Entretien: Vincent Bossel

Le 04 septembre 2024


Après avoir exploré le biopic, la comédie musicale ou encore la filmographie d’Ennio Morricone, le Tourne-Films Festival Lausanne (TFFL) continue à tisser des liens entre musique et cinéma. Du 4 au 8 septembre, la 6e édition de l’événement propose notamment une rétrospective abordant la thématique des documentaires musicaux, ainsi qu’une trentaine de courts métrages et de clips venant composer sa Sélection officielle. Rencontre avec Vincent Bossel, codirecteur artistique de l’événement.

Comment est née l’idée de créer un festival mêlant musique et cinéma?

À partir de discussions avec Noé Maggetti [second codirecteur artistique de l’événement, ndlr]. L’envie de faire un festival était évidente, mais nous avions conscience qu’il fallait trouver un angle qui allait pouvoir nous permettre de développer des éditions spécifiques avec un vrai travail de curation sans être un concept vu et revu. S’il y a beaucoup de festivals de cinéma, avec parfois des sous-sections qui ouvrent sur les liens entre cinéma et musique, aucun ne les a posés comme ligne directrice. Une fois ce travail fait, nous nous sommes rendu compte à quel point le sujet est vaste. Noé, qui planche chaque année sur la rétrospective, a dix éditions dans la poche. C’est la confirmation qu’on a touché juste en termes de concept.

Vous n’avez donc pas de soucis à vous renouveler?

Non, ce n’est pas très compliqué. On a déjà vu qu’on pouvait dégager trois pistes pour les rétrospectives: celle centrée sur un compositeur qui serait le pendant de la rétrospective classique sur un cinéaste, celle abordant un genre musical et celle sur une thématique liée à la musique. On pourrait faire une édition sur le jazz, sur la musique classique, alterner avec un compositeur qui amènerait son propre univers… S’il est asiatique, américain, nordique, on aurait des propositions très différentes. Donc je crois qu’il y a de quoi faire.

Quelles sont les nouveautés de cette 6e édition?

La grande nouveauté, c’est l’utilisation de salles supplémentaires par rapport aux années précédentes où on faisait simplement l’ouverture du festival en salle. Cette année, on a décidé d’ajouter des projections l’après-midi et en fin de matinée pour les enfants. Concrètement, ça nous a permis de choisir plus de films, que ce soit au sein de la rétrospective ou des formats courts qui étaient d’habitude projetés en extérieur uniquement. On évite ainsi les contraintes liées à la météo, au bruit après 23 h, etc. On a quasiment triplé l’offre de projections tout en élargissant également celle de médiation culturelle. En fait, en ajoutant des lieux, on a créé plus d’espace pour de la programmation et de la curation.

J’ajouterais aussi que cette année nous avons présenté en avant-programme lors de la soirée d’ouverture un clip que nous avons produit à travers notre propre incubateur. Un concours qui s’appelle ECLIPSE qu’on met en place depuis trois ans. Grâce à nos sponsors, on a pu offrir 8’000 francs à Jason Borruso, un réalisateur qui a pu «clipper» un morceau d’une chanteuse qui s’appelle Nayana. Et ça, c’est quand même assez unique et novateur dans le milieu du festival. Si avoir une sélection de clips est quelque chose d’anormal ou différent, devenir coproducteur pour pouvoir encourager la production de ce format, c’est encore une étape de plus. On est très contents de pouvoir montrer que c’est possible d’amener des solutions. Même en tant qu’association, même en tant que festival, pour faire le pont entre programmation et création.

La rétrospective de cette année s’intéresse aux documentaires musicaux, qu’est-ce qui a motivé ce choix?

Il faudrait plutôt poser la question à Noé qui se charge de la curation de la rétrospective. Pour lui lancer des fleurs et faire l’éloge de ce travail qu’il abat année après année, il a une vraie science pour trouver un équilibre entre les différentes époques, les différents continents, mais aussi différentes ambiances musicales. En prenant l’exemple de cette édition, on a un film comme Abba: The Movie avec du disco, puis avec Raving Iran, on est sur de la musique techno underground en Iran. Poly Styrene: I Am A Cliché, raconte l’histoire d’une icône pop underground avant-gardiste. On ouvre sur beaucoup de choses: la chanson française avec Guy d’Alex Lutz, le rock étasunien avec le documentaire de Scorsese The Last Waltz. Ça permet d’offrir un espace pour chaque style de musique, tout ça dans la même édition.

Puisque tu es responsable de la Sélection officielle qui regroupe des courts métrages et clips musicaux, est-ce qu’il y a un projet qui te tient particulièrement à cœur cette année?

On a programmé un projet qui s’appelle Ground Zero. C’est un film collectif qui présente vingt courts métrages réalisés par des Palestiniens et Palestiniennes ces six derniers mois, dans le contexte que l’on connaît. Ce sont des films hyper importants et de vrais témoignages qui sont une belle manière de montrer l’importance de la création artistique dans des temps difficiles, mais également sa capacité à transmettre, à transformer. C’est un projet qui a été présenté à Cannes et sélectionné au TIFF à Toronto. De notre côté, nous leur avons proposé de choisir quelques segments, cinq films sur les vingt, qui ont un lien particulier avec la musique. C’est aussi ce qu’offre un festival: avoir la possibilité de mettre en avant des projets ou des films qui nous semblent importants et pertinents. Nous sommes fiers de cette proposition.

En ce qui concerne les clips, qui sont des œuvres que l’on voit rarement en festival, quels sont les critères de sélection?

Les critères sont toujours l’excellence, qu’elle soit technique ou au niveau de l’originalité. Le clip est un format très intéressant parce que c’est souvent un laboratoire d’expérimentation. Dans le cadre du TFFL, c’est aussi le plaisir de passer 45 minutes dans une salle à regarder ce format qui est, d’une certaine manière, assez reposant. Il y a moins de narration, on n’a pas forcément besoin de s’accrocher à une histoire particulière, donc on peut s’abandonner un peu. Il y a quelque chose de l’ordre de la performance, parfois de l’expérimental. C’est aussi très dynamique parce qu’on peut passer d’un clip de rap à un clip de techno. Encore une fois, ce sens de la diversité est important. Je crois aussi que ça fait partie de notre génération de mettre en avant cet objet qui est devenu une vraie plus-value artistique. Il y a beaucoup de jeunes cinéastes qui se forment en faisant du clip, c’est une bonne occasion pour tester des choses. Je trouve ça fascinant. Il y a de nombreux clips de référence ces dernières années qui ont fait le tour du monde, et pas uniquement parce que la musique était bonne ou parce que c’était une grande star qui sortait son nouveau morceau. Parfois, il y a vraiment une claque visuelle, narrative et formelle.

Pour finir, un mot sur votre volonté d’élargir pour le jeune public.

Grâce aux nouveaux lieux de projection, nous pouvons notamment diffuser un film d’animation sur un chef d’orchestre qui est vraiment super [Franz et le chef d’orchestre, ndlr] ainsi que des ateliers de médiation pour les enfants. Je crois que c’est aussi la mission d’un festival d’initier les plus jeunes et peut-être de permettre aux parents de confier leurs enfants pendant qu’ils vont faire autre chose le samedi ou le dimanche matin. [Rires.]

Propos recueillis par Marvin Ancian