme en d’autres lieux où des écrivains écrivent avec leur sang. (Serge Molla, 14)

Marche de la mort (Death March) de Adolfo Alix Jr
Philippines - Un Certain Regard
En 1942, la bataille de Bataan se termine par la capitulation des Américains. 75'000 soldats sont faits prisonniers par les Japonais qui leur imposent la «marche de la mort». Pour raconter cette tragédie déjà portée à l’écran par d’autres, le tout jeune réalisateur philippin Adolfo Alix a fait un choix de narration et de mise en scène audacieux. En noir et blanc, dans un décor de carton-pâte, il monte en studio une sorte d’opéra-théâtre. Il chorégraphie les mouvements des soldats, leur marche, les chutes, les reptations, les coups, les exécutions. Essentielle, la bande-son crée une atmosphère suffocante avec cris, explosions, rugissements, murmures, dialogues avec les morts et entre les survivants. La frontière séparant les vivants des morts devient floue.
Plus que sur les événements historiques tels qu’ils se sont déroulés, le film se concentre sur quelques soldats américains, philippins et japonais, et met en résonance leurs rêves, leurs hallucinations et leur désespoir. Il s’attache à la psychologie de ces morts-vivants, aux mouvements intérieurs de ces hommes dont la seule certitude est qu’ils marchent vers l’enfer. Un film lent, austère et difficile pour suggérer l’indicible. Avec l’ange de la mort qui plane sur ces hommes, le cœur des ténèbres est malgré tout traversé par quelques éclairs d’humanité. (Anne-Béatrice Schwab, 13)

MaVieLiberaceMa vie avec Liberace (Behind the Candelabra) de Steven Soderbergh
USA - En compétition
Liberace (proncer Libératchi)... C'est le nom de scène d'un pianiste étasunien virtuose né en 1919 et mort du sida en 1987, qui a su se faire médiatiser par ses extravagances (costumes kitschissimes, bagnoles pharamineuses, shows bling bling à Las Vegas; il était le favori des mémères à cheveux bleutés et fut le précurseur des Elvis, Elton John et autres Madonna (sans parler, «en plus modeste évidemment» comme aurait dit Gilles, de notre Alain Morisod national...). Le polycinéaste Soderbergh s'est intéressé à la romance entre la star - qui n'a jamais avoué son homosexualité, pruderie de l'époque obligeait - et un jeune dresseur de chiens. Les acteurs incarnant Liberace (Michael Douglas) et Scott Thorson (Matt Damon) le font de manière jubilatoire et tragique tout à la fois. Tout y passe: le champagne dans le jacuzzi, les pianos enluminés, une Rolls clinquante sur la scène, les manteaux de chinchilla à longue traîne clignotante, la chirurgie esthétique, les scènes de jalousie...
Il manque peut-être quelques clefs au spectateur européen pour goûter le spectacle tiré du récit de Scott Thorson, mais il sera estomaqué par l'exubérance d'une bête de scène qui voulait apporter à son public non seulement les tubes de la musique populaire mais aussi des oeuvres classiques (Chopin, Rachmaninoff), malheureusement trop souvent noyées sous la pédale... La réalisation est luxuriante et l'interprétation brillante. (Daniel Grivel, 14)

Michael Kohlhaas de Arnaud des Pallières
France - En compétition
Un an après LA CHASSE (Prix oecuménique), Mads Mikkelsen revient en incarnant Michael Kohlhaas, Allemand établi marchand de chevaux dans les Cévennes au XVIe siècle. Le film est inspiré d'un roman de Heinrich von Kleist narrant l'histoire d'un commerçant victime de l'injustice d'un seigneur et ayant mis une province d'Allemagne à feu et à sang pour obtenir réparation. Ici, c'est l'instauration arbitraire et indue d'un péage ainsi que la confiscation de deux chevaux qui déclenche les hostilités; droit, rigoureux, inflexible, Kohlhaas veut faire triompher ses droits contre les privilèges auxquels s'accrochent des nobliaux. Après l'assassinat de sa femme, il lève une petite troupe et porte sa vengeance au château. Saisie, la justice lui octroiera certes des dédommagements d'une part, mais le condamnera à mort d'autre part.
Dans ce «southwestern» cévenol, l'acteur danois campe un huguenot austère et exigeant aussi bien avec lui-même qu'avec les autres. Le spectateur a droit à de magnifiques paysages et à des éclairages veloutés, mais aussi à une reconstitution parfois approximative. Il ne reconnaîtra peut-être pas Bruno Ganz en gouverneur mais s'amusera à voir Denis Lavant, le transformiste de HOLY MOTORS, en théologien sévère... (Daniel Grivel, 11)


Miele

Miele de Valeria Golino
Italie - Un Certain Regard

Mention du Jury œcuménique
Pour Irène, alias Miele, jeune femme italienne, la compassion aux grands malades incurables passe par  son assistance à leur suicide. Aussi se rend-elle ponctuellement au Mexique pour en rapporter un barbiturique efficace et l’administrer à ceux qui en font la demande. Un jour, un ingénieur requiert ses services, mais elle découvre qu’il est en bonne santé et là, tout bascule: elle refuse de cautionner ce suicide qu’elle considère comme un meurtre.

La force de cette réalisation tient au point de vue unique adopté, celui d’Irène, dont la sensibilité et la réflexion soulèvent avec finesse les délicates et redoutables questions de l’euthanasie active. Certes, le vécu de l’entourage, les enjeux éthiques, voire moraux, que supposent un tel geste, sont laissés de côté, mais c’est ici au profit de la priorité accordée à la dignité humaine.

Le seul bémol de ce film fort bien maîtrisé est lié à Irène qui paraît bien jeune pour «militer» de cette façon pour une telle cause. (Serge Molla, 14)

 

My Sweet Pepperland de Hiner SaleemMySweetPepperland
Kurdistan irakien - Un Certain Regard
Tourné par un réalisateur kurde dans un village perdu des montagnes du Kurdistan irakien proche de la frontière turque, MY SWEET PEPPER LAND joue avec les codes du western. Dans des décors naturels sauvages et dans un pays où tout reste à construire, Baran, le nouvel officier de police (Korkmaz Arslan), tente de faire respecter la loi. En face de lui, il y a le caïd local, corrompu et corrupteur, organisateur de trafics avec les pays limitrophes, gardien de l’honneur pour le plus grand malheur des femmes. Bon combattant mais surtout courageux, tenace et intègre, Baran rencontre la belle institutrice (Golshifteh Farahani) progressiste, donc en grand danger…
Cette comédie joue sur plusieurs registres: celui de l’humour voire du burlesque, celui de la romance à grand renfort d’émotions et de musique, celui des bagarres et des coups de feu. Et aussi un propos plus politique et engagé avec la dénonciation du statut de la femme dans une société archaïque, les difficultés de l’après-révolution, la question de l’honneur, la violence endémique.

Un sujet grave, traité avec légèreté et habileté. (Anne-Béatrice Schwab, 16)

NebraskaNebraska de Alexander Payne
USA - En compétition
Prix d'interprétation masculine à Bruce Dern
Vu au lendemain de l'ouragan LA VIE D'ADELE... ce road movie en noir et blanc courait le risque de paraître fade - et pourtant il est parvenu à faire entendre sa jolie petite musique. En lever de rideau, on voit un vieil homme, grand et efflanqué, peiner le long d'une route et se faire ramener chez lui par une patrouille de police, auprès son énergique femme épuisée par ses fugues à répétition et par ce qu'elle considère comme le début d'une démence sénile. C'est que le bonhomme (Bruce Dern) a reçu une lettre lui annonçant personnellement «Cher Monsieur Woody Grant, vous avez gagné un million de dollars» (vous savez, le truc du Reader's Digest par exemple...), et qu'il tient mordicus à aller toucher le gros lot. Par gain de paix, son fils David (Will Forte) se porte pâle à son travail et embarque son géniteur dans sa voiture pour se rendre au siège de la société si alléchante. Leur itinéraire passe par le patelin natal de Woody, dont le père était paysan, et ils y font étape. C'est l'occasion de retrouver de la famille et de vieilles connaissances, dont certaines sont fort intéressées par le potentiel financier qui leur a été annoncé... Kate Grant, la mère (truculente June Squibb), rejoint les deux compères, et c'est l'occasion d'autres retrouvailles, avec ceux qui sont au cimetière notamment - une scène d'anthologie. David commence à découvrir son père sous un autre aspect que celui d'un pochard désabusé. Tous deux atteindront le bout de leur randonnée; en lieu et place du million espéré, Woody reviendra avec une casquette marquée Winner... Mais surtout, David échange sa voiture contre un rutilant pick up rouge, rêve de son père, et permet à celui-ci de le conduire - pour la première et dernière fois, mais ça le rendra tellement heureux - le long de la rue principale de leur petite ville, en saluant parents et amis.
Nebraska est un film qui a du coeur, qui émeut et fait sourire, tout en délicatesse. Il raconte bellement un père et un fils qui s'ouvrent l'un à l'autre, et c'est bon. (Daniel Grivel, 18)

Norte

Norte, la fin de l’histoire de Lav Diaz
Philippines - Un Certain Regard
Ce film-fleuve (plus de 4 heures) relate la vie d’un homme pauvre, injustement condamné à perpétuité, des siens appelés à se débrouiller sans lui, et du véritable meurtrier. Quelques dialogues (philosophiques) ayant trait à la fin de l’Histoire ponctuent cette œuvre singulière. Ses longs plans, presque silencieux, n’illustrent pas le propos, mais sont le véritable langage de cette réalisation qui se mue progressivement en une émouvante méditation à propos de l’être l’humain.

Que ce soit en prison où un caïd tente d’imposer sa loi, ou à l’extérieur où la pauvreté risque de réduire les êtres à leurs seuls besoins économiques, où la culpabilité peut aussi bien enfermer qu’ouvrir l’individu, chacun est finalement confronté à lui-même, appelé à faire face à ses démons intérieurs comme au développement de ses capacités à vivre dignement, voire à aimer, pardonner ou à trouver quelque rédemption. L’histoire se déploie sur plusieurs années, comme pour mieux laisser libre cours à la vie, la vraie, celle qu’un scénario jamais n’enferme et qui offre ici un large spectre sur la réalité philippine. (Serge Molla, 18)

Omar de Hany Abu-AssadOmar
Palestine - Un Certain Regard
Prix du Jury
Le jeune boulanger palestinien Omar rêve d’épouser la sœur de son ami d’enfance. Mais c’était avant d’être pris dans l’engrenage mortel du combat pour la liberté. Par-dessus le mur qui enferme la Cisjordanie et dans le dédale des ruelles, des arrière-cours et des maisons, Omar et ses deux amis d’enfance  deviennent apprentis terroristes et jouent au chat et à la souris avec le Mossad.
Le réalisateur décrit la dégradation des sentiments humains, amicaux, familiaux et amoureux, contaminés par les manipulations et les pressions de l’occupant. Le soupçon et la trahison minent toutes les relations et il n’y a plus de confiance possible. L’impasse dans laquelle se débattent les personnages les pousse au pire, aux solutions désespérées qui entretiennent la spirale infernale de la violence et de la mort.

Avec un scénario bien ficelé, OMAR pose des questions essentielles sur la loyauté et sur la possibilité du bonheur dans un pays en guerre, une terre où l’on en est réduit à tuer par amour. (Anne-Béatrice Schwab, 16)

Only God Forgives de Nicolas Winding Refn
Danemark / France - En compétition
Après avoir fait sensation avec DRIVE il y a deux ans. le réalisateur danois revient avec son acteur-fétiche Ryan Gosling dans le rôle de Julian, jeune Américain qui, fuyant la justice de son pays, dirige à Bangkok un club de boxe thaïlandaise, en réalité une couverture pour son trafic de drogue. Son frère Billy a été tué après avoir sauvagement massacré une jeune prostituée. Régnant sur un monde interlope, Chang (Vithaya Pansringarm) est un policier à la retraite marron et adulé par les flics en exercice. L'arrivée de la mère des garçons, dirigeante d'une vaste organisation criminelle étasunienne, ivre de vengeance, va déverser des hectolitres d'huile sur le feu; en effet, avant de rapatrier la dépouille de Billy, elle réclame à Jimmy (gangster en quête de religion...) les têtes des meurtriers. Comme il se doit, la couleur dominante est le rouge (sang) - soit dit en passant, il paraît que le réalisateur est daltonien...
La violence est omniprésente.
Si Ryan Gosling reprend le même registre impassible voire amorphe du Driver, Kristin Scott Thomas, elle, livre une composition délirante (qu'elle semble avoir désavouée lors d'une interview) où elle se distingue par un vocabulaire particulièrement ordurier. Tout ce qui est excessif est insignifiant, disait Talleyrand. Ainsi soit-il, puisque seul Dieu pardonne. (Daniel Grivel, 8)
 

OnlyLoversLeftAliveOnly Lovers Left Alive de Jim Jarmusch
Royaume-Uni / Allemagne - En compétition
Detroit, ville sinistrée. Dans une sorte de manoir gothique, Adam (Tom Hiddleston), musicien underground, collectionne des guitares hors d'âge et compose des musiques tourmentées; ne sortant que la nuit, il se rend dans un hôpital sous l'identité du Dr Faust pour s'approvisionner clandestinement en sang de groupe O rhésus O auprès du Dr Watson... A Tanger, sa femme Eve (Tilda Swinton) a pour fournisseur un certain Christopher Marlowe (John Hurt); à grand renfort de précautions - elle ne peut voler que de nuit -, elle prend l'avion pour rejoindre Adam. Leur idylle, qui dure depuis des siècles, va être perturbée par l'irruption de la petite soeur d'Eve, Ava (Mia Wasikowska), turbulente et incontrôlable, qui ne résiste pas à l'envie de mordre le cou d'un jeune homme qui lui botte.
On l'aura compris, on est en présence de vampires vivant au XXIe siècle et s'efforçant de passer inaperçus: entourés d'êtres humains qu'ils qualifient de zombies, ils se sont adaptés et s'assurent que le sang dont ils sont friands est pur et non contaminé.

Pour le réalisateur, «Adam et Eve sont (...) des métaphores de l'état actuel de la vie humaine - ils sont fragiles et menacés, si vulnérables face aux forces de la nature et au comportement irréfléchi, totalement dépourvu de vision à long terme, de ceux qui sont au pouvoir.» C'est bien beau sur le papier, mais à l'écran Jarmusch déçoit: son récit est anémique et traîne les pieds, ses images sont esthétisantes, ça bavarde beaucoup.

Seule la fin, un brin mélancolique, rachète un exercice plutôt vain. (Daniel Grivel, 9)

Les salauds de Claire Denis
France - Un Certain Regard
Histoire alambiquée où tout commence par le suicide d’un père dont l’industrie est en faillite et dont la fille paraît en perdition. Son épouse supplie alors son frère, capitaine d’un tanker, de revenir du grand large… Si la photographie est intéressante et le montage nerveux, dysfonctionnements, abus sexuels d’une extrême gravité, infidélités sont au rendez-vous de ce téléfilm à grands moyens sur une vengeance, dans lequel Vincent Lindon et Chiara Mastroianni sont allés se perdre et où l’on ferait bien de ne pas les suivre. (Serge Molla, 9)

Sarah préfère la course de Chloé Robichaud
Canada - Un Certain Regard
Courir et gagner, Sarah (ravissante Sophie Desmarais!) ne pense qu’à ça. Sélectionnée à vingt ans, elle choisit de tout sacrifier pour aller au bout de son rêve. Le monde des émotions semble étrangement silencieux. Elle peine à nouer des liens et ignore encore si son cœur bat pour les garçons ou pour les filles. Elle découvre juste qu’il a des ratés et que cela pourrait l’empêcher de courir…
Ce premier long métrage d’une toute jeune réalisatrice québécoise retient l’attention par la justesse de ce portrait. Sensible et sobre, différent d’un film sportif classique, il ne magnifie pas la course ou l’exploit. Il cherche plutôt à en indiquer le prix à payer et les enjeux psychologiques pour Sarah et pour les sportifs d’élite en général. Entre la poursuite d’un rêve exigeant et l’envie de vivre l’insouciance, le passage à l’âge adulte est une étape si difficile à gérer! (Anne-Béatrice Schwab, 13)

Suzanne

Suzanne de Katell Quilléveré
France - Quinzaine des Réalisateurs
Un père veuf, deux filles, dont Suzanne. Dès l’adolescence, où elle devient mère d’un petit garçon, Suzanne conjugue insouciance et vie au jour le jour, où, plus que l’insertion sociale et professionnelle l’amour dicte ses choix. Aussi son parcours devient-il rapidement  accidenté, alors que si son père peine à accepter et assumer les problèmes de la sa fille cadette, elle bénéficie de l’indéfectible soutien de sa sœur aînée.

Sara Forestier (Suzanne) et François Damiens (le père) portent ce film où la figure de l’enfant rouvre l’espace et l’avenir. En effet, tant le fils de Suzanne que plus tard Solange, sa fille, apportent quelque espérance dans un monde où les adultes tentent de (sur)vivre et croient qu’il suffit  de «combiner». Ainsi Suzanne et son ami estiment-ils pouvoir soumettre la réalité à leurs rêves et échapper ainsi aux conséquences de leurs actes.

Autant dire qu’un jour ou l’autre les jeux de ces adultes immatures conduisent à un «rien ne va plus» (Serge Molla, 14)

 
Tel père, tel fils (Soshite Chichi Ni Nru) de Kore-Eda HirokazuTelPereTelFils
Japon - En compétition
Prix du Jury
Ce nouveau film de Kore-Eda (NOBODY KNOWS, 2004; STILL WALKING, 2008; I WISH, 2012) aborde l’histoire tragique de deux bébés échangés dans une maternité. Six ans plus tard, lors d’un examen médical prouvant une incompatibilité sanguine,  deux familles se retrouvent confrontées à ce drame terrifiant. Deux mondes les opposent: d’un côté, un foyer modeste, sans prétention et sans grandes attentes de la vie, si ce n’est le partage, le rire et le bonheur d’être ensemble. De l’autre, une famille aisée, dont le père, architecte acharné au travail, est obnubilé par la réussite. Leur vision de l’éducation est diamétralement différente: le premier privilégie une vie basée sur le bon sens, la communication et le plaisir. Le second pense que le succès professionnel et la reconnaissance sociale sont les principaux atouts permettant l’aboutissement de l’existence. 
Les personnages féminins sont intéressants. En effet, les deux mères ont des caractères très dissemblables mais, d’instinct, elles trouvent un terrain d’entente, pensant d’abord au bien des enfants avant leur propre intérêt.
A l’image d’Etienne Chatiliez dans LA VIE EST UN LONG FLEUVE TRANQUILLE (1987), le réalisateur japonais reprend la même thématique. Si un point commun les relie - les situations comiques sont provoquées par les réactions dues à la différence de classes sociales -, le film du japonais va plus loin dans la réflexion.  Avec douceur et subtilité, il aborde la problématique de la paternité. Tout en retenue, il démontre que la relation tissée par l’amour est plus riche et surtout plus forte au final que les liens de sang.
Ce film, pudique et intense, met en scène des personnages contradictoires mais dont la dignité émeut sans avoir besoin de tirer sur les grosses cordes du mélo. (Nadia Roch)
 

ToreTanzt

 Tore Tanzt de Katrin Gebbe
Allemagne - Un Certain Regard
Ce film s’ouvre par le baptême par immersion de Benno, jeune membre des Jesus Freaks, mouvement punk chrétien. Sans famille et sans domicile fixe, ce jeune épileptique est accueilli au sein d’une famille recomposée, suite à un coup de main miraculeux qu’il a donné. Mais, peu à peu,  Benno, qui prend à la lettre les Ecritures (pardon des ennemis, prière…) se voit brimé, soumis, voire martyrisé par le chef de famille omnipotent. Benno s’accroche à ses convictions ridiculisées et offre progressivement une sorte de portrait du Serviteur souffrant d’Esaïe 53.

Construit en trois chapitres (Foi, Amour, Espérance) en écho à 1 Corinthiens 13, ce premier film révèle une fois de plus une famille à la dérive, où seul le sacrifice de l’étranger ouvre une brèche d’espérance.

Inspirée d’un fait divers qui fait froid dans le dos, cette première réalisation, filmée crûment, interroge sur les dérives de certains individus capables d’une insoutenable violence, opposée ici à un fondamentalisme non-violent, naturel et non dogmatique. (Serge Molla, 13)

The Bling Ring de Sofia Coppola
USA - Un Certain Regard
Histoire vraie: à Los Angeles, des lycéens, obnubilés par les célébrités (Paris Hilton, Orlando Bloom et consorts) comme par l'empire des fringues et des objets griffés, pistent les «pipoles» sur Internet et profitent de leurs voyages pour cambrioler leurs luxueuses demeures (on est rêveur devant le nombre de portes-fenêtres non verrouillées...). Après quoi ils se pavanent sur les réseaux sociaux, arborant leur butin voire leurs Louboutin: bijoux, vêtements haute couture, chaussures extravagantes, lunettes à soleil clinquantes. Au fil de leurs visites, ils ont fauché pour plus de trois millions de dollars de marchandises, fourguant à vil prix des montres prestigieuses à des recéleurs. C'est grâce à des enregistrements de vidéos de surveillance que les jeunes délinquants ont fini par se faire pincer. La bande fut surnommée par les médias the Bling Ring (traduction superflue...).
On est confondu par la vacuité d'adolescents en stabulation libre (les parents, une mère nunuche mise à part, sont inexistants); les substances psychotropes semblent être en libre service. Certes, le film est étincelant, en d'autres termes bling bling à souhait, on retrouve la fascination de la réalisatrice pour la quincaillerie, mais les scènes de cambriolage deviennent répétitives, et on éprouve peu de sympathie pour des crapauds désoeuvrés. Pour la petite histoire, il n'y a rien de nouveau sous le soleil: à la fin des années 70, des gymnasiens lausannois profitaient de l'absence de leurs parents respectifs pour cambrioler les logements vides; Suzanne Deriex en a tiré son roman «Pour dormir sans rêves» (1980). (Daniel Grivel, 9)

Immigrant

The Immigrant de James Gray
USA / France - En compétition
En 1917, Charlie Chaplin sortait un court métrage, THE IMMIGRANT, dans lequel il abordait le registre du drame. En 2013, James Gray propose sous le même titre un mélodrame pur sucre. Ewa Cybulski (Marion Cotillard) et sa soeur Magda, dont les parents sont morts en Pologne, arrivent en 1921 à Ellis Island, antichambre des Etats-Unis pour les émigrants. Magda, tuberculeuse, est placée en quarantaine dans l'infirmerie de l'île, tandis qu'Ewa, en passe d'être refoulée (elle est accusée de s'être prostituée à bord) est «sauvée» par Bruno Weiss (Joaquin Phoenix), souteneur juif, qui l'incorpore à son «cheptel». Elle cède, dans l'espoir de gagner assez d'argent pour s'établir comme couturière, ses oncle et tante new yorkais l'ayant rejetée. L'arrivée d'Orlando le magicien (Jeremy Renner), cousin de Bruno mais moins immonde, lui donne de l'espoir. C'est compter sans une jalousie maladive...
Tourné dans des tons à dominante sépia, évoquant des photos d'époque, entaché par quelques invraisemblances, le film fait se tourner le spectateur vers LES DEUX ORPHELINES, ces victimes de riches débauchés et d'exploiteurs sans scrupules. Rien à redire sur l'interprétation: Marion Cotillard est excellente et démontre une fois de plus ses talents polyglottes, et Joaquin Pheonix est tel qu'en lui-même... La première heure se tient, puis le récit dérape puis s'enlise. On a connu James Gray mieux inspiré. (Daniel Grivel, 9)

La vie d'Adèle - Chapitre 1 et 2 de Abdellatif KechicheLaVieAdele
USA / France - En compétition
Palme d'Or
Le très long (2 h 55) film du réalisateur de LA GRAINE ET LE MULET et de VENUS NOIRE a soulevé la quasi unanimité de la critique hexagonale (12 palmes dans Le film français!). Les amours homosexuelles sont dans le vent, surtout en ces temps où la rue s'enflamme pour ou contre le mariage pour tous. Cela étant posé, reconnaissons que la chronique dévidée par le cinéaste franco-tunisien est finement et que l'on se prend à s'attacher aux personnages, plus peut-être à la fragile Adèle (Adèle Exarchopoulos) qu'à son initiatrice impérieuse Emma (Léa Seydoux).

On assiste à la vie quotidienne d'Adèle, lycéenne de 15 ans qui cherche et qui se cherche. Entourée de copines au langage souvent cru dans leurs fantasmes, elle laisse tomber un garçon qui ne demandait qu'à l'aimer pour se laisser séduire par Emma, étudiante en beaux-arts plus âgée, filles aux cheveux bleus ouvertement lesbienne. Une passion dévorante se développe entre elles, illustrée par des scènes explicites qui auraient pu être plus elliptiques. Puis, sur cinq années, on voit Adèle devenir institutrice, Emma peintre reconnue, et leur relation évolue au gré d'une lente dégradation et de disputes homériques. Malgré sa fragilité, Adèle reste un bon petit soldat: elle ne laisse pas ses déceptions sentimentales prendre le pas sur sa vocation professionnelle.
Chacune dans son genre, les deux actrices fournissent une prestation exceptionnelle et paient largement de leur personne. La longue succession de petits riens finit par donner une épopée puissante. Pourquoi le sous-titre Chapitre 1 et 2? Parce que Kechiche, pressé par les délais du festival, avait hésité à faire un film en deux parties. A relever qu'il a annoncé son intention de raccourcir son oeuvre avant la sortie dans les salles. Le film aurait tout à y gagner. (Daniel Grivel, 15)

VenusFourrureLa Vénus à la fourrure de Roman Polanski
France / Pologne - En compétition
Le théâtre est décidément une bonne source d'inspiration pour Polanski. Après CARNAGE de Yasmina Reza, c'est une pièce de David Ives d'après le roman La Vénus à la fourrure de Leopold von Sacher-Masoch qui donne chair et esprit à son nouveau film.

Unité de temps, de lieu et d'action caractérisent ce dernier. On se trouve dans un petit théâtre parisien, en fin de journée; Thomas (Mathieu Amalric), metteur en scène, est harassé par une série de vaines auditions au cours desquelles il espérait trouver celle qui incarnerait Vanda, la Vénus à la fourrure. Au moment où il s'apprête à partir, voilà que surgit une candidate inattendue (Emmanuelle Seigner), culottée et frondeuse, qui parvient à lui arracher l'occasion de se présenter. D'abord réticent, Thomas est peu à peu séduit par la comédienne qui, par surcroît, se prénomme Vanda... Il lui donne la réplique et constate qu'elle connaît la pièce par coeur. En un huis clos captivant, tous deux décortiquent les caractéristiques de leurs personnages et s'identifient peu à peu à eux. Le mot de la fin est tiré du livre de Sacher-Masoch: «Et le Tout-Puissant le frappa et le livra aux mains d'une femme.»
Projeté le dernier matin du festival, le film a été plutôt fraîchement accueilli par la critique. Assurément, c'est plus du théâtre filmé que du cinéma - mais, bon sang, quels dialogues et quelle progression dramatique! Quel cadeau et quel hommage fait par Polanski à son épouse, qui aurait mérité le prix d'interprétation féminine! Et Mathieu Amalric est loin de démériter, ajoutant à son talent une piquante ressemblance avec le réalisateur... (Daniel Grivel, 16)

Un château en Italie de Valeria Bruni Tedeschi
France - En compétition
C'est à la lecture de La Cerisaie de Tchekhov que Valeria Bruni Tedeschi - unique femme en compétition - a eu l'idée de réaliser une fiction assez autobiographique puisqu'il y est question d'une famille ressemblant à la sienne, avec une mère pianiste, un frère malade qui mourra du sida, un château (qui a effectivement été vendu). Louise (Valeria Bruni Tedeschi), la quarantaine, actrice en pause, tombe par hasard sur Nathan (Louis Garrel) acteur plus jeune qu'elle. La jeune femme accepte l'amour qui lui est voué pour autant qu'une fécondation in vitro puisse être faite, tant elle a le désir d'un enfant («J'ai 43 ans, dit-elle, je suis une dame»). On sent approcher la fin d'une époque: le château de famille coûte trop cher à l'entretien, il faut le vendre - la mère y est résolue, le fils s'y oppose au nom des souvenirs. C'est une histoire d'amours contrariées et tumultueuses, d'une relation (trop) proche entre un frère et une soeur, ponctuée de quelques épisodes tragi-comiques.
Dans UN CHÂTEAU EN ITALIE, on retrouve cette petite musique chère à la réalisatrice-actrice, des émotions et des sentiments foisonnants, quelques images symboliques fortes (l'abattage d'un arbre plusieurs fois centenaire dans le parc). C'est un film choral mettant les interprètes en valeur, mais on se lasse assez rapidement d'un certain nombrilisme. (Daniel Grivel, 12)


Voyageur2

Un voyageur de Marcel Ophuls
France - Quinzaine des Réalisateurs
Dix-neuf ans après son dernier film, le mythique VEILLEE D'ARMES, Marcel Ophuls, l'un des derniers grands Maîtres, le plus corrosif, le plus drôle aussi, sort de sa retraite pour nous offrir une escapade gaie et amère à travers le siècle et le cinéma. Le réalisateur de LE CHAGRIN ET LA PITIE nous lègue les histoires de sa vie, d'une exceptionnelle richesse.
«Comme je ne me tiens pas pour un écrivain, j'ai réalisé des mémoires filmés. UN VOYAGEUR est avant tout un film sur l'amitié et aussi un film d'amour pour ma femme.» Fils du grand Max Ophuls, il sait être un homme généreux dans l'admiration. C'est ainsi que nous croisons avec bonheur Ernst Lubitsch, Bertolt Brecht, Otto Preminger, Woody Allen, Jeanne Moreau, Stanley Kubrick et son ami très cher François Truffaut. Voyageur, Marcel Ophuls l'était aussi dans son existence: né en Allemagne, il vient en France pour émigrer pendant la guerre, d'abord en Suisse, puis aux Etats-Unis, avant de revenir en France.
Film kaléidoscopique, entrecoupé d'interviews des proches cités plus haut, de souvenirs des réalisations de son père, de maints extraits des films des années trente, UN VOYAGEUR donne parfois le sentiment d'avoir été bricolé, mais c'est avant tout une déclaration d'amour au cinéma. C'est un magasin aux souvenirs, les siens, les nôtres. Ici, le cinéma sert de lien entre l'Histoire et la vie. (Georges Blanc)

 

Wakolda de Lucía PuenzoWakolda
Argentine - Un Certain Regard
Dans les paysages de Patagonie, si proches de certains lieux d’Europe, une famille argentine rouvre un vieil hôtel  dans lequel s’installe immédiatement un mystérieux hôte allemand. Sans en avoir l’air, ce médecin se montre de plus en plus inquisiteur et s’intéresse au retard de croissance de Lilith, 12 ans, et à la grossesse de sa maman. Pourtant, cet intérêt n’a rien de gratuit et porte en lui le pire. L’homme se dit aussi prêt à investir de l’argent dans la fabrication industrielle de poupées confectionnées par le père.

Recherches dérangeantes, eugénisme, ordre presque maladif permettent de dévoiler progressivement l’identité de ce sinistre médecin que l’enlèvement d’Eichmann alerte. Force et beauté des plans, glissements révélateurs, font que ce film est d’autant plus important qu’il est le fruit d’une réalisatrice argentine revisitant l’histoire de son pays où des colonies allemandes installées depuis longtemps servirent en 1945, volontairement ou non de nids protecteurs  à bien des nazis de haut rang en fuite. (Serge Molla, 17)

Wara No Tate de Takashi  Miike
Japon - En compétition
Il y a à boire et à manger dans la filmographie se chiffrant par dizaines du réalisateur japonais. Avec son BOUCLIER DE PAILLE, on évolue plutôt dans la série Z... Le cadavre d'une fillette violée et mutilée est retrouvé dans un égout, et la maréchaussée est sur les dents. Le grand-père de la petite, le richissime Ninagawa Takaoki met à prix la tête de Kiyomaru, l'assassin récidiviste présumé: un milliard de yens à qui tuera le jeune homme. Celui-ci réchappe de peu à un copain qui le cachait et préfère se livrer à la police. Il s'agit alors d'organiser son transfert à Tokyo où aura lieu son procès. Certains refusent de «servir de pare-balles à une ordure»; finalement, une équipe comprenant un tireur d'élie, Kazuki Mokari (Takao Osawa) se charge du prévenu. Le déploiement policier est colossal: quatre véhicules identiques dans l'un desquels se cache l'escorte et Kiyomaru sont flanqués, précédés et suivis de dizaines de motards et de voitures de police. Mais l'appât du gain se fait pressant, jusque dans les rangs des forces de l'ordre, et les gardes du corps ont fort à faire. Après l'attaque dantesque d'un chauffeur au volant d'un camion de nitro-glycérine, on opte pour le train à grande vitesse, où a lieu une autre attaque. A force de fusillades, l'escorte fond comme les dix petits nègres d'Agatha Christie...
A entendre les sifflets qui ont suivi la projection, on peut se demander si ce nanar, hybride des TRANSPORTEUR et autres FAST AND FURIOUS, avait vraiment sa place en compétition. La réflexion sur le sens de l'honneur, la parole donnée et la marchandisation du monde est bien courte, et les invraisemblances foisonnent. (Daniel Grivel, 4)

Zulu

Zulu de Jérôme Salle
France / Afrique du Sud - Hors compétition
Après ses deux LARGO WINCH, Jérôme Salle quitte la bande dessinée pour le polar bien carré. Le film s'ouvre sur une scène de crime: deux policiers, Ali Sokhela (Forest Whitaker) et Brian Epkeen (Orlando Bloom) se penchent sur le cadavre défiguré d'une jeune fille massacrée à coups de poing. Cela se passe en Afrique du Sud où, si l'apartheid a été officiellement aboli, des blancs honnissent toujours et encore ceux qu'ils appellent des cafres.Le tandem Ali - Brian, lui, fonctionne plutôt bien, même si le Zoulou souffre de traumatismes remontant à son enfance (son père est mort brûlé par un pneu enflammé suspendu à son cou, et lui a été émasculé par un chien policier) et si l'Afrikaander noie ses déboires conjugaux dans l'alcool. Leur enquête les conduit dans les bidonvilles du Cap, leur fait rencontrer des bandes de malfrats et des caïds de la drogue, les amène à découvrir le recyclage d'un projet lancé au temps de l'apartheid (la mise au point d'une molécule destinée à rendre la population noire stérile).

Au bout du compte, Ali tirera un trait sur quarante années de rectitude pour impitoyablement régler ses comptes, le film s'achevant sur le massacre à poings nus d'un chimiste immonde.Non dénué de violence et de scènes sanglantes, le film est servi par d'excellents interprètes et montre que les vieux démons ont la vie dure; il offre de somptueux paysages. Le festival, ouvert par le clinquant GATSBY, a été clôturé par un sombre polar bien ficelé de série B. (Daniel Grivel, 13)