Entretien avec Lora Mure-Ravaud

Le 24 août 2022

Court métrage présenté en première mondiale au dernier Festival de Locarno, Euridice, Euridice a remporté le Prix du Concours national Pardi di domani. Nous nous sommes entretenus, cette fois pour de vrai, avec la réalisatrice pour revenir sur son succès et le processus derrière son film.

«Ondina est une jeune femme solaire et épanouie. Elle partage sa vie avec Alexia. C’est sa grande histoire d’amour, passionnelle et charnelle. Mais un jour, Alexia s’envole pour sa Grèce natal et ne revient pas.» Ainsi commence court - ou plutôt moyen - métrage de Lora Mure-Ravaud, qui transpose le mythe d’Orphée et d’Euridice à notre époque.


Comment est née l’idée d’adapter le mythe d’Euridice?

Tous mes films précédents ont un procédé en commun: je rencontre une personne, dans la «vraie» vie, que j’ai envie de filmer, que ce soit à partir d’un corps ou d’un visage, de là je commence à écrire un film. Mes premières œuvres étaient plus autobiographiques alors que désormais, j’essaie d’aller plutôt vers une forme de documentaire hybride autour de la personne que j’ai rencontrée. Pour Euridice, j’ai rencontré Ondina à Rome et j’ai voulu montrer sa vie, ses amis, sa famille, etc. Tous les gens que l’on voit dans le film jouent donc leur propre rôle.

Ce qui diffère un peu cette fois c’est que j’ai tenté de me détacher du naturalisme, tant bien que mal. Je dis ça, car il y a toujours cette tension entre le cinéma que l’on aimerait faire et le cinéma que l’on fait. Au départ en effet, le film était une adaptation à la lettre du mythe original avec toute une seconde partie qui se passait aux enfers dans une Rome vide - donc très peu naturaliste. Mais j’ai eu du mal à incarner cette partie plus conceptuelle, plus abstraite, et je me sentais moins à l’aise. Je suis revenue à quelque chose de l’ordre d’un fantastique naturaliste, et n’ait gardé du mythe d’Euridice que les grandes lignes générales.


L’histoire se passe entre l’Italie et la Grèce, nationalités respectives des deux amantes. Pourquoi avoir choisi d’alterner entre ces deux mondes?

Cela s’est imposé tout seul. Les deux comédiennes sont un couple dans la vie et elles sont respectivement italienne et grecque; elles ont quinze ans d’écart; elles forment un couple magnifique: on les arrête dans la rue pour les complimenter sur leur beauté. Donc le mythe dans le film était déjà nourri par leur mythe, à elles. À cela s’ajoutait le fait que je vivais alors à Rome, une ville riche en autres mythes. Je souhaitais donc baser la majeure partie de ma fiction dans cette ville.


Ondina et Alexia ont une relation très fusionnelle à l’écran, et je trouve que tu transmets très bien cette passion. Comment se sont passées les scènes d’intimité?

Nous avons travaillé avec un script précis, des répétitions, etc. Mais ce qui était génial, c’est que quand on arrêtait de tourner, Ondina et Alexia continuaient à être fusionnelles, et je profitais de ces moments pour enclencher la caméra à nouveau et «voler» pour ainsi dire ces scènes improvisées - avec leur consentement bien sûr. Et même dans les scènes qui ont été répétées, il y a une part d’improvisation, notamment au niveau des dialogues. Il était important pour moi de réussir à rendre palpable cette passion, cette sensualité entre les deux. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, cela est moins aisé avec un couple, à cause de la pudeur liée à la caméra qui s’immisce soudain dans une intimité jusqu’à présent privée.


À la fin du film, l’on remarque que la nouvelle amante d’Ondina a le même tatouage sur le poignet qu’Alexia. Contrairement au mythe original, Alexia semble être revenue à la vie…

Je laisse cela à l’interprétation du spectateur. Tout ce que je peux dire, c’est que la seconde Euridice, Daria, est la cousine d’Alexia dans la «vraie» vie. La première fois que j’ai vu une photo d’elle j’étais sûre que c’était Alexia, tant elles se ressemblent! J’aime beaucoup les histoires de double, et j’ai donc voulu qu’elle incarne cette nouvelle amante. Daria et Alexia avaient également une relation familiale très fusionnelle quand elles étaient petites, aussi ont-elles dévidé plus tard de se faire faire le même tatouage de demi-lune sur le poignet. La coïncidence était trop grosse pour que je n’en profite pas. Tout ce que j’ai fait, c’est cadrer leurs poignets. Cela explicitait parfaitement le statut de seconde Euridice de Daria. Car pour moi, comme je l’ai dit plus tôt, le film n’est plus une adaptation stricto sensu du mythe, mais plutôt une série de clins d’œil. Ondina incarne Orphée tandis qu’Alexia et Daria sont toutes deux des Euridice.

L’attraction d’Ondina pour Daria est double: elle l’aime parce qu’elle ressemble à Alexia, mais aussi parce qu’elle permet de faire le deuil. La manière qu’a Ondina de gérer le drame est d’être dans le déni, de ne pas pleurer. Du coup l’existence de Daria la force à se confronter au deuil et à sa tristesse. À partir de la scène de théâtre où Daria danse, Ondina commence à la voir comme un individu à part entière, et non plus comme une projection de sa défunte amante.


Quel avenir maintenant pour ton film, après son succès à Locarno?

J’avais à un moment hésité à faire un long métrage. Mais cela aurait été purement stratégique - il est plus aisé de distribuer un long métrage qu’un moyen métrage, je le concède volontiers. Mais si la différence au final à l’écran n’est peut-être que 20 ou 30 minutes de plus, l’économie derrière la production est totalement différente. Cela aurait rajouté plusieurs jours de tournage, et puis j’aurais dû changer la narration. Et puis j’aime bien le caractère très ténu du moyen métrage.

Pour ce qui est de la distribution donc, beaucoup de festivals s’arrêtent à 30 minutes. Rares sont ceux qui ont des sections de moyens métrages ou de courts métrages à plus de 30 minutes. C’était un parti pris dès le départ, et c’est certes frustrant, mais ce film ne pouvait ni faire 10 minutes de moins, ni 10 de plus. J’ai pu dire tout ce que je voulais y dire dans la durée qui lui est sienne.