Arrêt sur images. Visions du réel 2016

Le 01 mai 2016

De nombreux essais paraissent tout au long de l’année pour permettre à chacun de comprendre le monde en pleine évolution. Mais, une fois VisosnReel16l’an, le Festival du film documentaire à Nyon, Visions du réel, offre davantage.

Il invite à de véritables rencontres inédites, souvent à l’écart des circuits, fréquentés par l’homo touristicus qui  ne manque parfois pas de charme, comme sous l’œil amusé de Laila Pakalnina (Waterfall). Il permet de partager le quotidien d’enfants, d’hommes et de femmes de tous âges, que bien peu croiseraient ici ou au loin.
A bien des égards, le réel a dépassé la fiction à Nyon, du 15 au 23 avril dernier, où  plus de 140 films ont proposé un véritable arrêt sur des images du monde.

Si leçon de cinéma de « Maître du réel » – cette année Peter Greenaway – côtoyait la catégorie « premierGreenawayPeter pas » de cinéastes de demain, ce furent toujours desrencontres étonnantes, voire déroutantes,que proposèrent ces réalisateurs respectueux de leur(s) sujet(s), afin qu’ils se livrent à nu. En conséquence s’énonçait une vérité que bien des bulletins d’informations peinent à révéler, tant les moyens mis en œuvre (re)cherchent plus souvent le scoop et l’élément inédit, en raison d’exigences économiques. Cela explique que leursregards manquent souvent d’une intensité appelée à considérer le temps comme un allié dans la construction filmique.

Si 2016 annonçait comme fil rouge de sa sélection la thématique « jeunesse », ce n’est pourtant pas ce sujet-là qui transparaît dans l’ensemble des films primés, toutes catégories confondues.

AnotherYearEn compétition internationale longs métrages,  le Sesterce d’or a été décerné à AnotherYear de Shengze Zhu, qui, trois heures durant et en treize plans fixes, fait partager les repas d’une famille chinoise. A ses côtés, les discours de propagande se sont envolés, pour ne laisser qu’un quotidien dur : espace vital très réduit, relations familiales dénuées d’affection, tv allumée sans interruption et remplaçant presque toute conversation, précarité…. Le cinéaste chinois confronte au réel, dans toute sonâ preté sociale, etcaptive par la rigueur de son dispositif empêchant tout rêve de fuite.

Le Prix interreligieux et le Prix du Jury Région Nyon on été accordés au terrible Liberation, The User’s Guide de Alexander Kuznetsov. Quelques jeunes  femmes, orphelines ou abandonnées par leurs parents et internées dès leur enfance, tentent de surmonter « la dimension kafkaïenne de la bureaucratie russe et de retrouver leurs LiberationUserGuidedroits civiques » et leur liberté effective. Mention spéciale à Tadmor de Monika Borgman (Sesterce d’argent Cinéma suisse) où huit détenus libanais rejouent leur humiliante détention dans une prison syrienne, soit un document glaçant qui permet d’imaginer l’horreur que beaucoup éprouvent aujourd’hui.

Visions du réel ouvrait également des fenêtres sur le monde contemporain avec ses représentations omniprésentes. Zapping d’images londoniennes avec Sit and Watch de Matthew Barton et Francisco Forbes, où les mises en scène et les rituels s’enchaînent, qu’ils soient d’ordre politique, religieux, sociaux… Inversion des PresentingPrincessShawdistances avec Presenting Princess Shaw de IdoHaar (Prix du public) ou lorsque le lointain devient tout proche, alors que le proche était invisible. Présentée en ouverture du Festival, cetteréalisation pétillante relatait le destin d’une « youtubeuse » de la Nouvelle-Orléans malmenée par la vie et, contre toute attente, révélée par un musicien de kibboutz israélien. Quelques jours plus tard, l’édition 2016 se concluait par un documentaire hélas déséquilibré, The Journey de Jan Kounen et Anne Paris, offrant le portrait d’une  apnéiste franco-japonaise enceinte.

Tragique et comique furent également au rendez vous. Ainsi, The Dazzling Light of Sunset (Sesterce d’argent Section Regard Neuf) invita guère au tourisme en Géorgie. Et, dans la Section Courts Métrages, I’m not here de MaiteAlberdi et GiedréZickyté (Sesterce d’or) revînt sur le jeu de présence-absence d’une pensionnaire basque dans un EMS chilien, alors que The Rock de Hamid Jafari (Prix du Jury Mémoire vive) proposait, en pleine réalité,le mythe de Sisiphe à travers le quotidien d’une pauvre femme au sud de l’Iran.

Certes, la mondialisation avance, mais le monde reste d’une forte diversité. L’altérité mue peut-être, mais elle demeure, sans aucun doute. L’humain, filmé sans jugement et avec respect, interroge, bouleverse, stimule, effraie, réjouit… Encore et encore. Et il parle de moi : suis-je prêt à l’entendre ?

Serge Molla