Cannes 2015 - Compétition officielle

Le 27 mai 2015

Qu'est-ce que la Sélection officielle ? Qui en est en le Jury ? Combien de films furent en lice cette année ?  Qu'en penser ? Vous avez dit Palmes? Ciné-Feuilles vous répond.

Cannes2015Historique

Le Festival de Cannes fut créé en 1946 et se déroule durant douze jours. Au fil des années, il est devenu la manifestation cinématographique la plus médiatisée du monde, grâce aux nombreuses vedettes en tenue de soirée montant les 24 marches recouvertes de rouge. La promenade de la Croisette permet d'accueillir grâce à ses plages de nombreuses soirées VIP dans lesquelles il n'est pas rare de croiser les vedettes les plus reconnues. Des milliers de journalistes, photographes, exploitants et toute la branche du cinéma, politiciens, mannequins (etc.) assistent aux nombreuses projections quotidiennes. Plusieurs sélections sont proposées: La sélection officielle; Un Certain Regard, Courts métrages...

Sélection officielle

C'est la plus convoitée et la plus réputée des compétitions: elle propose une vingtaine de longs métrages de cinéastes reconnus et réputés. Elle est la plus médiatisée grâce notamment à la foulée du tapis rouge par les stars. Des films hors-compétition font partie de ce choix, proposant des films pour le grand public, souvent des blockbusters à gros budget, pour les soirées spéciales ou les séances de minuit.
Cette année, les dix-neuf films en compétition officielle ont été vus et couverts par Serge Molla dont vous trouvez ci-après les critiques.

JuryJuryCannes2015

Présidé par Joël et Etan Coen (réalisateurs, scénaristes et producteurs - Etats-Unis), le Jury était composé de Rossy de Palma (actrice - Espagne), Guillermo del Toro (réalisateur, scénariste et producteur - Mexique), Xavier Dolan  (réalisateur, scénariste,  producteur met acteur - Canada), Jake Gyllenhaal (acteur - Etats-Unis), Sophie Marceau (actrice et réalisatrice - France), Sienna Miller (actrice - Royaume-Uni) et Rokia Traoré (auteur, compositeur et interpète - Mali).

Le film projeté en ouverture du Festival fut La tête haute d'Emmanuelle Bercot.
Le film de clôture La Glace et le Ciel  de Luc Jacquet, (hors compétition) a été projeté à l’issue de la Cérémonie de remise des Prix.

VardaAgnes

 

Palme d'or d'honneur

A la cinéaste et artiste française Agnès Varda  pour l'ensemble de son oeuvre.

 

 

 

 

 Palmarès

COMPÉTITION DES LONGS MÉTRAGES

  • Palme d'or
    DHEEPAN réalisé par Jacques Audiard
  • Grand Prix
    SAUL FIA (Son of Saul / Le fils de Saul) réalisé par László Nemes
  • Prix de la mise en scène
    Hou Hsiao-Hsien pour NIE YINNIANG (The Assassin)
  • Prix du Jury
    THE LOBSTER réalisé par Yorgos Lanthimos
  • Prix d'interprétation féminine
    Rooney Mara dans CAROL réalisé par Todd Haynes
    Emmanuelle Bercot dans MON ROI réalisé par Maïween
  • Prix d'interprétation masculine
    Vincent Lindon dans LA LOI DU MARCHÉ (The Measure of a Man) réalisé par Stéphane BRIZÉ
  • Prix du scénario
    Michel Franco pour CHRONIC


COMPETITION DES COURTS-METRAGES

  • Palme d'or
    WAVES '98 réalisé par Ely Dagher
  • Caméra d’Or
    LA TIERRA Y LA SOMBRA réalisé par César Augusto Acevedo présenté dans le cadre de la Semaine de la Critique
 
Carol2

 Carol de Todd Haynes

Royaume-Uni/Etats-Unis, 2015. Avec Cate Blanchett, Rooney Mara. Drame. Durée : 1h.58.

Combien d’années, pour ne pas dire de décennies, ont dû passer pour que l’homosexualité ne pénalise plus telle femme ou tel homme divorcé(e) au point qu’on ne le ou la sépare plus (définitivement ?) de son enfant ? Carol (Cate Blanchett), en instance de divorce, fait la rencontre fortuite de Thérèse (Rooney Mara, Prix d’interprétation féminine ex-aequo), vendeuse dans un grand magasin,  alors qu’elle fait ses courses de Noël. L’attirance est mutuelle et bouleversera le destin de l’une et l’autre. Fait divers qui ne mériterait pas qu’on en parle, si cette histoire ne se passait pas dans les années 50 aux Etats-Unis.
 
Haynes a recréé pour cela avec justesse cette période, en apportant un très grand soin tant à la bande-son qu’aux costumes, aux voitures et à tout l’environnement urbain : le moindre détail y sonne juste. Quant la relation qui se noue entre les deux femmes, elle rend, elle aussi précisément cette époque où conventions sociales et rapport à la sexualité se conjuguaient tout autrement qu’aujourd’hui, où différence était synonyme d’anormalité ou de maladie.
La réalisation très académique est donc irréprochable, mais sans surprise.

Note 13

Chronic (Chronique) de Michel Franco

Mexique, 2015. Avec Tim Roth. Drame.  Durée : 1h.33. Prix du scénarioChronic2

Elle a beau ne durer quelques jours, elle est intense la relation qui se tisse entre un aide-soignant et la personne malade en phase terminale dont il prend soin.
Méticuleux, efficace et passionné, David trouve un équilibre bien fragile dans ces engagements, et ce d’autant plus qu’il est divorcé, ne voit qu’épisodiquement sa fille aux études et que son fils est mort du sida. Autant dire qu’il estime certainement recevoir de ses patients tout autant qu’il leur donne. Aussi lorsqu’il se voit empêché de travailler pour l’agence qui l’emploie, suite à la plainte d’une famille pour soi-disant harcèlement sexuel sur leur proche, tout se complique…
La mort d’un parent fait peur, du coup l’accompagnement de fin de vie inquiète et se voit confié à des professionnels et des personnes formées pour cela, échappant ainsi aux familles. Destin ou mal de société : que révèle cette habile fiction, portée par un Tim Roth tout en finesse et intériorité ? La sobriété de la mise en scène, alliée à une trame solide et tout en sous-entendus, souligne les effets des peurs et des deuils, tant sur les familles que sur David et ses proches. Efficace et profond.
Note 15
 
Dheepan2

 Dheepan – l’homme qui n’aimait pas la guerre de Jacques Audiard

France, 2015. Avec Jesuthasan Antonythasan, Kalieaswari Srinivasan, Claudine Vinasithamby. Drame. Durée : 1h.40. Palme d’or.

A l’heure où l’Europe ne cesse de tergiverser sur l’attitude à adopter face au phénomène de l’immigration, ce film vient à point nommé, d'autant plus qu'il ne veut ni dénoncer ni culpabiliser tel ou tel pays.
Le point de vue est tout autre puisqu’il s’intéresse aux destins d’un ancien soldat, d’une jeune femme et d’une enfant qui fuient le Sri Lanka et sa guerre civile et forment tous les trois une pseudo famille. Réfugiés en France et placés dans une cité sensible, ils tentent de s’offrir une nouvelle vie en travaillant dur et en apprenant le français. Ils désirent s’intégrer sans bruit et surtout ne plus connaître le son et la violence aveugle (des armes à feu). Malheureusement, la cité est le lieu de bien des trafics et il n’est pas simple d’y échapper totalement et de ne pas se voir rattrapé par quelque groupe politique sri lankais en exil.
Jesuthasan Antonythasan (Dheepan) et Kalieaswari Srinivasan (la femme) incarnent ce couple qui en a bavé, mais veut s’en sortir coûte que coûte.
Sans faire la morale, ni donner de leçon, Audiard les suit pas à pas, dans leurs « hauts » comme dans leurs « bas », c'est-à-dire dans ces moments où une détonation réveille immédiatement un comportement réflexe extrêmement dangereux. Ainsi le réalisateur permet-il de quitter les sentiers généreux, mais irréalistes, pour confronter tout un chacun à la dure réalité, mais à la seule dont le prix compte.
Note 15

Il Racconto dei Racconti (Le conte des contes) de Matteo GarroneConteDesContes2

Italie/France, 2015. Avec Salma Hayek, Vincent Cassel, Toby Jones,  John C. Reilly. Fable. Durée : 2h.05.

L’Italie possède avec Le conte des contes de Giambattista Basile (XVIIe s.) le plus ancien et le plus riche des livres de contes populaires. Le réel et le fantastique qui s’y mêlent ne pouvaient que retenir l’attention du réalisateur désireux d’en adapter trois dont le fil rouge tenait à la place accordée aux femmes. Ainsi en au cœur de trois royaumes voisins et de merveilleux châteaux, roi et reines, princes et princesses, sorciers et fées, ogres et vieilles lavandières, saltimbanques et courtisans pouvaient, sans en avoir l’air, interroger le monde contemporain. C’est que tant les grands que les petits se voient désireux de conserver une jeunesse et une beauté éternelles, sont parfois obsédés par leur succession et le désir d’avoir un enfant (avec toutes les dérives que cela suppose) ou confrontés au conflit de générations. Le conte, et les libertés qu’il octroie, permet toutes les démesures et les audaces, et offre dans de fabuleux décors – quelle photographie ! – un questionnement d’une absolue modernité. Quant l’hypothèse d’un destin où tout se joue en termes d’équilibre et de prix à payer pour que celui-ci perdure, elle n’est peut-être plus d’actualité, mais l’équation des destinées est toujours à résoudre.
Note 14
 
Lobster2

 The Lobster  (Le homard) de Yorgos Lanthimos

Irlande/Angleterre/France/Grèce/Pays-Bas, 2015. AvecColin Farell, Rachel Weisz, John C. Reilly. Drame futuriste. Durée : 1h.58. Prix du Jury.

Ce qui retient en premier lieu l’attention, c’est l’originalité du scénario qui inverse le cours attendu des événements. La société décrite – quelque part dans une Angleterre future – ne tolère plus l’adulte solitaire ; seuls les couples ont le droit de vivre dans la durée. Aussi, afin d’éviter d’être transformé en animal de son choix (p. ex. un homard), chacun, s’il est seul, dispose de 45 jours pour trouver l’âme sœur. Quant aux rares irréductibles, les Solitaires, les voilà condamnés à se cacher et à vivre dans la forêt pour échapper à quelque chasse.
Si l’ambiance  que distille ce film est bien celle de l’étrangeté – non dénuée d’humour, vu l’inattendu de certaines situations – celle-ci ne suffit pas à susciter quelque sentiment de compassion. Aussi Colin Farrell et Rachel Weisz ont beau incarné des Solitaires rebelles, on ne suit hélas leur parcours que par contrainte, ce qui est d’autant plus regrettable vu l’angle choisi pour réfléchir aujourd’hui à la solitude et à la difficulté du lien conjugal. Tout désir, hormis exception, semble avoir disparu au cœur de cette société imaginaire sans relief. Tout désir, tout goût, tout… ce qui conduit à s’interroger : l’humain serait-il un animal de déraison ?
Note 13
 
 
LoiMarché2

La loi du marché de Stéphane Brizet

France, 2015. Avec Vincent Lindon. Drame social. Durée : 1h.33. Mention spéciale du Jury œcuménique

Depuis son licenciement et un stage de formation de grutier (qui ne lui a servi à rien) et ses passages réguliers à Pôle-emploi, de l’entrevue via Skype à un exercice  de présentation-valorisation de soi, Thierry, 51 ans,  tente de mettre toutes chances de son côté pour retrouver du travail. Aux côtés de son épouse, il se bat ;  ensemble, ils ont l’habitude de faire face, d’autant plus que leur fils unique est handicapé et qu’il leur est partiellement à charge. Du coup, ils sont prêts à vendre leur mobil-home, mais pas aux prix de perdre la face. Thierry décroche finalement un poste de vigile dans une grande surface, consistant à surveiller (notamment via de nombreuses caméras) le comportement des clients et du personnel et à, si besoin est, dénoncer le vol et témoigner en présence de la personne malhonnête. Mais quand il s’agit d’un petit vieux qui a volé pour manger ou d’une caissière qui a gardé des bons-cadeaux, Thierry atteint ses limites.
 
Vincent Lindon (Prix d’interprétation masculine) joue ce rôle avec une troublante justesse et est entouré d’acteurs non professionnels qui tiennent pour la plupart leurs propres rôles. Toute l’équipe  permet à cette réalisation d’être d’une justesse absolue et de dénoncer sans caricature ou manichéisme les dérives d’un système où les contraintes économiques broient les hommes, où l’on croit pouvoir responsabiliser chacun en lui  désignant sa place d’inférieur.
Ce film n’est pas un documentaire, mais en a la force de conviction et les questions éthiques qu’il soulève ne passeront pas de sitôt.
Note 15

Louder than Bombs (Plus fort que les bombes) de Joachim TrierPlusFort2

Norvège/France/Danemark, 2015. Avec Gabriel Byrne, IsaberlleHuppert, Jesse Eisenberg, Devin Druid. Drame familial. Durée : 1h.45.

A l'occasion d'une exposition qui s’organise, retraçant le travail d’Isabelle Reed (Isabelle Huppert), photographe de guerre, son mari et ses deux fils se retrouvent. Le père vacille encore et communique très difficilement avec Conrad, l’adolescent qui vit à ses côtés, alors que Jonah, l’aîné, jeune père, est enseignant dans une autre ville.
Mêlant  présent, passé et quelques rêves,  Joachim Trier dessine le portrait intérieur de ses trois personnages et montre comment ils s’en sortent. Ce faisant, il  précise la personnalité d’Isabelle qui, en fait, s’est suicidée au volant, ce que son mari  n’a jusqu’ici pas osé dire à son plus jeune fils, même si deux ans plus tard, ce silence assourdissant ne saurait durer.
La force de la réalisation réside dans cet examen délicat d’une vérité qui peine à s’énoncer, couplée à une réflexion sur ce qu’est un photographe de guerre, métier addictif et perturbant pour l’équilibre personnel et conjugal
Qui était véritablement celle qui n’est plus ?
Qui la connaissait  le mieux et pourrait en parler sans détour ?
Comment  retrouver sa liberté lorsque meurt celle auquel on était attaché ? Fortes questions auxquelles ce sera à chacun de répondre.
Note 17

Macbeth de Justin KurzelMacbeth2

Royaume-Uni, 2015. Avec Marion Cotillard, Michael Fassbender, Jack Reynor. Durée : 1h.53.

Devenu roi d’Ecosse, Macbeth entame une croisade pour déjouer l’avenir qui lui a été prédit, mais… Tout de bruit et de fureur, cette nouvelle version du drame shakespearien tisse trois fils : l’environnement naturel d’Ecosse, l’implacable Destin annoncé par trois femmes et une fillette et, bien sûr, la figure de Macbeth (Michael Fassbender) et de sa lady (Marion Cotillard). Quant à la cour, elle n’est qu’esquissée, et les décors absents (sauf quelques tentes et un château-fort).
Tout se concentre  donc sur le texte et sur la manière dont les mots sibyllins du Destin s’emparent d’un être et muent le preux et honnête chevalier en tyran aveugle. Le sang coule à flots dans les combats d’ouverture et de conclusion du film, comme lors de l’exécution des meurtres commandités. La terre en devient rouge, come le ciel sous l’effet de l’incendie qui fait avancer la forêt jusqu’au château-fort, signe annonciateur le la fin inéluctable. L’esthétisme est au rendez-vous, Fassbender excellent, mais la débauche de violence physique est tant montrée qu’elle finit par nuire à l’intensité de la noirceur de Macbeth. (SM)
Note 13
 
MargueriteJulien2

Marguerite et Julien de France de Valérie Donzelli

France, 2015. Avec Jérémie Elkaïm, Anaïs Demoustier. Drame historique. Durée : 1h.50.

L’affaire fit scandale au début du XVIIe siècle. Un frère et une sœur, Julien (Jérémie Elkaïm) et Marguerite (Anaïs Demoustier) de Ravalet, s’adoraient, firent tout pour se retrouver à l’âge adulte et vivre leur amour interdit. Ce film mêle reconstitutions historique décalée (costumes), narration contée à des enfants dans un pensionnat et flashes d’actualisation. Le poids de l’Eglise frappe, l’assurance dogmatique annonce le couperet qui tombera; autant dire que le désir de maîtriser les âmes et les corps aveugle et ouvre grand la porte au rejet futur de ladite institution.
Au travers des anachronismes et des emprunts puisés dans différentes époques, Donzelli crée un univers romantique, certes poétique, mais qui peine à convaincre, tant sa structure échappe au spectateur.
L’interdit d’amour entre frère et sœur  demeure même si l’Eglise ne s’en mêle plus. Ainsi, au-delà de ce scandale particulier, ce film porte toute une interrogation sur l’amour qui vous tombe dessus comme une fatalité, sur les limites (naturelles) à y poser, sur les conventions sociales,  et les régulations qu’elles entraînent. Hélas, sa forme méli-mélo perturbe et affadit considérablement le propos suggéré en finalement, à savoir que l’amour est plus fort que la mort.
Note 12
 
MaMere1

Mia Madre (Ma mère) de Nanni Moretti

France/Italie, 2015. Avec Margherita Buy, Giulia Lazzarini, Nanni Moretti, John Turturo . Durée : 1h.42. Prix du Jury œcuménique.

Les derniers jours et la mort d’une « mama », fût-elle âgée, ne ressemblent à aucun autre. Ils marquent un avant et un après pour ses enfants, comme c’est ici le cas pour un frère (Nanni Moretti) qui réalise bien ce qui est en train de se passer et sa sœur qui dans un premier fait tout pour éviter d’en prendre conscience. Margherita (Margherita Buy) appréhende l’issue fatale, en elle tout se bouscule : pensées, souvenirs, mise en doute  du pronostic médical. Et par-dessus tout,  un sentiment de ne pas être à la hauteur l’habite non seulement à propos de l’accompagnement qu’elle devrait offrir à sa mère ou de l’écoute qu’elle devrait dispenser à sa fille adolescente, mais  également dans le film qu’elle est en train de réaliser. Là, elle donne le change ou tout du moins, paraît maîtriser son sujet politico-social. Elle semble savoir où aller, malgré les difficultés qu’elle rencontre sur le tournage avec son acteur principal Barry Huggins (John Turturo). Du coup, un décalage s’instaure entre le film bien structuré qu’elle tourne et les émotions qui la traversent.
 
Le comique et le tragique s’en mêlent, délestant le sujet grave d’une fin de vie de toute lourdeur.
Moretti montre ici avec talent combien les cloisons séparant vie privée et professionnelle deviennent selon les moments étanches ou poreux.
Note 17
 

MonRoi2Mon roi de Maïween

France, 2015. Avec Emmanuelle Bercot, Vincent Cassel. Drame conjugal. Durée : 2h.10.

Il y a des temps de l’existence où l’on se voit rattrapé par son propre corps. Ainsi en va-t-il pour Tony (Emmanuelle Bercot, Prix d’interprétation féminine ex-aequo), contrainte à une longue période de rééducation et d’interrogation sur ce qui la conduite à avoir un grave accident de ski. Cette avocate n’a-t-elle que fortuitement croisé ses skis ou cette chute est-elle la conséquence révélatrice de la relation conjugale tempétueuse avec Georgio (Vincent Cassel) ? Cela fait en effet plus de dix ans qu’un amour passionnel et destructeur les unit. Tony se rend compte par moments qu’elle a épousé un manipulateur égocentrique, mais elle avoue : « Je n’ai pas attendu toutes ces années pour faire un enfant et me casser.» C’est que « le cœur a des raisons que la raison ne connaît pas », ou plutôt ici ne veut pas reconnaître.
C’est une relation malade qui menotte ces deux êtres survoltés qui ne sont adultes que sur le plan de leur vie professionnelle, mais non pas privée. Au risque que parfois le corps force à l’arrêt réflexif.
Note 10
 

Shan He Gu Ren (Mountains May Depart) de Jia Zhang-KeMountainsMay2

Chine/Japon/France, 2015. Avec Zhao Tao,  Zhang Yi, Liang Jingdong. Fresque. Durée : 2h.11.

Chine, fin 1999, Tao (Zhao Tao)  est courtisée par deux hommes, Zang, un mineur,  et un arriviste, Lianzi, propriétaire d’une station-service ; c’est avec lui qu’elle lie son destin. 15 ans plus tard,  Tao vient foncièrement en aide à Zang, très atteint dans sa santé ; elle a alors divorcé et son enfant, Dollar, est avec son père. 2025, Lianzi, devenu Peter,  a émigré en Australie, brasse beaucoup d’argent, alors que Dollar peine à trouver son identité et sa voie.
 
Pour traiter de la relation au temps qui passe, de ses personnages, mais également du développement économique de la Chine et des modes de vie bouleversés,  Zhang-ke a opté pour un cadre d’images différent pour chacun des périodes, usant d’un format de plus en plus grand. Aussi la première époque voit ses couleurs surannées et  les acteurs donner l’impression se surjouer ; dans la deuxième, cette impression s’estompe, alors que dans la troisième partie, c’est la langue parlée qui trahit le plus  le changement au sens où l’anglais prédomine, notamment à travers un Dollar devenu adulte, incapable désormais de comprendre son père et contraint de prendre des cours de chinois avec une femme qui devient sa mère de substitution.
Fil rouge de cette fresque – hormis tao et les siens –, deux chansons populaires dans les années 90 et révélatrices  de la société, conduisant Dollar à voir quelques souvenirs enfouis remontés à sa mémoire. Ainsi, la boucle est bouclée pour cette réalisation, soignée et fort subtile dans sa construction, qui en dit long sur la Chine d'aujourd'hui.
Note 16
Assassin2

Nie Yinniang (L’assassin) de Hou Hsiao-Hsien

Chine/Hong Kong/France/Taïwan, 2015. Avec Shu Qi, Chang Chen, Zhou Yun. Drame historique. Durée : 1h.44. Prix de la Mise en scène.

Chine, IXe siècle. Nie Yianniang revient dans sa famille après de longues années  et après s’être secrètement formée aux arts martiaux. La voici désormais prête à jouer son rôle de justicière et à éliminer les tyrans. Mais accomplira-t-elle jusqu’au bout sa mission, lorsqu’elle découvrira  que celui qu’elle doit éliminer n’est autre que son cousin ? Un choix s’impose donc à elle : sacrifier l’homme qu’elle aime  ou rompre pour toujours avec l’ordre auquel elle appartient. Sur une telle trame,  on aurait pu s’attendre à un film de King-fu ou de sabre, mais, hormis de très rares scènes, il n’en est rien. Ce qui intéresse le réalisateur, c’est  bien plus de montrer un temps, ce qu’il fait de magistrale manière. Après un prologue en  noir et  blanc, il passe à la couleur pour le développement de son récit.

Dans de longs plans-séquences, l’histoire se déroule en exploitant ce qui se situe à l’arrière-plan des personnages, le contexte des objets qui les entourent, voire les paysages dans lesquels ils évoluent. L’ensemble  se déploie presque comme une immersion dans la peinture chinoise classique d’une extrême beauté, dégageant parfois un calme absolu.  Ainsi un très grand soin a été  apporté aux costumes, aux rites (bain, repas…), aux décors et à la nature (forêt de bouleaux, lac, brume remontant le long de parois rocheuses). A l’inverse de tant de ses collègues, Hsiao-Hsien s’intéresse peu à la psychologie de ses personnages : « Si un film était un fleuve ou plus exactement un torrent, je m’intéresserai au cours de ce torrent, à sa vitesse, à ses méandres, ses tourbillons, beaucoup plus qu’à sa source ou à son embouchure. »
Note 18

Saul Fia (Le fils de Saul) de Lásló NemesFilsSaul2

Hongrie, 2015. Avec Geza Röhrig. Drame historique. Durée : 1h.47. Grand Prix et Prix de la critique internationale (Fipresci)

Personne n’a pu oublier, dans Shoah de Claude Lanzmann, le témoignage de l’un des très rares rescapés des Sonderkommandos (ces juifs forcés à s'occuper des crématoires d’Auschwitz), même si tout se réduisait ou plutôt se concentrait sur le visage d’un homme marqué à jamais. Cette fois-ci, une fiction terrible rejoint (à certains moments caméra à l’épaule) au cœur de l’enfer ces équipes chargées  notamment de vider les fours à gaz et de transporter les corps pour les incinérer. Un jour parmi eux, un prisonnier hongrois – dont le visage ne cessera de parler –  affecté à cette tâche récupère le corps d’un enfant, dont il dit être le sien…
Il n’aura dès lors de cesse de trouver un rabbin pour réciter le kaddish (prière des morts) et lui apporter une sépulture digne. Grâce à choix de focale n’assurant la netteté qu’au tout premier plan, on suit Saul Ausländer (Geza Röhrig) au plus près, pas à pas et incessamment. Nemes permet par ce procédé une immersion en un lieu indicible où la voix n’a plus la parole, où les mots ne font plus sens et où l’humain paraît reculer.
Si cette réalisation  est exceptionnelle, mais parfois presque insoutenable, ce n’est pas tant dû à ses images, ni même à la bande-son très travaillée, c’est qu’elle offre au cinéma, comme l’avait fait auparavant Primo Lévi en littérature, une confrontation inouïe entre le meilleur et le pire de l’humain qui débouche sur un devoir de mémoire essentiel.
Note 18
ForetSonges2

Sea of Trees (La forêt des songes) de Gus van Sant

Etats-Unis, 2015. Avec Matthew McConaughey, Ken Watanabe, Naomi Watts. Drame. Durée : 1h.50.

Arthur Brennan (Matthew McConaughey) a décidé de mettre un terme à son existence dans un lieu unique entre tous, la forêt japonaise d’Aokigahara. Il a tout abandonné, sauf peut-être son esprit de compassion. Aussi, lorsqu’il rencontre, au cœur du lieu dit, aussi magnifique qu’étrange, un japonais égaré et blessé (Ken Watanabe), il ne peut que tenter de venir en aide à cet inconnu. Et chacun de révéler l’autre dans ce lieu où plus l’on se perd, plus l’on se trouve, où l’hostilité de la nature et le frémissement des feuillages font écho aux murmures intérieurs des êtres. Quelques flashes-back explicitent la relation tendue qu’entretenait le scientifique états-unien avec sa femme (Naomi Watts), récemment décédée. Mais, progressivement, ses certitudes sont ébranlées.
A-t-il rêvé ou étaient-ils vraiment deux à tenter de retrouver la piste ? L’inconnu aurait-il eu raison de considérer cette forêt comme une sorte de purgatoire ? L’ensemble pourrait passionner si les clichés n’abondaient pas, tant au niveau du couple américain que des soi-disant questions (métaphysiques ?) que se posent les deux hommes qui côtoient la mort de près. Dialogues et musique livrent ici un produit « made in USA », bien rôdé qui laisse songeur, mais hélas pas à la manière de l’ensorcelante forêt.
Note 12
 

Sicario de Denis VilleneuveSicario2

Etats-Unis, 2015. Avec Emily Blunt, Josh Brolin, Benicio Del Toro. Thriller. Durée : 2h.01.

Les bulletins d’actualité n’en parlent même plus, tant les faits se répètent. Il est un territoire qui conjugue bien des problèmes : drogue, terreur, immigration clandestine, corruption, taux de criminalité élevé… Il s’agit de la zone frontalière située entre les Etats-Unis et le Mexique, celle où se déroule une mission trouble contre un chef de narcotrafiquants. Kate (Emily Blunt), jeune recrue du FBI idéaliste, est censée collaborer à un groupe d’intervention d’élite dirigé par un agent du gouvernement (Josh Brolin), assisté d’un consultant (Benicio Del Toro).
Servi par de beaux plans panoramiques et des acteurs très professionnels, ce thriller est une machine (de guerre) bien huilée qui correspond aux attentes du film de genre. Peut-être que la seule surprise sera celle de Kate découvrant que ce lieu de mission est en fait un territoire de non-droit où le pire se déploie sous prétexte de justice, étant entendu que la fin justifie tous les moyens. Du coup, on ne sait si la jeune agente retiendra l’avertissement suivant qui lui est proféré : « Vous ne survivrez pas ici. Vous n’êtes pas un loup. Et c’est le territoire des loups maintenant. »
Note 12
NotrePetiteSoeur2

Umimachi Diary (Notre petite sœur) de Hirakozu Kore-Eda

Japon, 2015. Avec Ayase Haruka, Nagasawa Masami, Kaho, Hirose Suzu. Drame familial. Durée : 2h.08.

Avec la tendresse et la pudeur qui le caractérisent, le réalisateur japonais de Tel père, tel fils poursuit son analyse des liens qui tissent une famille. Ce sont ici trois sœurs adultes, Sachi, Yoshino et Chika, qui, à l’occasion des obsèques de leur père qui les avait quittées quinze ans plus tôt, découvrent qu'elles ont une demi-sœur Suzu, âgée de 13 ans, dont elles font la connaissance et qu’elles se décident d’accueillir chez elles. Mais cet élan généreux ne va-t-il pas réveiller de vieilles blessures ? Scellera-t-il définitivement la rancœur à l’égard de ce père parti refaire sa vie ou débouchera-t-il sur une réconciliation avec un passé douloureux ? Cette histoire de quatre (jeunes) femmes, complétée par les personnages de la mère et de la grand-tante, est marquée par une beauté et une dignité que reflètent les postures et le décor. Ainsi par exemple, la ballade en vélo sous un tunnel de cerisiers en fleurs vivifie Suzu en une période où elle en a bien besoin, et transforme l’espace d’une scène le film en haïku.
Avec le moindre détail tiré de la vie quotidienne, Kore-Eda distille l’émotion et suggère qu’il faut bien plus que des années qui passent pour devenir adulte. Un tel défi comporte des éléments de transmission et un délicat affrontement avec son propre passé ou ce que la mémoire en a conservé, et ce d’autant plus si l’on veut éviter qu’il ne se reproduise.
Note 16

Valley of Love (La vallée de l’amour) de Guillaume NiclouxValleAmour2

France, 2015. Avec Isabelle Huppert, Gérard Depardieu. Drame. Durée : 1h.33.

Tout est hors norme dans ce film: lieu (Vallée de la mort en Californie) et acteurs (Isabelle Huppert et Gérard Depardieu). Le couple divorcé depuis des années se retrouve durant sept jours pour répondre aux dernières volontés de leur fils qui s’est suicidé quelques temps plus tôt. Dans une lettre manuscrite à l’un et à l’autre, il a établi tout un programme d’étapes au cœur de cet enfer brûlant, où, a-t-il précisé, il les rejoindra, lui aussi !
Ce que l’on retrouve avant tout, hormis la beauté de ce site étonnant, ce sont les présences fortes de deux acteurs d’exception, confrontées au deuil et à la culpabilité et invitées aux aveux et à la tolérance mutuelle. Ceci posé, tout est dit ou presque, car ni la mise en scène, ni les dialogues, ni la spiritualité (de pacotille) proposée ne retiennent l’attention. Hélas !
Note 12
Jeunesse2

Youth (La jeunesse) de Paolo Sorrentino

Italie, 2015. Avec Michael Caine, Harvey Keitel. Drame. Durée : 1h.58.

Dans un luxueux hôtel niché au cœur des Alpes suisses, deux vieux amis (de près de 80 ans), Fred (Michael Caine) et Mick (Harvey Keitel) font le point. Le premier a choisi  de ne plus composer ni de diriger d’orchestre (jusqu’à refuser une invitation royale), alors que le second travaille sur un dernier scénario de film. Ballades, massages, repas, bains… sont l’occasion de mesurer l’âge, l’expérience, les relations sentimentales avortées, bref tout ce qui été sacrifié pour la carrière artistique.
C’est le temps où les amitiés, le couple, la notoriété… tout à la fois compte et paraît dérisoire, et ce d’autant plus que rôdent alentour d’autres plus jeunes. Les deux acteurs sont parfaits dans leur rôle ; ils portent, sans en faire trop, le regard de tant d’individus qui considèrent avec difficulté le poids des années. Mais il y a plus encore, car le film suggère que  l’ami qui finalement affronte le mieux la vieillesse est celui qui s’accroche le moins. Et l’on n’oubliera pas de sitôt la scène où Fred dirige virtuellement au cœur d’un pâturage !
Merci à Sorrentino d’avoir su dépasser les clichés helvétiques pour les sublimer en vrais moment de cinéma !
Note 15