Entretien Fisnik Maxville

Le 24 janvier 2023

Après 7 documentaires remarqués, dont Nostromo qui a remporté le prix de la compétition nationale à Visions du Réel à Nyon en 2020, Fisnik Maxville nous livre son premier long métrage de fiction : « The Land Within ». Remo retourne au pays pour l’exhumation d’un charnier dans son village natal, et des secrets du passé refont surface. Sa première internationale a eu lieu au festival du film de Tallin, où il a par ailleurs gagné le prix du meilleur film. Il est désormais en compétition pour le prix du Cinéma suisse aux journées de Soleure.


Est-ce que tu peux un peu me parler de la genèse du film ? De ce projet qui a l’air d’avoir été d’envergure ? Aléas de ce processus, notamment la période COVID

 

La genèse du film c’est déjà l’envie de faire un premier long métrage de fiction. J’étais relativement jeune par rapport aux gens qui font leur premier film. J’ai commencé à écrire ça quand j’avais 26-27 ans. La manière dont je travaille c’est que j’écris beaucoup de choses à la fois dont une au moins me plaît dans chaque projet. Et à la fin, il faut savoir se recentrer sur un seul, car ce n’est pas possible de faire plusieurs films de fiction à la fois.

Et là, je pense que le projet est devenu très vite un projet d’envergure parce que j’ai essayé de mettre pas mal d’idées, d’autres films aussi, en un seul. Et cela crée des scénarios qui font 150-200 pages. J’ai eu la chance que la production me fasse confiance par rapport au fait que je fais généralement des films assez longs. Cela a pris énormément de temps de trier, de savoir ce que je voulais et ça a quand même donné un scénario de 130-140 pages.

Le problème c’était la première fois qu’un film suisse était entièrement tourné au Kosovo. Il y a un avantage à cela : l’argent que tu peux avoir suffisant pour tourner en Suisse. Cet argent au Kosovo te permet de faire beaucoup de choses, par exemple on a pu tourner sur quasiment 40 jours, ce qui est super rare pour un premier film. D’avoir des choses comme reconstruire des décors entiers, prendre des maisons les remette quasi au sol pour les reconstruire comme on les voulait. Ensuite, les détruire, les reconstruire selon plusieurs périodes. D’avoir des loups, d’avoir une carrière entière qu’on a fait excaver pour y mettre des corps...etc.

L’idée c’était de pouvoir créer énormément de choses avec l’argent qu’on avait d’ici. C’était un projet assez ambitieux. Tout le monde avait très peur, et moi le premier. Et heureusement, ça s’est bien terminé. Le pire de nos soucis pendant le tournage c’était le COVID. Je pense que ça en dit long sur une ambiance de tournage. Dans certains cas, des personnes ont dû être remplacées du jour au lendemain suite à des tests positifs.


J’ai l’impression qu’on a fait une plus-value à l’argent qu’on avait, car on avait une équipe incroyable.


Le travail d’écriture du film a-t-il en partie été fait à partir de récits et de témoignages ? 

 

Énormément. Pendant longtemps, on s’est demandé s’il fallait mettre en ouverture du film : « basé sur des centaines d’histoires vraies ». Et je trouvais ça peut-être un peu cheap de le dire. Ce n’est pas basé sur une histoire vraie, mais plusieurs qui sont venues nourrir le récit. Et c’est aussi pour ça que le processus a été assez long, c’est-à-dire 4-5 ans d’écriture, de recherche. Entre-temps j’ai fait d’autres films, heureusement. En fait, j’ai passé beaucoup depuis que je fais du cinéma au Kosovo parce que c’était une manière aussi me reconnecter à travers l’image à mon propre pays. N’y ayant pas grandi, j’y suis né, mais je suis venu enfant en Suisse, pour moi le Kosovo c’est la télévision. Tu vis par procuration. Et donc à partir de 1998, même 1994, tu ne vois que les images de guerre. C’était vraiment vivre mes origines à travers un écran. Et je me suis dit, il faut que je continue un peu cette réflexion-là et que j’y retourne filmer tout ce que je peux capter pour me reconnecter à ma propre histoire. Que ce soit mon film d’étude sur le parcours migratoire dans les Balkans, ou celui-là sur les fosses communes et les corps qu’on ne retrouve pas, j’ai vraiment passé énormément de temps à travailler avec l’histoire orale.Tout ce qui est écrit au niveau journalistique ce n’est malheureusement pas très bien fait, et l’historiographie est encore très peu développée donc c’est l’histoire orale qui est principale là-dedans et c’est un pays aussi où lorsque tu parles la langue tu peux naviguer très facilement. Et donc tu peux aller rencontrer des gens – je trouve ça passionnant. Forcément ce sont des histoires qui ne sont pas objectives, mais ça ne m’intéresse pas. Je m’intéresse à cette subjectivité avec les variations que ça peut comporter.

D’où le côté plus fantastique du film, qui se fait beaucoup dans le cinéma sud-américain. Je me suis inspiré de cinéastes comme Reygadas pour cela. Quand quelqu’un un te raconte : « j’ai vu des formes dans la forêt ». Ce n’est pas vrai, mais j’adore. Mais tu peux transmettre cette subjectivité sur l’image, et cela rend « réel » ce pouvoir des formes dans la forêt.


Dans ta démarche d’écriture, que ce soit les thématiques choisies, ou la manière de travailler, te sens-tu influencé par tes études en sciences sociales ?

 

Oui, j’ai souvent parlé de la petite histoire dans la grande. Et pour moi, la trajectoire de ces deux personnages dans le film, c’est justement la petite histoire. C’est l’histoire de cette petite famille, de ce petit noyau et de cet amour impossible entre les deux, de ce secret de famille. Les personnages sont vraiment entourés, conditionnés par la guerre, des villages entiers qui ont disparu, des familles qui ont été brisées totalement et l’impossibilité d’être en paix avec leur passé. Bref une vision globale avec une attention au temps long et des considérations historiques, politiques, géopolitiques : l’histoire d’un individu qui est conditionné par une dimension sociopolitique. J’ai l’impression que ça m’a influencé, et c’est peut-être une manière de travailler. J’ai l’impression d’être un historien avant d’être un scénariste jusqu’à un certain moment.


Le film est construit en chapitres avec des cartons au début et à la fin, quand et comment tu as fait ces choix importants pour le rythme ? 

 

Ce qui m’intéressait vraiment, c’était le côté thriller. J’aurais pu partir vers juste un essai visuel, ce que j’ai fait avec Nostromo. J’aime prendre le public avec moi pour qu’ils se posent les mêmes questions que les personnages. Je replonge dans le passé, je crois qu’il y a cinq retours, cinq chapitres dans le film pour aller chercher une seule information. L’idée c’est de montrer un peu la réalité d’ où est venue la mauvaise graine qui a été plantée 15 ou 20 ans avant. En termes de montage, c’est un peu un cadeau empoisonné, car tu peux vraiment faire ce que tu veux donc trouver la bonne formule, c’est vraiment difficile, car cela crée beaucoup trop de possibilités.