Festival International du Film Fantastique de Gérardmer 2023

Le 22 février 2023

Le Festival international du film fantastique de Gérardmer a fêté son 30e anniversaire du 25 au 29 janvier derniers. Pour l’occasion, deux plumes de Ciné-Feuilles ont bravé les routes enneigées et le froid des Vosges pour découvrir les métrages composant la programmation.

Les films en Compétition

Malgré son nom de cité balnéaire, Gérardmer se situe bien dans le nord-est de la France. À quelques pas de la frontière allemande et un peu moins de quatre heures de route de Lausanne, la ville borde un lac paisible entouré de conifères. Le centre-ville, quant à lui, est, en cette période de l’année, peuplé par un mélange de festivaliers et de vacanciers (Gérardmer est aussi réputée pour sa station de ski) qui se retrouvent tous le soir venu grâce à l’amour du fromage fondu. Mais nous ne sommes pas là pour faire du tourisme... À peine le temps de récupérer appartement et accréditation (au singulier, le service presse ayant décidé de ne nous en donner qu’une pour deux...) qu’il est déjà l’heure du film d’ouverture. Blood (Brad Anderson, USA, 2022) porte le lourd double fardeau d’être en Compétition et de lancer les festivités. Au vu du résultat, il n’avait clairement pas les épaules. Jesse (Michelle Monaghan) et ses deux enfants s’installent dans une vieille ferme appartenant à la famille. Alors que le fils se fait mordre par un chien et développe un comportement hématophile peu rassurant, sa mère va tout faire pour le protéger. Voulant témoigner de la puissance des liens du sang, le réalisateur de The Machinist s’embourbe dans un récit convenu au message trouble et manque quasiment tous ses moments de frayeurs. Une ouverture des plus bancales donc... passons à autre chose.

La première vraie journée de festival (le jeudi 26 janvier, pour ceux qui ne suivent pas) fut l’occasion de (re)découvrir des films de patrimoine réunis par une thématique commune: la gémellité. C’est ainsi que l’eugénisme de Bienvenue à Gattaca (Andrew Niccol, USA, 1997), le body horror de Faux-semblants (David Cronenberg, Canada/USA, 1988) ou encore la folie terrifiante de Deux sœurs (Kim Jee-woon, Corée du Sud, 2003) nous ont fait voir double. Mais notre sens de la vue fut bien utile afin de compléter cette journée déjà bien remplie.

Jouant sur les sentiments de paranoïa et de solitude forcée, Watcher (Chloe Okuno, USA, 2022) explore le quotidien tourmenté d’une jeune femme, Julia, victime de l’attention un peu trop soutenue et envahissante que lui porte son voisin d’en face. Délaissée par son mari dans un pays dont elle ne connaît pas la langue (la Roumanie), l’héroïne trouve du réconfort dans l’amitié qu’elle lie peu à peu avec sa voisine de palier. Mais cela suffira-t-il à la sauver? Aussi froid esthétiquement que sombre narrativement, le film nous fait adopter au plus près le point de vue de Julia, en ne proposant par exemple pas de sous-titres traduisant les propos en roumain de son entourage, afin de nous plonger dans la même incompréhension, la même frustration qu’elle peut ressentir. L’histoire restant somme toute assez simple, son efficacité repose sur cette proximité avec le personnage, à qui la réalisation impose les traditionnelles affres du gaslighting et de la remise en doute. À la clé: un suspense presque constant et quelques séquences bien angoissantes, dont une qui nous fera réfléchir à deux fois avant de prendre le métro. Une belle réussite pour le premier long métrage de la réalisatrice Chloe Okuno, réussite couronnée par l’obtention du Prix du 30e Festival de Gérardmer.

                         

Après ce coup de cœur partagé par les deux personnes rédigeant ces lignes, un double coup de gueule s’impose. En poursuivant notre exploration des œuvres sélectionnées en Compétition, deux moments difficiles nous ont été infligés. S’il est un film d’animation avec des marionnettes, Zeria (Harry Cleven, Belgique, 2021) n’a rien d’enfantin ou de joyeux. Pendant une heure, Gaspard s’adresse à son petit-fils pour l’inciter à revenir sur Terre alors que l’humanité s’est installée sur Mars. Relatant les événements de la vie du vieil homme d’une noirceur sans égale, peu de choses sont à sauver de cette expérience désagréable. Pensé comme un court métrage, on se dit que le projet aurait dû se cantonner à son format originel. On se dit également qu’on aimerait signaler au réalisateur qu’aussi sombre soit notre monde, des lueurs d’espoir existent...

                   

Souffrance toujours. Dans La Tour (France, 2022), Guillaume Nicloux tente de jouer avec nos angoisses post-confinement. Le problème? Rien ne fonctionne. Les habitants d’un immeuble de cité découvrent du jour au lendemain qu’un étrange voile noir obstrue toutes les issues et fait disparaître tout ce qui le traverse. Pris au piège, les résidents vont devoir s’organiser pour survivre. De ce postulat intéressant, le film ne fait malheureusement rien. Écrit à la truelle et interprété avec les pieds (ou l’inverse), rien ne va dans ce scénario aux personnages caricaturaux, mais jamais caractérisés. Répétitif à souhait et n’explorant jamais ses thématiques, ne rendez pas vain notre sacrifice matinal (la projection était à 9 h du matin) et passez votre tour!                   

Tentons de relever le niveau... Produit quelque peu formaté, mais non dénué d’intérêt, The Nocebo Effect (Lorcan Finnegan, Irlande/Philippines/Royaume-Uni/USA, 2022) raconte les mésaventures de Christine, une créatrice de vêtements pour enfants au sommet de sa carrière dont la chance tourne lorsqu’elle se fait piquer par une tique et tombe gravement malade. Alors qu’elle se remet tant bien que mal, Diana, aide à domicile originaire des Philippines, débarque chez elle en prétendant avoir été engagée, ce dont Christine n’a aucun souvenir. Cependant, son influence et ses soins sont si bénéfiques qu’elle se rend vite indispensable. Ses intentions sont-elles réellement louables pour autant? Malgré la prévisibilité de certains rebondissements, le récit demeure assez prenant pour nous tenir en haleine et provoquer parfois un petit frisson de dégoût bienvenu. La capacité du film à nous captiver est également attribuable au duo d’actrices principales, Chai Fonacier et Eva Green, dont l’alchimie, mêlée de crainte et de sentiment de dépendance, est palpable dès les premiers instants. Un cocktail explosif de vengeance, de sorcellerie et de maladie de Lyme.

                   

Fable science fictionnelle écologique, Memory Of Water (Saara Saarela, Finlande/Allemagne/Estonie/Norvège, 2022) présente un monde dystopique où l’eau est une denrée rare et précieuse. Dans ce décor hostile et presque constamment surveillé par les autorités, Noria se prépare à devenir la Maîtresse du thé de son village, fonction que son père exerçait avant elle. Lorsque la jeune femme parcourt la documentation de ce dernier, elle découvre un secret qui fait tout basculer. Accompagnée de sa meilleure amie, elle va alors défier le pouvoir totalitaire en place. Se déroulant au sein d’un univers que ne renierait pas l’auteure de la saga Hunger Games, le film (d’ailleurs adapté d’un roman d’Emmi Itäranta) pâtit parfois de choix scénaristiques un peu trop «adolescents» et de quelques longueurs. Malgré tout, la beauté de l’image, l’attachement aux personnages et l’angoisse provoquée par la perspective d’une telle pénurie d’eau propre l’emportent. Un voyage initiatique qui gagne en émotion ce qu’il manque en frénésie.                   

Moins classiques, deux œuvres auront le mérite de ne pas passer inaperçues. La Pietà (Eduardo Casanova, Espagne/Argentine, 2022), tout d’abord, dans laquelle Lili et son fils Matteo nouent une relation fusionnelle, mais problématique (c’est le moins que l’on puisse dire) jusqu’à ce que l’un d’eux est atteint d’un cancer. Si l’univers pastel déployé sous nos yeux intrigue dans un premier temps, il finit par lasser à trop tirer sur la corde (voire le cordon ombilical) œdipienne et bégaye son propos. Il n’empêche que cette audace visuelle dotée de scènes graphiquement impressionnantes vaut le coup d’œil tant elle est une proposition atypique. Les différents Jurys ne s’y sont pas trompés puisque le film s’est vu attribuer le Grand Prix, le Prix du Public ainsi que le Prix du Jury jeune. Rien que ça.

                   

Dans un autre registre visuel, mais non moins déjanté, Piaffe (Ann Oren, Allemagne, 2022) fut une expérience de cinéma comme seuls des festivals peuvent en offrir. Dans une salle quasi pleine, le malaise de certains spectateurs s’est installé progressivement avant de se transformer en rire nerveux contaminant tout le public. Si l’on peut imaginer que certaines personnes ont préféré partir en fou rire plutôt que de la salle, il serait dommage de résumer cet ovni à une simple loufoquerie. S’il est vrai que cette histoire de bruiteuse ayant une queue de cheval qui lui pousse au bas du dos peut sembler absconse, elle n’en reste pas moins une expérience déroutante, mais fascinante et beaucoup plus touchante qu’il n’y paraît. Reparti avec le Prix du Jury ex aequo, le film gardera une petite place dans le cœur de l’auteur de ces lignes.

                   

Partageant le Prix du Jury avec Piaffe (mais aussi lauréat de celui de la critique) et actuellement en salle en Suisse, La Montagne (Thomas Salvador, France, 2022) est un très beau long métrage qui avait été présenté à Cannes en 2022 dont nous vous invitons à découvrir la critique dans ce numéro.

                   

Quelques films Hors Compétition

                   

En marge de la Compétition, de nombreuses œuvres ont également été présentées lors de ce 30e Festival de Gérardmer. Commençons par les déceptions avec Domingo et la brume (Ariel Escalante Meza, Costa Rica/Qatar, 2022). Une errance mutique, certes poétique, mais grandement ennuyante. Si ce n’est la présence de la brume omniprésente et envoûtante - véritable personnage à la symbolique forte -, le film n’a pas grand-chose d’enivrant à offrir. De son côté, En plein feu (Quentin Reynaud, France/Belgique, 2022) aurait pu convaincre s’il avait assumé jusqu’au bout son postulat de film catastrophe (on a pensé à Twister ou Le Pic de Dante et étions prêts à accepter toutes les incohérences narratives). Malheureusement, si les vingt premières minutes présentant un incendie de forêt ravageant la région des Landes sont saisissantes, le long métrage se brûle ensuite les ailes et tombe dans le piège du drame familial convenu et sirupeux. Un brasier dont on sort indemne et grandement déçu.

Beaucoup plus enchanteur, Tropique (Édouard Salier, France, 2022) raconte le destin tragique de jumeaux participant à un programme pour former les meilleurs astronautes. Leur rêve devra être reconsidéré lorsque l’un des frères est contaminé par une étrange matière toxique le transformant physiquement et mentalement. Découpé en cinq chapitres, le film - quelque part entre Nos cérémonies et Bienvenue à Gattaca - est une franche réussite, esthétique et émotionnelle qui fera partie des très bons souvenirs du festival.

                   

Puisque nous l’évoquons, notons que Nos cérémonies (Simon Rieth, France, 2022) était également présenté Hors Compétition. Déjà découvert au NIFFF en 2022 (où il avait remporté le Prix H. R. Giger «Narcisse»), nous vous renvoyons aux quelques lignes rédigées dans notre numéro 882/3 lors de la couverture du festival neuchâtelois. Vous pouvez, par la même occasion, relire celles consacrées à Huesera (Michelle Garza Cervera, Mexique/Pérou, 2022), lui aussi présent à Gérardmer.

                   

Notre ultime soirée géromoise fut 100% espagnole. Invité d’honneur, Jaume Balagueró (Rec, Scary Stories ou encore le très réussi Malveillance, et accessoirement cinéaste le plus titré de l’histoire du festival) est venu présenter son dernier long métrage. Dès lors, espérons que les organisateurs de l’événement ont mieux traité le réalisateur espagnol que son film le public. Venus (Espagne, 2022) tente péniblement de nous raconter le destin de Lucía, réfugiée dans un édifice de la banlieue madrilène après avoir dérobé un sac rempli de drogue. D’une inconséquence visuelle et narrative sans faille, le long métrage (inspiré d’une nouvelle de Lovecraft!) ne procure aucune émotion, hormis l’ennui, tant rien de ce qu’il se passe sous nos yeux n’intéresse. À croire qu’à Gérardmer, les récits prenant place dans une tour d’immeuble ont un point commun flagrant: être mauvais!

                   

De par son sujet et dès son entame, The Elderly (Raul Cerezo et Fernando Gonzalez Gomez, Espagne, 2022) fait penser à Abuela (Prix du Jury en 2022). Néanmoins beaucoup moins abouti que l’œuvre terrifiante de Paco Plaza, le film, tout en lents mouvements de caméra anxiogènes, nous plonge dans la capitale espagnole en pleine canicule. Si ce dernier élément est finalement peu exploité, la folie qui atteint le patriarche dont nous suivons le quotidien offre quelques moments inquiétants réussis. Hélas, au lieu de se concentrer sur le noyau familial et de proposer une horreur insidieuse, le long métrage décide d’extrapoler son concept à l’ensemble de la société et, par la même occasion, perd en intensité.

                   

Enfin, œuvre ne misant pas sur l’originalité, mais sur une ambiance flippante maîtrisée, The Communion Girl (Víctor Garcia, Espagne, 2022) suit Sara, Rebe et deux de leurs amis alors que ceux-ci trouvent, en rentrant de soirée, une poupée maudite dans une sinistre forêt. Sachant que le jouet appartenait à une petite fille décédée le jour de sa première communion, il est presque inutile de préciser que bientôt, le fantôme de ladite enfant vient hanter les membres du groupe de manière fort peu amicale... Ce film fera certainement vibrer la corde nostalgique des fans des réalisations horrifiques des années 2000, The Ring en tête, tant il adopte leurs codes narratifs, mais aussi, malheureusement, leurs gimmicks et rouages devenus clichés depuis longtemps. Qu’à cela ne tienne, outre les artifices spectraux déjà bien efficaces, la réalisation offre également des monstruosités ancrées dans le réel (telles que la violence familiale), ce qui est évidemment toujours plus effrayant. Une proposition empreinte de passion qui fait plaisir à voir.                   

C’est donc sur ce visionnage passionné et nostalgique que se termine cet anniversaire géromois. Si nous n’avons pas eu le temps de voir en avant-première Knock At The Cabin (USA, 2023), dernière proposition de M. Night Shyamalan et film de clôture, la 30e édition du Festival international du film fantastique de Gérardmer fut une riche expérience. L’occasion également de rappeler que, malgré la qualité des œuvres parfois aléatoire, l’ambiance propre à ce type d’événements se suffit à elle-même. Que l’on soit cinéphile, cinéphage ou simple curieux, les festivals de cinéma de genre permettent toujours de découvrir sur grand écran des œuvres qui seront peu, voire pas, distribuées. C’est donc les rétines fatiguées, mais rieuses, que nous reprenons la route laissant derrière nous les conifères, le lac et la ville de Gérardmer (qu’il faudrait définitivement renommer Gérardlac). Et disons à l’événement à l’année prochaine, on l’espère.

                   

Bref retour sur la programmation de courts métrages

                   

Que serait un festival de cinéma sans sa sélection de courts métrages? À ce registre, Gérardmer ne manque pas à l’appel. Au sein d’une programmation spécifique, cinq formats courts ont été présentés au public. Œuvre primée, Il y a beaucoup de lumière ici (Gonzague Legout, France, 2022) nous plonge dans un cirque se préparant à jouer son dernier spectacle. Dehors, des explosions approchent. Muette et en noir et blanc, une proposition poétique qui a su convaincre le Jury.

                                                   

Growing (Agata Wieczorek, France, 2021) et La Machine d’Alex (Mael Le Mée, France, 2022) pourraient quant à eux aisément être rapprochés, notamment par les influences qu’ils convoquent (Ducourneau, et donc Cronenberg, en tête de liste). Dans le premier, Ewa suit une formation en soins infirmiers dans un centre de simulation médicale. Alors que tous ses gestes sont réalisés méthodiquement sur des mannequins, la jeune femme ne sait comment réagir lorsque la grossesse concerne son propre corps. Quelque peu abrupte dans son traitement, l’ambiance instaurée suffit à convaincre malgré un final qui en laissera un certain nombre sceptique. Technologie futuriste encore dans le second où Alex, une adolescente particulièrement douée, étudie la biomécanique automobile. Cette branche nouvelle où les éléments d’un moteur sont faits de chair artificielle et offrent des plaisirs insoupçonnés n’aurait pas été reniée par la réalisatrice de Grave et Titane.

                   

Dans un tout autre registre, Les Algues maléfiques (France, 2022) est l’occasion rêvée de se plonger dans la folie du réalisateur français Antonin Peretjatko (La Fille du 14 juillet, La Loi de la jungle, La Pièce rapportée). Ne se refusant rien et partant dans tous les sens, cette histoire de zombies contaminés par des algues vertes et s’en prenant à des promeneurs de la côte bretonne est sans conteste le film qui a eu le plus d’impact sur le public. Fous rires et exclamations assurés. Toujours dans la thématique des végétaux agressifs, passons brièvement sur le dernier court Les Racines sauvages (Nicolas Milot, France, 2022) tant sa voix off lancinante et son rythme apathique intéressent peu. Pas la meilleure manière de clore cette éclectique sélection.

                   

Amandine Gachnang et Marvin Ancian