L'édito de Sabrina Schwob - Effervescence du cinéma suisse

Le 08 février 2023

Le cinéma suisse, que l'on a trop souvent tendance à réduire à quelques noms et estimer insignifiant relativement au cinéma de ses voisins européens, n'a pourtant rien à leur envier. Au contraire, la collaboration avec ceux-ci participe même à son effervescence. Les Journées de Soleure, qui se sont déroulées pour leur 58e édition du 18 au 25 janvier 2023, auront été l'occasion de découvrir un cinéma léger (par lequel la comédie révèle certains travers) et/ou innovant, notamment dans le documentaire, qui redouble d'ingéniosité pour assumer le caractère fictif de toute représentation.

L'audace poétique rayonne dans De noche los gatos son pardos (Valentin Merz) qui façonne des corps jouissants et burlesques – évoquant le cinéma de Pier Paolo Pasolini –, au service d'un scénario imprévisible, absurde et affranchi des codes narratifs habituels. Il y a aussi l'humour grinçant du Voyage à Eilat de Yana Rozenkier, un road movie en tracteur entre un père vieillissant et son fils, qui dépasse la simple trajectoire vers la réconciliation, pour proposer un portrait rural, poussiéreux et violent de cette nation. Dans la même veine, le nouveau film de Pablo Martin Torrado, Vous n'êtes pas Ivan Gallatin met en scène la cruauté du pouvoir, à travers le sadisme d'un propriétaire genevois qui, plutôt que de virer son locataire – un filou alcoolique et sans argent, mais avec le cœur sur la main –, préfère s'immiscer dans son logement, à n'importe quelle heure, pour l'encombrer patiemment avec… des horloges!

Du côté documentaire, dans Wechselspiel – Wenn Peter Stamm schreibt (Georg Isenmann et Arne Kohlweyer), les cinéastes assument, avec une autodérision amusante et déconcertante, l'échec de leur projet. Plutôt qu'un film sur le processus d'écriture du charismatique Peter Stamm, le documentaire se concentre sur ce qui sous-tend l'image filmique, mais qui demeure habituellement caché (les moments entre les prises de vue, les réflexions sur les plans ou la construction du documentaire).

Sans cette même légèreté, deux courts-métrages qui entremêlent des faits historiques et des témoignages à l'animation. Mathieu Epiney avec L'oiseau blanc (Mathieu Epiney) imagine les dernières heures de l'aviateur Charles Nungesser échoué en mer, alors que Fred et Sam Guillaume dans Sur le pont enregistrent la parole de personnes en fin de vie, pour élaborer une narration, étrange et remarquable, de protagonistes solitaires en route pour leur dernier voyage.

Un vent d'originalité émancipateur souffle donc sur le cinéma suisse, dont on ne peut que souhaiter qu'il continue de s'affirmer ainsi.