En thérapie

Le 10 mars 2021

PAYS/ANNEE DIFFUSION
SAISON 1
ACTEURS
SCÉNARIO MUSIQUE
GENRE
France, 2021 Arte.tv
35 épisodes
Frédéric Pierrot
David Elkaïm
Yuksek Drame


d’environ 25 minutes
Mélanie Thierry
Vincent Poymiro





Reda Kateb






Céleste Brunnquell






Clémence Poésy






Pio Marmaï






Carole Bouquet




Série d'Olivier Nakache et Éric Toledano


NOTE 18

Adaptation française d’une formule israélienne déjà déclinée dans de nombreux pays, la série En thérapie (à voir en intégralité sur Arte.tv) tisse avec finesse des trames de mots tendus et de vécus énigmatiques. Intelligent et passionnant.

Dans le cabinet du Dr Philippe Dayan (Frédéric Pierrot), cinq patients (dont un couple) se succèdent. Divan pour eux, fauteuil pour lui; décor feutré, intello, avec lequel Dayan semble faire parfaitement corps, mains jointes et regard de doux vieux sage. Il écoute, attentif, les paroles de la belle Arianne (Mélanie Thierry), chirurgienne, d’Adel le policier nerveux (Reda Kateb), de Camille (Céleste Brunnquell), nageuse adolescente renversée sur son vélo, enfin de Léonora et Damien (Clémence Poésy et Pio Marmaï), qui voudraient en finir de se mordre l’un l’autre - ou peut-être pas. Dayan exerce donc ce drôle de métier qui consiste à décrypter ce qui par le jeu de la psyché humaine se révèle en se voilant: quels ressorts profonds animent ces êtres fragiles? Tout est là, dans leurs paroles, «sous leur nez», mais tout est à interpréter: ce qui nous est proximal nous est le plus caché.

Le moins qu’on puisse dire est que ces séances d’une vingtaine de minutes à chaque fois parviennent à nous saisir pleinement: on rentre avec les personnages (les acteurs sont remarquables de justesse), en empathie sans doute, en conflit parfois, mais aussi et surtout dans ce qui peut s’apparenter à un jeu de résolution d’énigmes. Parvenir, dans ce quasi huis clos (et si bavard, diront certains) de 35 épisodes à tenir le spectateur en haleine n’était pas une mince affaire. Les scénaristes et réalisateurs ont misé sur une tension quasi permanente. Tension narrative - ces «quêtes» sont toutes savamment lancées, relancées, poursuivies et interrompues au fil des semaines - mais aussi tensions dans les rapports entre l’analyste et les analysants: érotiques (question de «transfert», dans le langage de Freud) et/ou d’agression.

Ce dernier point est sans doute le plus intéressant: les échanges prennent en effet, et ce avec une régularité sidérante, l’allure de duels. La résistance des patients à se faire sonder, cerner, soigner en fin de compte, les stratégies de défense mises en place par eux leur confèrent souvent une énergie belliqueuse de proies violentes. Du reste, le contexte historique, le monde «hors cabinet», pèse de tout son poids: nous sommes à Paris, en 2015, peu après le massacre du Bataclan. La terreur générale est là, qui favorise ou se couple aux angoisses personnelles, les distend, semble leur fournir un écho quasi cosmique. N’est-ce pas le monde entier qui s’écroule et dont il faudrait stopper la chute sur un divan?

Mais que peut-il vraiment, ce petit meuble sur lequel on tient inconfortablement à deux? Et que peut finalement ce thérapeute usé, «planqué» peut-être, et petit lui aussi à sa manière? L’intérêt de la série réside également, et pour bonne part, dans cette réflexivité: lui-même désarçonné, en crise, Dayan consulte une consœur amie (l’excellente Carole Bouquet, faussement froide) et est amené au fil d’échanges très âpres à questionner le sens de leur pratique. Sans doute y a-t-il quelque chose de dérisoire, à l’échelle d’un monde vaste ensanglanté (ou du moins perçu comme tel) à lorgner des heures durant du côté du sujet minuscule et ses «petites» plaies à lui. Mais à l’heure où les sondes socio-historiques, qui avalent les identités dans des concepts énormes, dominent de plus en plus la lecture que l’individu est invité à faire de lui-même, cette approche microscopique du singulier a assurément quelque chose de libérateur.