Entretien avec Jean-Laurent Chautems

Le 06 juillet 2022

Né en 1973 à Neuchâtel. Jean-Laurent Chautems fait des études de réalisation au CLCF à Paris, puis travaille en tant que premier assistant réalisateur. Il tourne un premier court métrage, sélectionné au Festival de Locarno. Puis, en 2009, écrit et réalise son premier long métrage, Plus là pour personne, sélectionné au Festival de Namur. Il co-écrit et réalise la série 10, Prix de la meilleure série au Festival de La Rochelle. En 2019, il tourne Chroma, son deuxième long métrage qui sort en salle le 6 juillet. Nous avons profité de cette sortie pour nous entretenir avec lui.


Jean-Laurent, tout d’abord, pourquoi ce titre?

Dans la première version du scénario, c’était Alain (Aurélien Caeyman) le protagoniste. J’avais donc mis l’emphase sur les couleurs, notamment le vert. Et puis, quand j’ai décidé de mettre Claire au centre du scénario, j’ai voulu garder le titre pour créer du mystère mais aussi pour sa proximité phonétique avec le mot «trauma».


Pourquoi avoir changé en cours de route?

Je me suis rendu compte qu’Alain n’agissait pas beaucoup tout seul et qu’il était vite un peu ennuyeux quand il n’interagissait pas avec d’autres personnages. Claire m’a intéressé au fil de l’écriture, assez rapidement: elle est proactive, elle bouge, ça donne de l’énergie au film. En plus la comédienne (Solène Rigot) a ce charisme qui donne envie de la suivre.


Pourtant le personnage de Claire a un côté mesquin…

Claire veut affronter son trauma, elle veut régler ses comptes avec son père hospitalisé avant qu’il meure. Mais elle n’y arrive pas et préfère se projeter en Alain et essayer de régler les problèmes d’Alain plutôt que les siens. Elle ne sort donc pas du problème. Elle essaie d’entraîner autrui dans sa colère. Elle agit donc de manière compulsive et parfois inexcusable. Je ne voulais pas non plus faire une héroïne trop glamour. Comme elle a été abusée par son père, elle a des penchants autodestructeurs marqués, presque sadomasochistes. Et puis sans elle, il n’y aurait pas d’histoire! Alain est dans l’inertie, le contrôle total, maladif. Il n’agit jamais hors de sa routine. Il ne crée pas d’histoire, assez littéralement.


Mais l’amour entre eux semble difficile.

Dans les relations, on se tire vers le haut, et des fois vers le bas. Je voulais faire des personnages qui n’étaient pas prêts pour des relations. Alain est dans une non-vie, il est un peu mort, la relation va aggraver ses symptômes. Claire, quant à elle, a un rapport «souillé» à sa sexualité, elle a une culpabilité qui naît de son abus («je n’ai pas été assez gentille et donc papa m’a punie»). Elle vit dans un monde idéaliste où elle cherche le prince charmant, mais estime ne pas le mériter. Alain n’est pas l’homme idéal de ses rêves.

Et pourtant, ils sont tellement seuls et en marge, qu’ils sont pour ainsi dire «faits l’un pour l’autre». Dans leur maladie respective, ils arrivent à des moments burlesques, absurdes. Des moments de communion précieux.


Comment avez-vous travaillé cet aspect du syndrome borderline?

Le diagnostic est assez récent, avant on le confondait avec la cyclothymie, la dépression, etc. Moi j’ai connu plusieurs personnes comme ça dans ma vie, sans savoir justement qu’elles étaient borderline. Et à vrai dire quand j’ai commencé mon scénario, je ne savais pas du tout que cela existait. Et c’est en cours d’écriture, en me renseignant sur les troubles psychiques liés aux traumas d’enfance, que j’ai découvert que mes personnages y correspondaient. Ainsi Claire a ce côté hypersensible, où elle passe des rires aux larmes facilement, assez typique de ce diagnostic.


Alain lui par contre est un pianiste apathique!

À la base, j’avais fait d’Alain un fonctionnaire. Mais mon producteur m’a dit que le fonctionnaire avec sa routine, c’est trop cliché au cinéma. Il m’a fait remarquer qu’il serait plus intéressant de prendre par exemple un pianiste de bar: être invisible, mais qui lui aussi a toute une vie, toute une souffrance. Il est mis sur piédestal, mais personne ne l’embête: il est isolé au milieu des gens. Et en plus je trouvais ça drôle de faire un pianiste qui s’en fout de la musique. Pour lui, c’est devenu routinier, le piano est son bureau. Tout le contraire de Claire donc.


Chroma sort le 6 juillet au cinéma.

https://ps-productions.ch/project/chroma/