Étrange Festival - Bizarre, vous avez dit bizarre

Le 06 octobre 2021

L'ÉTRANGE FESTIVAL - 8-19 SEPTEMBRE


La 27e édition de L'Étrange Festival s’est déroulée au Forum des images de Paris, du 8 au 19 septembre. Faisant suite à une édition miraculée entre deux confinements, l’événement - dédié au cinéma de genre - a proposé une programmation alléchante et variée. Retour sur les films de la Compétition internationale.


Durant les dix jours de cette édition de L’Étrange Festival, quelques dizaines de minutes avant quatorze heures, la file s’allonge devant le Forum des images, à Paris. Car l’heure fatidique de la mise en vente des billets approche. Une fois les portes ouvertes, de nombreux cinéphiles, le sourire aux lèvres, repartiront avec le sésame tant convoité qui leur donnera accès à la projection. D’autres, retardataires ou malchanceux, auront fait le déplacement pour rien.


L’engouement se justifie par la richesse des diverses sélections de la manifestation. Parmi celles-ci, la Compétition internationale, composée de 12 longs métrages, comprend notamment celui qui séduira le plus de spectateurs et remportera le Prix du Public. Cette année, c’est Mad God de Phil Tippett qui a fait l’unanimité. Projet d’une vie du réalisateur, le film est une claque visuelle qui déborde de générosité. Déjà présenté à Locarno, ce film d’animation en stop motion - ayant mis plus de trente ans à être abouti - nous plonge dans un univers poisseux, grouillant de créatures, duquel émergent les pires facettes de l’humanité. Un peu répétitif par instants, le film reste une expérience rare et qui mérite des conditions de projection optimales.


Deuxième récompense décernée, le Grand Prix Nouveau Genre a été attribué à Eskil Vogt pour The Innocents. Dans une banlieue scandinave, quatre enfants découvrent qu’ils sont dotés de superpouvoirs et décident d’en faire usage à des fins rarement candides, surtout sournoises. Malgré une ambiance captivante qui monte en puissance, le film peine à se renouveler et, à trop tirer sur la même corde, il finit par la rompre. Saluons néanmoins certaines séquences glaçantes et une réalisation léchée.


Au-delà des lauréats, plusieurs œuvres ont retenu notre attention. Présenté en avant-première et en présence de l’équipe du film (avec un Benoît Poelvoorde en très grande forme qui a ironiquement reconnu être présent pour éviter un autre festival où «les gens mettent des pulls sur leurs épaules»), Inexorable est sans aucun doute la claque de la Compétition internationale. Lorsque Marcel (Benoît Poelvoorde donc, impeccable) et Jeanne (Mélanie Doutey, surprenante) s’installent avec leur fille dans la maison dont ils viennent d’hériter, ils ne se doutent pas que l’arrivée de Gloria (Alba Gaia Bellugi, épatante), une jeune femme à la dérive, va inexorablement changer leur vie. Après le décevant Adoration, Fabrice Du Welz revient avec un drame oppressant. La tension grandissante, jusqu’à son apogée suffocante est digne de L’Enfer de Chabrol.


Deux coups sont venus s’abattre sur le festival, l’un de cœur, l’autre de poing. Le premier, Lamb, est un conte islandais sous le soleil de minuit avec Noomi Rapace et Hilmir Snær Guðnason dans le rôle d’un couple de fermiers qui, après un drame familial, décide d’élever un énigmatique nouveau-né. Le mystère qui plane sur ce synopsis se doit d’être maintenu pour ne rien divulgâcher. Le film, dont la photographie est aussi belle que ses paysages, est mutique, mais parvient à délivrer un message symboliquement puissant.


Pour ce qui est du coup de poing, il est le résultat du polar hongkongais Limbo. Sous une pluie battante faisant passer les précipitations de Se7en pour une simple bruine, un duo de policiers tente d’arrêter un tueur trancheur de mains. Noir et sans concession, le récit nous entraîne dans les bas-fonds de la ville, à un rythme effréné.


Investigation et noirceur encore, avec cette immersion de trois heures trente offerte par On The Job: The Missing 8. Dans la cité fictive de La Paz, un animateur radio et journaliste enquête sur la mort inexpliquée de ses collègues. En s’attaquant à la corruption et à la liberté de la presse, le réalisateur Erik Matti propose, sans renouveler le genre, une charge sans complaisance contre le gouvernement philippin.


Il y a aussi des films qui laissent perplexe et procurent un sentiment d’incompréhension. After Blue (Paradis sale) est un ovni cinématographique faisant partie de cette espèce. Esthétiquement intrigante, l’œuvre de Bertrand Mandico ressemble plus à une odyssée kitsch tendant régulièrement vers le ridicule. Quoi qu’il en soit, elle ne laissera personne indifférent. Déjà présenté au Festival de Locarno, le film crée des divergences au sein même de la rédaction de Ciné-Feuilles (voir n. 860/1). Pour ceux qui veulent forger leur propre avis, une séance de rattrapage est prévue fin octobre durant le Lausanne Underground Film & Music Festival (LUFF).


Dans un tout autre registre, Sweetie You Won’t Believe It est une comédie kazakhe inattendue. En froid avec sa femme, Dastan part avec deux de ses amis pour une sortie de pêche bucolique et revigorante. Jusqu’à ce que leur chemin croise celui d’une bande de frères en colère, d’un homme arriéré accompagné de sa fille et d’un psychopathe borgne. Démarrant sur les chapeaux de roues, cette aventure trépidante et volontairement surjouée s’essouffle dans une surenchère de bouffonneries parfois efficaces, mais souvent puériles.


Au rang des déceptions, Prisoners Of The Ghostland détient la première place. Attendu au tournant, le dernier délire de Sono Sion - propulsant Nicolas Cage dans une mission de sauvetage entre samouraïs et cow-boys - s’égare en cours de route. L’univers halluciné du réalisateur japonais (tendant cette fois-ci vers un monde apocalyptique à la Mad Max) ne parvient pas à faire mouche. Croisons les doigts pour que l’auteur de Why Don’t You Play In Hell? renoue avec la maîtrise de sa folie au plus vite.


Moins attendus au tournant, Tin Can et Ultrasound n’ont pas convaincu pour autant. Le premier est un huis clos aux propositions graphiques intéressantes, mais dont le scénario est trop pauvre. Son récit, scindé en deux chapitres, rappelle dans un premier temps Oxygène d’Alexandre Aja, avant de s’enliser dans une deuxième moitié poussive et alourdie par des flash-back. Le second tente de dérouter son spectateur en jouant avec différents niveaux de lecture, mais finit par le perdre définitivement. N’est pas David Lynch qui veut.


Notons enfin que Offseason ne fait malheureusement pas partie de la liste des films vus. Un rapide sondage auprès des festivaliers a néanmoins permis d’obtenir quelques retours, majoritairement mitigés.


Cette année encore, la Compétition internationale de L’Étrange Festival aura offert un programme éclectique mêlant les œuvres de cinéastes confirmés et plus jeunes. Les salles remplies au maximum de leur capacité et le public au rendez-vous ont permis - malgré la présence du pass sanitaire et le port du masque obligatoire - de célébrer un cinéma de plus en plus visible et toujours aussi fascinant.